Macbeth de William Shakespeare, mise en scène de Silvia Costa © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Le Macbeth crépusculaire et christique de Silvia Costa

En s’emparant de l’œuvre maudite de Shakespeare, que beaucoup ne nomment pas par superstition, la metteuse en scène italienne signe une adaptation resserrée et cérébrale. Celle-ci se perd dans un esthétisme sépulcral cependant illuminé par la présence irradiante de Julie Sicard. 

Noir, c’est noir. Il n’y a plus d’espoir. Définitivement, Macbeth est la pièce la plus obscure et funèbre du dramaturge anglais. Ambition, trahison, soif de pouvoir sont au cœur de ce drame qui se joue sur la lande aride d’une écosse médiévale, où les superstitions ont force de loi et où les prophéties ont valeur de vérité. Au loin, la guerre fait fureur. Face à la tragédie annoncée, la folie s’empare des âmes. L’histoire n’en est qu’à ces balbutiements, rien n’est encore joué que déjà sur le devant de la scène Lady Macbeth (épatante Julie Sicard), du moins son esprit, s’est égaré dans de terribles rêveries. S’arrachant les cheveux par poignée, sa raison défaille. Le pire est à venir. 

Pourtant, les présages sont en faveur de sa maison. Son mari Macbeth (Noam Morgensztern) est au fait de sa gloire. Adoubé par le souverain, il récolte les lauriers de la victoire et les titres de ses adversaires. Tout semble lui réussir. Alors quand les trois sorcières lui promettent la couronne, s’en est trop. Le pouvoir lui monte lui à la tête. Ses sombres démons, excités par sa furieuse et maligne épouse, le poussent à éliminer, un par un, tous ceux qui se dressent entre lui et le trône. Le bain de sang peut commencer. Ce sera un carnage, un vrai, qui n’épargnera rien ni personne. Hantés par les spectres de leurs victimes et rongés par leur culpabilité, les deux époux meurent, l’un en se suicidant, l’autre sous les coups de McDuff (Pierre-Louis Calixte) leur unique ennemi survivant, transformé pour l’occasion en Christ réincarné. 

Longtemps assistante de Romeo Castellucci, Silvia Costa a le goût du baroque, du sanglant, de l’esthétisme morbide et opératique. Un univers en rouge et noir qui convient parfaitement à la « pièce écossaise » de Shakespeare. Ici pas de héros, pas de demoiselle en détresse, juste des hommes en proie avec leurs fantômes. Radicale dans sa vision de l’œuvre, l’artiste italienne resserre l’action autour du couple mortifère et des trois harpies — omniprésentes, elles président à la destinée en se glissant dans la peau de tous les autres protagonistes du drame — qui les guident vers leur funeste trépas. Pas de rédemption pour ces deux-là, coincés entre manipulation machiavélique et paranoïa aigue, ils s’enlisent dans leur propre fiel jusqu’à l’asphyxie. 

Visuellement, cette nouvelle adaptation de Macbeth est de toute beauté. Les images toutes plus oppressantes et sanguinaires les unes que les autres s’impriment sur les rétines des spectateurs et les entraînent au plus près de ce que la nature humaine a de plus vil, de plus noir. S’inspirant des œuvres du Caravage comme celles du courant maniériste, Silvia Costa gagne en plastique ce qu’elle perd en rythmique et naturalisme. Étirant le temps entre les scènes, elle imprègne à l’œuvre une dimension lugubre et mortifère où l’ennui s’instille. Vêtus à la mode cléricale, les anti-héros de ce drame certes ne déméritent pas, mais leur jeu, souvent appuyé de gestes ésotériques, est de ce fait alourdi. Seule Julie Sicard, implacable, sort magistralement son épingle du jeu et montre que l’abjection et la barbarie est aussi une affaire de femmes. 

Irrigué de mysticisme, de religiosité, Ce Macbeth quasi christique navigue dans des eaux bien troubles, où les fulgurances certaines se noient dans une forme de monotonie ritualisée qui impose par trop son voile hiératique et cauchemardesque.


Macbeth d’après William Shakespeare
Salle Richelieu
Comédie- Française
Place Collette
75001 Paris
Jusqu’au 20 juillet 2024 

Durée 2h15 sans entracte.

Adaptation, mise en scène et scénographie de Silvia Costa,
assistée à la mise en scène par Alison Hornus, de l’académie de la Comédie- Française et Mathilde Waeber
Avec Alain Lenglet, Julie Sicard, Pierre Louis-Calixte, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Julien Frison en alternance avec Birane Ba, Noam Morgensztern, Clément Bresson et Voix de l’Enfant Marceau Adam Conan
Traduction d’Yves Bonnefoy 
Dramaturgie de Simon Hatab 
Scénographie de Michele Taborelli assisté de Dimitri Lenin 
Costumes de Camille Assaf assistée d’Alam Bouquet
Lumière de Marco Giusti 
Musique originale et son de Nicola Ratti assisté d’Ania Zante 

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