Couv_Le Rosaire des Voluptés _05- © Marie Clauzade_@loeildoliv

Lavaudant de A à Z

Au TGP, Jean Bellorini met à l'honneur le travail de Georges Lavaudant.

Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, à l’invitation de son directeur Jean Bellorini, Georges Lavaudant présente deux de ses créations qui ont vu le jour à presque quarante ans d’intervalle. L’une mythique, emblématique de la nouvelle vague du théâtre français, est une adaptation du Richard III de Shakespeare par l’italien Carmelo Bene. L’autre récente, singulière, est une incarnation d’un poème noir et étrange de Rodanski. 

Afin de clôturer en beauté la saison théâtrale du TGP, Jean Bellorini a voulu rendre hommage à un grand homme de théâtre. Il a marqué de  sa patte, par son engagement, sa vision, la scène française depuis plus de cinquante ans, Georges Lavaudant, 72 printemps, continue de revisiter les classiques, après Feydaux, il s’attaque à l’Orestie d’Eschyle, qui sera présenté aux prochaines Nuits de Fourvière, et va donner corps aux mots des poètes. Il a dirigé de prestigieuses maisons comme le centre dramatique national des Alpes, ou le Théâtre national populaire avec Alain Françon, succédant ainsi à Patrice Chéreau, et il a été dix durant à la tête de l’Odéon – Théâtre de l’Europe

Le Rosaire des Voluptés _02- © Marie Clauzade_@loeildoliv

Remettant toujours l’ouvrage sur le métier, le metteur en scène grenoblois traverse les époques, les styles. Il est certainement une des personnalités les plus notables du théâtre contemporain. Pour s’en convaincre, il suffit d’assister aux représentations des deux pièces actuellement à l’affiche du centre dramatique national de Saint-Denis. Construite comme un diptyque allant de sa dernière création à une de ses œuvres les plus emblématiques, la soirée s’avère haute en émotion et démontre, si c’était encore nécessaire, le génie de Georges Lavaudant, la force de son imaginaire, la puissance de son geste, sa quête permanente d’un absolu, d’un esthétisme toujours renouvelé.

S’emparant Du rosaire des voluptés épineuses, récit surréaliste de Stanislas Rodanski, il en souligne l’étrangeté, l’absurdité. Dans un univers rappellant l’âge d’or des polars, où les pépées (incandescente Elodie Buisson) moulées dans des robes dessinant parfaitement la perfection de leur courbe distille la mort comme autant de doux baisers, un homme (épatant Frédéric Borie) confie ses états âmes, ses doutes. Perchée, onirique, âpre, la langue du poète fou, qui fut interné plus de 27 ans dans un hôpital psychiatrique avant d’y décéder, se perd entre rêves éveillés, cauchemars inquiétants et réalités fantasmées. Oubliant l’inaccessibilité du texte pour laisser libre cours à notre imagination, on finit par être emporté par la magie surannée de cette fantaisie théâtrale. Disons le tout net, le spectacle fort singulier n’emporte pas l’adhésion de tous, certains, trop cartésiens, restent sur le carreau. Toutefois, d’aucun ne peut nier le talent des comédiens, la finesse de la mise en scène qui invite à pénétrer au plus près des doutes, des angoisses, des extravagances de l’auteur.

Changement de décor, on quitte les années 1950 pour l’Angleterre du XVIe siècle. Fini le monde du grand banditisme en costard cravate, place à l’ère des meurtres horrifiques, féroces, qui ont couvert de sang l’ascension au trône de Richard III. Contrefait, vicieux, le duc de Gloucester (époustouflant Ariel Garcia-Valdès) a tout de l’enfant colérique qui ne supporte aucune résistance. Prêt à tout pour arriver à ses fins, n’hésitant pas à séduire éhontement une veuve le jour de l’enterrement de son mari, à donner l’ordre de trucider ses jeunes neveux, des têtes blondes innocentes dont la seule existence suffit à l’empêcher de dormir paisible, il terrorise ses proches avec un sadisme d’une rare perversité.

LaRoseEtLaHache_Repet_©MC2_25_1_@loeildoliv

Se saisissant à bras le corps de l’ingénieuse adaptation de l’italien Carmelo Bene, qui fait fi de  l’histoire, trop alambiquée, trop complexe, pour se concentrer uniquement sur la personnalité machiavélique de ce prince ivre de pouvoir, Georges Lavaudant signe un chef d’œuvre de drôlerie, du virtuosité, qui n’a rien perdu de sa superbe depuis sa création, il y a plus de quarante ans. Véritable mise en abîme du théâtre, La rose et la hache montre comment un homme met en scène avec une précision d’horloger sa main mise sur la couronne d’Angleterre. Le jeu ciselé des comédiens dont Lavaudant fait partie, la maîtrise des lumières qui sculptent les espaces et accentuent les états d’âmes de chacun des protagonistes, donnent à l’ensemble une force tragique non dénuée d’humour. C’est toute la magie de ce spectacle tragicomique, où pas de deux et pantomimes imaginés par Jean-Claude Gallotta offrent une respiration bienvenue dans l’atmosphère viciée de la cour où York et Lancastre s’affrontent sans relâche. Un bijou scénique qui a fait date dans l’histoire du théâtre et qu’il faut absolument voir. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Une invitation à Georges Lavaudant
Théâtre Gérard Philipe
Salle Roger Blin 
59, boulevard Jules-Guesde
93 207 Saint-Denis

Le Rosaire des voluptés épineuses de Stanislas Rodanski
Texte publié chez Bourgeois Editeurs
Jusqu’au 19 mai 2019
Durée 1h15 environ 
Mise en scène de Georges Lavaudant 
Avec Frédéric Borie, Élodie Buisson, Clovis Fouin Agoutin, Frédéric Roudier et Thomas Trigeaud
Décor et costumes de Jean-Pierre Vergier
Son de Jean-Louis Imbert
Maquillage, coiffure, perruques de Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Chorégraphie de Francis Viet
Construction du décor faite aux Ateliers d’Humain Trop Humain, Montpellier
Réalisation de la robe signée Sylvie Khelili 

La rose et la hache d’après Richard III de William Shakespeare
Jusqu’au 20 mai 2019 
Durée 1h10 environ
Adaptation de Carmelo Bene
mise en scène de Georges Lavaudant
Avec Astrid Bas, Babacar M’baye Fall, Ariel Garcia-Valdès, Georges Lavaudant et Irina Solano
Traduction de Jean-Paul Manganaro et Danielle Dubroca
Lumière de Georges Lavaudant
Décor, accessoires et costumes de Jean-Pierre Vergier
Son de Jean-Louis Imbert
Maquillage, coiffure, perruques de Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Chorégraphie de Jean-Claude Gallotta

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