Dans un décor très américain, une sorte de salle des fêtes qui sert à la fois pour le sport, le théâtre et les rencontres des addicts anonymes, un homme gît sur le sol. Une femme entre. Pour elle, rien de surprenant. Elle s’affaire autour de lui, s’amuse avec son corps inerte, le transforme en pantin. Décalant légèrement le réel, Crystal Pite et Jonathon Young invitent à plonger dans un monde parallèle, quasi surréaliste, où le temps est distordu dans une sorte de vortex cartoonesque où les gestes sont surlignés, les voix doublées en off.
Un « donjons et dragons » version théâtrale
À travers une succession de tableaux tous plus puissants et drôles les uns que les autres, le duo canadien poursuit son hybridation des arts vivants et compose une fresque qui dit tant de l’absurdité des temps présents tout en convoquant un imaginaire médiéval dystopique, où les preux chevaliers ne sauvent pas forcément les princesses, où honneur et justice passent parfois à la trappe de petits égos. Réunis en comité, un petit nombre d’amateurs se retrouve comme tous les ans pour préparer la prochaine reconstitution historico-fantastique d’une bataille de légende. La dernière… En tout cas, c’est le vœu pieux de quelques-uns des membres, qui souhaitent, après plus de 93 ans, en finir avec ce décorum un peu pompeux, mais tellement jubilatoire.
Bien évidemment, rien ne se passe comme prévu. Le réel et le fictionnel se mêlent. La frontière entre les deux mondes se floute. La trésorière se prendre pour une jeune fille en détresse dont l’amant a été tué. Le président pour un roi de pacotille, la vice-présidente pour une guerrière sans foi ni loi. Seul l’un des membres, un quidam, qui n’a comme autre statut que d’être adhérent de l’association, semble en décalage avec le reste de la troupe. Tel un fantôme, le spectre du héros, tant attendu qui ne vient jamais, hante le plateau, enraye la mécanique immuable, qui se répète d’une année sur l’autre. Sera-t-il le sauveur de ce jeu de rôle, de ces âmes errantes en quête de sensation, de la belle éplorée au cœur qui saigne ? là est toute la question.
Expressionnisme corporel
Jouant des codes, déployant une écriture où le burlesque n’est jamais loin du poétique, Crystal Pite et Jonathon Young esquissent une œuvre totale plein de surprises et d’émerveillements. Avec beaucoup de dérision et une belle ingéniosité, ils entraînent le public dans un récit labyrinthique autant que passionnant. Mettant en miroir, les existences un peu tristes des participants à la reconstitution avec celles plus flamboyantes de leurs doubles, ils déploient une partition qui se démultiplie entre performance, conte romanesque et art expressionniste du corps.
S’appuyant sur la haute technicité de leurs interprètes – tous virtuoses – , les artistes n’en finissent pas de déconstruire et reconstruire cette improbable épopée. De boucle en boucle, d’itération et distorsion, ce qui paraissait comme très banal et commun flirte avec l’extraordinaire et le surréaliste. Totalement déjantée, Assembly Hall se déguste avec un grand plaisir. Si, en cette première française, les rires sont timides, l’humour étant très anglo-saxon, la force de frappe tant l’esthétique que le comique de Crystal Pite et Jonathon Young font mouche. Loin des sentiers battus, l’ouvrage séduit et fascine !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Assembly Hall de la Cie Kidd Pivot – Crystal Pite, Jonathon Young
Pièce en anglais surtitré
Théâtre des Louvrais – Points Communs
Place de la Paix
95300 Pontoise
Jusqu’au 29 mars 2024
durée 1h30
Tournée
2 au 17 avril 2024 au TDV – Sarah Bernhardt
Chorégraphie et mise en scène de Crystal Pite
Écriture et mise en scène de Jonathon Young
Avec Brandon Alley, Livona Ellis, Rakeem Hardy, Gregory Lau, Doug Letheren, Rena Narumi, Ella Rothschild, Renée Sigouin, Nasiv Kaur Sall et Julian Hunt (Swings)
Composition et création sonore d’Owen Belton, Alessandro Juliani & Meg Roe
Scénographie de Jay Gower Taylor
Costumes de Nancy Bryant
Lumière de Tom Visser
Conception vidéo de Cybèle Young
Régisseur vidéo et programmation sonore – Eric Chad
Assistanat à la mise en scène – Eric Beauchesne
Direction des voix – Meg Roe
Voix – Ryan Beil, Marci T. House, Alessandro Juliani, Meg Roe, Gabrielle Rose, Amanda Sum, Vincent Tong, Jonathon Young
Construction des décors – Great Northern Way Scene Shop
Surtitres – Anika Vervecken
