Sweet Mambo de Pina Bausch © Oliver Look
© Oliver Look

Pas si sweet, le mambo de Pina Bausch

Dernière pièce du Tanztheater de Wuppertal présentée au Théâtre de la Ville du vivant de la chorégraphe allemande en 2009, Sweet Mambo revient à Paris jusqu’au 7 mai dans une version remontée à la demande de Boris Charmatz, nouveau directeur de la compagnie. 

La nostalgie n’est-elle plus ce qu’elle devrait être, ce qu’elle a été jusqu’ici ? Un instrument du retour au passé, un plongeon dans un temps pas encore perdu, dans une autre époque, ni plus triste, ni plus gaie, ni mieux, ni pire, mais autre ? Mais qu’on croyait nôtre ? En 2009 Pina Bausch est morte. « Son » théâtre en France, le Théâtre de la Ville qui l’accueillait depuis 1979 chaque année, présentait alors son avant dernière pièce Sweet mambo, une succession de solos, deux heures trente de saynètes tristes et décalées, dansées avec une maestria folle. 

Aujourd’hui, ou plutôt hier soir, sur la scène de ce même théâtre de la Ville, la tristesse était là mais plus la folie. Autre chose planait dans l’air. L’espoir de se faire renverser encore par la force du langage de la « grande Pina », d’avoir encore quelques révélations, des coups au cœur et des larmes encore ? Mais non, elles ont beau être là ces grandes interprètes, ces femmes magiques, invitées pour la reprise, Nazareth Panadero et Aida Vainieri, Hélena Pikon et sa magistrale scène orgasmique, Julie Shanahan et sa très pâle blondeur légendaire, l’hollywoodienne Julie-Ann Strarzack, comparable à une Ava Gardner, les voici en scène. S’ajoutent à ces amazones Noemi Brito qui ouvre le spectacle avec un sensuel et souriant solo et trois hommes dont l’historique Andrey Berezin, visage et corps tendus vers l’impossible. 

Sweet mambo de Pian Bausch © Karl-Heinz Krauskopf
© Karl-Heinz Krauskopf

Et la danse. Celle des bras comme des lianes qui embrassent et embrasent le torse, les jambes pliées, le dos ployé et les orteils tendus à l’extrême, le bassin souple et swing, la main qui caresse la peau et les articulations, cette danse que Pina Bausch elle-même avait inventé sur elle, qu’elle dansait dans Café Muller,une danse de l’invisible visible, chair et peau, os et tendons, corps et inconscient. Que voit-on dans ce Sweet mambo ? Des éperdues, toujours, des « qui tiennent bon », vont et viennent comme Nazareth Panadero, tête levée fièrement, démarche de combat et qui s’effondre le corps en chiffon « la vie c’est comme le vélo, on roule ou on tombe. »

Eh bien, elles tombent ces fortes femmes, elles tombent mais font tournoyer leurs corps dans une danse de saint Guy impossible. C’est beau et poignant et long. Comme si l’artiste qu’était Pina Bausch nous disait, « oui c’est long et bien enraciné ce qui retient :  l’habitude, la souffrance, la résignation, les faux semblants… » Pas d’éblouissement car tout se déroule comme si rien n’accrochait.  Et les hommes, ah les hommes, ils sont trois à faire ce qu’ils peuvent, ils ne sont là que pour toucher, soutenir parfois, retenir, empêcher, ils dansent… un autre désespoir. Mais en voici un, jeune, Reginald Lefebre (il a rejoint la troupe en 2021) qui ose une danse insoupçonnée, jaillissante, exultante !

Alors, dans cette succession de solo des danseuses qui dessinent en creux la si reconnaissable silhouette de la chorégraphe, son long corps et son visage mince, ses grands yeux et ses grandes mains, dans cette succession presque insupportable de musiques qui s’enchainent comme on empile des pièces dans un juke-box, on ne sait plus ce qui serre le plus le cœur : le visage ravagé des interprètes qui viennent saluer, l’évidence que rien ne meurt sur scène mais que tout passe, que ce mambo est tout sauf doux. Plutôt amer, très amer. 


Sweet Mambo de Pina Bausch
Théâtre Sarah Bernhardt – TDV
place du Châtelet
75001 Paris
Jusqu’au 7 mai 2024
durée 2h10

Mise en scène & chorégraphie de Pina Bausch
Avec Andrey Berezin, Naomi Brito, Nayoung Kim, Julie Shanahan, Julie Anne Stanzak, Aida Vaineri, Nazareth Panadero, Hélena Pikon Daphnis Kokkinos, Reginald Lefèbvre 
Décor & vidéo de Peter Pabst 
Costumes de Marion Cito 
Collaboration musicale – Matthias Burkert, Andreas Eisenschneider 
Collaboration – Marion Cito, Thusnelda Mercy, Robert Sturm 
Assistante décor – Gerburg Stoffel
Assistante costumes – Svea Kossak 
Direction artistique de la recréation – Alan Lucien Øyen 
Direction des répétitions Azusa Seyama, Robert Sturm
Musique de Barry Adamson, Trygve Seim, Gustavo Santaolalla, Hope Sandoval, Portishead, Lucky Pierre Hazmat Modine, Jun Miyake, Mecca Bodega, Cluster & Eno, Lisa Ekdahl, Mari Boine, René Aubry, Mina Agossi, Ian Simmonds

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