Tosca de Puccini, mise en scène de Silvia Paoli, direction musicale de Clelia Cafiero © Bastien Capela
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La « Tosca » épurée et crue de Silvia Paoli 

Diffusée sur grand écran le 8 juin dans différentes villes des Pays de Loire et de Bretagne à travers l’opération « Opéra sur écrans » d’Angers Nantes Opéra, l'œuvre tragique de Puccini révèle toute sa noirceur baroque dans l’écrin virginal imaginé par la metteuse en scène italienne. 

Passion, jalousie, trahison : Tosca, l’un des opéras les plus joués au monde, recèle tous les tenants de la tragédie. Une jeune femme sublime, sanguine, une vraie diva adulée de l’élite romaine, passe en une journée de l’innocence amoureuse à l’atrocité tyrannique imposée par les âmes viles d’un régime dictatorial, des bras tendres de son galant à ceux, sadiques, de son bourreau. La fulgurance de l’action ne laisse aucun répit. 

Aimée le matin, jalouse à midi, elle finit la soirée dans l’antre de l’enfer, torturée psychologiquement par un homme sans foi ni loi qui n’a pour seul but que de la posséder par force. Agressée sexuellement après avoir trahi son bien-aimé en espérant le sauver, elle devient, au petit jour, meurtrière. Abusée mentalement, la naïve cantatrice, victime sacrifiée au pouvoir des hommes, assiste à l’exécution de son peintre chéri et finit, dans un dernier geste de bravoure, par se suicider. 

Tosca de Puccini, mise en scène de Silvia Paoli, direction musicale de Clelia Cafiero © Bastien Capela
© Bastien Capela

Inspirée du rôle tenu par Sarah Bernhardt dans la pièce éponyme de Victorien Sardou, l’héroïne de Puccini traverse la vie avec ses excès, ses folies, ses noirceurs. Entière, impériale, fragile, elle est à sa manière une guerrière par nécessité. Bien que très éloigné de la politique, « vivant d’amour et d’art » comme elle le chante si justement au dernier acte, l’ingénue, par sa beauté, se retrouve confrontée à la lie de nature humaine. 

À l’heure de la libération de la parole des femmes et à l’air du #MeToo, l’œuvre résonne différemment à nos oreilles. Loin de chercher à en actualiser le propos ou de le raccrocher à une quelconque actualité, Silvia Paoli fait le choix, par sa mise en scène épurée, que quelques tableaux plus baroques — telle cette recréation vivante de La Crucifixion de l’apôtre André peinte par Mattia Preti, que l’on peut voir à l’église Sant’Andrea della Valle, où se déroule le premier acte de Tosca — viennent révéler ses tensions tragiques. 

En centrant son geste sur le personnage de Scarpia, chef de police vicieux et lubrique, elle met en lumière les mécanismes de manipulation dont il abuse pour contraindre ses opposants et ses victimes. Maître en supplice mental, celui-ci n’a aucune pitié pour ses proies. Trouvant la jouissance dans la soumission d’âme, il impose à outrance la morale religieuse et la propreté hygiéniste pour mieux masquer ses propres perversions. Dans le décor blanc, immaculé d’Andrea Bello, la noirceur de cet envoyé de l’enfer est d’autant plus frappante. De la chapelle propice aux confidences aux charniers mortifères, en passant par l’austère salle à manger, son ombre inquiétante envie l’espace et empoisonne imperceptiblement l’air. 

Tosca de Puccini, mise en scène de Silvia Paoli, direction musicale de Clelia Cafiero © Bastien Capela
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Suivant la baguette bondissante et virevoltante de Clelia Cafiero, l’Orchestre national des Pays de la Loire, malgré les contraintes imposées par la taille réduite de la fosse du Grand Théâtre d’Angers, donne à la musique de Puccini une belle rondeur dramatique. De sa voix vibrante, souple, la soprano grecque Myrtò Papatanasiu fait une Tosca tout feu, tout flamme. Incarnant jusque dans ses débordements l’héroïne enflammée, elle irradie la scène d’un souffle incandescent, volant sans conteste la vedette à ses comparses masculins. En face, incarnant avec une belle présence le peintre Mario Caravadossi, le ténor espagnol Andeka Gorrotxategi signe une prestation finalement plus soignée qu’intense. Stature imposante, costume trois pièces strictes, le baryton Stefano Meo force, lui, sa nature bonhomme et fait de Scarpia, par son jeu astringent, un monstre libidineux. 

Très cinématographique, La Tosca de Silvia Paoli n’a rien de léger. Son esthétisme brutal et cru montre sans fard la violence des régimes totalitaires et patriarcaux. Filmé en direct le 8 juin prochain pour être diffusé sur grand écran dans plusieurs lieux emblématiques des régions Bretagne et Pays-de-Loire, le spectacle, n’est certes pas tout public, âmes sensibles s’abstenir, mais devrait séduire par sa force plastique et la belle intensité qu’insuffle le duo italien Clelia Cafeiro-Silvia Paoli à cette œuvre centenaire, intemporelle.


Tosca de Giacomo Puccini
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après Victorien Sardou
Création 2022 à L’Opéra national du Rhin 
Opéra présenté avec une nouvelle distribution le 5 et 7 mai 2024 au Grand Théâtre d’Angers

Tournée
23 au 29 mai 2024 au Théâtre Graslin – Nantes 
6 au 13 juin 2024 à l’Opéra de Rennes
8 juin 2024 Visible sur grand écran dans différents lieux de Bretagne et des Pays-de-Loire dans le cadre de l’opération Opéra sur écrans

Direction musicale de Clelia Cafiero
Mise en scène de Silvia Paoli assistée de Tecla Gucci
Réduction pour orchestre de chambre de Riccardo Burato

Avec Myrtò Papatanasiu / Izabela Matula, Andeka Gorrotxategi / Samuele Simoncini, Stefano Meo, Marc Scoffoni, Jean-Vincent Blot, Marc Larcher, Pierrick Boisseau, Hélène Lecourt, Éric Vrain
les danseurs – Hélène Beilvaire, Virginie Benoist, Salya Berraf, Teodora Fornari, Chloé Scalese, Gilles Taillefer, Clara Brunet, Maxime Stofkooper
Maîtrise des Pays de la Loire sous la direction Pierre-Louis Bonamy
Chœur d’Angers Nantes Opéra sous la direction Xavier Ribes
Orchestre National des Pays de la Loire
Costumes réalisés dans les ateliers de l’Opéra national de Lorraine

Scénographie d’Andrea Belli
Collaboration au mouvement – Rosabel Huguet
Costumes Valeria Donata Bettella
Lumières de Fiammetta Baldiserri

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