Fitzgerald Berthon © Lisa Lesourd
© Lisa Lesourd

Fitzgerald Berthon, la mort en face

À l’occasion de la troisième reprise de son seul-en-scène "Dans 5 heures", tiré des écrits de Jacques Fesch, au Théâtre de Belleville, le comédien dévoile son parcours étonnant et sa personnalité inspirée.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Le plus marquant est l’opéra baroque Le Roi Arthur de Purcell, que j’ai vu au Théâtre du Châtelet en 1996. J’ai tout aimé : la musique joyeuse ou mélancolique, les costumes, l’humour. Un souvenir fondateur !

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai été scolarisé dans un établissement à la pédagogie alternative où le théâtre avait une grande importance. Quand j’avais treize ans, nous avons répété pendant un mois complet Le Chapeau de paille d’Italie et j’ai joué le rôle principal de ce vaudeville. Ce fut expérience incroyable. Tenir un rôle plus d’une heure trente, faire rire le public aux éclats et me sentir comme un poisson dans l’eau… Depuis, je cherche à retrouver la liberté totale que j’ai ressentie ce jour-là, cette joie partagée.

Dans 5 heures © Christophe Raynaud de Lage
« Dans 5 heures » d’après Jacques Fesch, mise en scène Fitzgerald Berthon © Christophe Raynaud de Lage

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
J’avais besoin d’être dans un métier artistique et créatif, que celui-ci soit vivant, qu’il mette en mouvement permanent le corps et l’esprit — de l’artiste comme du spectateur. Mais ça, je ne le comprends que maintenant ! Après un master en sciences humaines, j’ai eu envie de devenir comédien, et c’était avant tout intuitif, sans aucune explication rationnelle. Celles-ci sont venues plus tard.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
J’ai été embauché en cours de formation à l’ESAD de Paris par l’un de mes profs, Marc Zammit, pour jouer dans Le Malade imaginaire. L’école me passionnait, mais comme j’avais déjà vingt-sept ans, j’avais aussi un grand besoin d’être dans le concret du métier : les répétitions sur un long temps, les représentations devant des publics variés (scolaires, tout public), la camaraderie avec des comédiens actifs. Ce fut très formateur et très réjouissant… Je retrouvais déjà ce que j’avais vécu à treize ans.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Gwenaël Morin me vient immédiatement. Notamment le travail qu’il a mené avec sa troupe en 2009 aux Laboratoires d’Aubervilliers, le Théâtre permanent. Du théâtre total avec le minimum de moyens matériels et le maximum d’énergie humaine. J’ai eu la chance de l’expérimenter lors d’un stage à ses côtés. Nous avions monté Andromaque de Racine en quinze jours ! En deuxième me vient Seul(s) de Wajdi Mouawad, seul en scène. C’est une œuvre immense. J’ai eu la joie de la voir, ou plutôt de la revivre plusieurs fois.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Un stage de danse avec Kaori Ito et Théo Touvet au CDN d’Orléans. Une redécouverte des possibilités infinies de la danse, un art que j’apprécie particulièrement et que j’essaye d’intégrer à ma pratique de comédien, comme dans mon seul en scène Dans 5 heures. Un autre stage avec Julie Deliquet sur deux pièces de Tchekhov au CDN d’Angers. Une expérience géniale car Julie demande à ses acteurs de proposer sans cesse des petites créations et aussi des expérimentations où la frontière entre réel et fiction se trouble… Ce fut génial et très stimulant. Beaucoup d’autres stages encore, comme un avec Joël Pommerat où, dans la salle du Conseil de la Mairie de Paris, nous avions revécu, en improvisant, à une cinquantaine d’acteurs, les débats de la Révolution française, à la manière de Ça ira

Fitzgerald_Berthon_dans "Trust-Shakespeare-Alleluia" de Dieudonné Niangouna © Christophe Raynaud de Lage

« Trust-Shakespeare-Alleluia » de Dieudonné Niangouna © Christophe Raynaud de Lage

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je pense que tout être humain devrait avoir une activité physique régulière. Évidemment c’est le cas avec la recrudescence du sport, du jogging ou la démultiplication des salles de muscu, etc. Mais d’une part, c’est parfois surtout un exercice de dépassement personnel et, d’autre part, cela ne permet pas forcément d’entrer dans un rapport poétique au monde… C’est ce que permet en revanche l’art vivant, tout en mettant notre corps en mouvement et action permanente.

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Depuis le plus jeune âge, je visite beaucoup d’expositions ou de lieu du patrimoine : châteaux, ateliers d’artistes, églises. L’histoire de l’art en général m’inspire énormément, l’art sacré en particulier. J’aime beaucoup les personnes de théâtre qui créent des images fortes, comme c’était le cas des spectacles de Patrice Chéreau, ou ceux de Zingaro, de Mnouchkine et de Pommerat. L’apparition soudaine d’auto tamponneuse dans La réunification des deux Corées m’a marqué à jamais, comme l’impression de vivre un rêve éveillé…

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Un espace de liberté, de joie, de vie maximisée et intense. Un endroit de tous les possibles. Sans en arriver à la douleur réelle, un endroit d’exploration unique. Un endroit qui représente aussi une certaine sacralité, une communion forte.

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
J’aimerais que ce soit le moins possible dans la tête et le plus possible dans le corps ! Que cela le traverse tout entier, pas à un endroit en particulier, mais que ce soit une boule d’énergie qui vienne tout animer. Que tous les sens soient animés au maximum, que le jeu passe par tous les pores de la peau.

Fitzgerald Berthon à la prison d e la Santé © Marion Parent
Auprès des détenus de la prison de la Santé © Marion Parent

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aime beaucoup le travail de Clément Cogitore au cinéma. Ni le ciel, ni la terre a été une énorme claque pour moi. Je suis également fasciné par le travail chorégraphique d’Akram Khan…

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
A un spectacle sur la lune bien sûr ! Dire que ça existera sûrement un jour… En attendant, une belle collaboration avec des artistes du monde la danse ou avec des musiciens baroques me comblerait ! Je souhaite aussi candidater à la Villa Médicis à Rome avec un projet de créations multiples qui s’inspireraient des œuvres de Michel-Ange qui s’y trouvent.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Tree of life de Terrence Malick. La joie profonde et insouciante de l’enfance. Le bonheur des choses toutes simples du quotidien. Le temps des doutes et de la mélancolie, qui permet aussi le mouvement et la remise en question. L’âge des interrogations fondamentales et des engagements. Une contemplation qui demeure toujours et traverse toutes les époques. Et enfin l’espérance que nous sommes tous appelés à vivre un jour dans un monde meilleur, dans une grande communion et une paix inimaginable.


Dans 5 heures, d’après les écrits de prison de Jacques Fesch
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris
Du 6 au 28 mai 2024
Durée 1h

Teaser de Dans 5 heures de Fitzgerald Berton © Théâtre de Belleville
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