SI tu me cherches tu me trouves - Nous sommes nous - Points Communs © François Duffour - Soul Moon Studio
© François Duffour - Soul Moon Studio

Ahmed Madani illumine le projet « Nous sommes vous »

La préfecture du Val d’Oise a sollicité Points Communs, la nouvelle scène nationale de Cergy Pontoise et du Val d'Oise, dirigée par Fériel Bakouri, pour mettre en place un projet artistique qui aborderait la question de la violence et permettrait « une autre mise en lumière » des quartiers, une aventure théâtrale qui sort des cadres mais pas de sa mission.

Jeudi 18 avril, nous voilà en route pour la scène nationale de Cergy Pontoise/Val d’Oise, afin d’assister à une séance de travail d’Ahmed Madani avec les jeunes de la Maison de Quartier de la Challe d’Éragny-sur-Oise, dans le cadre de Nous sommes vous, projet mis en place par Points Communs et la préfecture.

SI tu me cherches tu me trouves - Nous sommes nous - Points Communs - Ahmed Madani © DR
Ahmed Madani © DR

« Ils commencent à comprendre l’enjeu et ont envie que ça marche. Leurs parents vont venir les voir, probablement leurs copains, les salles sont déjà pleines. Donc c’est une émulation réelle. » Hier, une équipe de France 3 Île-de-France est venu les filmer. Ce matin, c’est France Inter qui a fait le déplacement. « Ils viennent de se rendre compte que ce n’était pas juste un truc ! Que la scène nationale ne mettrait pas à leur disposition un tel espace s’il n’y avait pas un objectif de création. » C’est la directrice Fériel Bakouri, qui, connaissant bien son travail et « séduite par sa proposition d’interroger les jeunes sur la violence qu’ils rencontrent au quotidien », a choisi le metteur en scène. « Nous en sommes à la 5e semaine d’un travail qui a été dispatché dans le temps. Une en octobre, une en janvier, une en février et deux et demi en avril. »

L’auteur et metteur en scène, Ahmed Madani a une grande expérience des projets de territoire. Avec sa compagnie, créée en 1985, il n’a cessé, en allant à la rencontre des habitants des quartiers populaires, de créer des spectacles vivants qui défient la fracture sociale et permettent d’entendre les voix de silencieux, des oubliés de la société, Illumination(s), F(l)ammes et Incandescence. Comme à son habitude, il est allé à la rencontre des jeunes et les a écoutés.

SI tu me cherches tu me trouves - Nous sommes nous - Points Communs - Fériel Bakoum © DR
Fériel Bakouri © DR

« Ces jeunes, ils parlent et me racontent mille et une choses. Ça dure très longtemps et puis le temps passe. Je ne leur ai pas dit qu’on allait parler de la violence. Cela ne veut rien dire ! Qu’est-ce qui vont me répondre à ça ? Je les interroge sur leur vie et, dans leur vie, je décèle qu’ils subissent, eux, des formes de violences. Mais ce ne sont pas eux qui font la violence. Quand je considère que j’ai reçu assez de matériaux, je reviens avec des textes que j’ai écrits et qui sont inspirés de ce qu’ils m’ont livrés. Après, je fais une distribution, soit collective, soit individuelle. S’il n’y a pas une acceptation du texte, parce que des fois, ça frotte, je peux revenir avec un autre texte, quelque chose de différent. »

Ahmed Madani est entouré de ses collaborateurs artistiques habituels, Christophe Séchet pour le son, Nicolas Clause pour la vidéo, Florine Genoux pour la lumière. Ils sont là derrière la console, très attentifs aux indications, faisant régner une véritable ambiance de création. Pour l’assister à la mise en scène, il y a choisi Aboubacar Camara, un jeune comédien de sa compagnie que l’on a pu applaudir dans Incandescence. « Je trouvais que c’était bien qu’il prenne part à cette aventure. D’une part, parce qu’il habite dans le coin et qu’il a eu un petit parcours avec la scène nationale, et d’autre part, parce qu’il pouvait amener un peu de liens avec les jeunes. »

En voyant comment les gamins s’adressent à lui, l’image du grand frère surgit. « C’est ce qu’ils m’ont dit ce matin ! Ils me demandent des tuyaux comme à un grand frère. Cela me fait plaisir. J’arrive à leur donner des conseils. Par où t’es passé ? Est-ce que moi aussi, je pourrais faire comme toi ? ». Il ajoute que comme lui autrefois, ces gamins découvrent que le théâtre ne rime pas obligatoirement avec l’ennui et qu’il est accessible à tous.

Une séance de travail avec les jeunes n’est jamais de tout repos, il faut capter leur attention et faire souvent de la discipline. Ahmed Madani sait tenir ces troupes. Il n’hésite pas à les engueuler, à leur dire que ce qu’ils font, c’est nul ! Mais, comme ses encouragements vont de pair, aucune tension se fait sentir. S’ils râlent parfois, « encore ! », finalement, ils reviennent sans trop rechigner sur l’ouvrage, répétant une phrase, un geste. « Je ne les considère pas comme étant des amateurs. Ce sont juste des enfants qui vont entrer sur scène et qui vont nous parler d’eux. Ce sont des personnages et ce sont aussi des interprètes. » Même si les textes ne sont pas encore sus au cordeau, ils commencent à saisir les situations comiques ou dramatiques qui émergent de travail et ils y trouvent du plaisir.

SI tu me cherches tu me trouves - Nous sommes nous - Points Communs © DR
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Vendredi 26 avril, c’est le grand soir. Arrivée en avance, je vois que les garçons sont encore en train de jouer au ballon dans la cour. Aboubacar rassure : « Ils sont près ! Ils évacuent le stress ! ». Les spectateurs s’installent dans la petite salle, la famille, les amis, Thibault Humbert, le Maire d’Éragny (qui a beaucoup ri), les animateurs de la Maison de Quartier, mais aussi, les professeurs, et même la proviseure de leur lycée, des professionnels et des abonnés du théâtre. Durant 50 minutes, dans un spectacle d’une belle facture et d’une grande tenue, où l’on passe du rire à l’émotion, Elissa, Fatima, Souhkaïna, Dramane, Cheikh-Oumar, Daven, Sami, Issa, Yacine et Sikou (zébulon impayable) se sont révélés épatants. En cette période mouvementée, où les coups pleuvent trop souvent dehors, sortant des clichés, posant un regard lucide sur le monde actuel, sur les adultes, ces préados ont libéré leur parole.

Et puisqu’« il arrive que l’on trouve ce que l’on cherche », un onzième acteur surgit de la salle. C’est Ziad, leur animateur. Dans un très beau texte, il vient rappeler qu’il est possible de trouver une autre voie que la violence et que la culture y contribue. La première étape de cette aventure vient de se terminer brillamment. En attendant, la suite en 2025 et 2026, avec d’autres jeunes d’autres, saluons encore une fois cette petite troupe soudée qui nous a enthousiasmés.


Si tu me cherches tu me trouves, texte et mise en scène d’Ahmed Madani
Restitution dans le cadre du projet Nous sommes vous et Génération(s) avril avec la ville d’Éragny-sur-Oise.
Points Communs, scène nationale de Cergy Pontoise
Allées des Platanes
95000 Cergy
Les 26 et 27 avril 2024
Durée 50mn.

Assistant à la mise en scène Aboubacar Camara
Avec Dramane Camara, Élisa Dundar, Cheikh-Oumar Gakou, Daven Gbolahan, Fatima Hachim, Ziad Jbayli (animateur jeunesse), Yacine Khaled, Sami Lahacaini, Souhkaïna Sylla, Issa Tambadou, Sikou Traoré
Vidéo de Nicolas Clauss.
Création son de Christophe Séchet
Lumières de Florine Genoux
Régie vidéo de Stéphane Cavana

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