En ce soir de première, la salle de l’Odéon affichait complet. Un public bigarré, composé de professionnels du théâtre, de fidèles spectateurs et de lycéens curieux, remplissait les lieux de l’orchestre au poulailler. Ces derniers, découvrant la verve de Feydeau, riaient de bon cœur. Il faut dire que l’attente était grande pour cette nouvelle rencontre entre le dramaturge du vaudeville et Stanislas Nordey, qui avait déjà monté La Puce à l’oreille avec un certain succès. Hélas, quelque chose cloche dans cet Hôtel du Libre-Échange, et c’est bien dommage.
Un dérapage adultérin

La mécanique Feydeau est une horlogerie qui peut vite s’enrayer si le rythme et la folie ne s’accordent pas. Les personnages y sont ridicules, ce sont des bourgeois misogynes. Pinglet (Cyril Bothorel) est entrepreneur. Son ami et voisin Paillardin (Claude Duparfait) est architecte. Leurs femmes, des archétypes caricaturaux, sont au foyer. La première (Hélène Alexandridis) est un dragon qui porte la culotte, la deuxième (Marie Cariès) une jolie oie délaissée.
Profitant des tensions conjugales du couple d’en face, Pinglet décide de séduire la charmante Marcelle et l’emmène à l’Hôtel du Libre-Échange. Mais ce lieu de rendez-vous devient vite le théâtre d’un enchevêtrement de quiproquos : d’autres connaissances s’y croisent, et la soirée vire au fiasco.
Une scénographie intrigante
Dès l’ouverture, le décor annonce la couleur : Nordey tire le fil d’un théâtre de l’absurde, teinté de surréalisme. Le premier acte, très explicatif, se déroule dans le salon des Pinglet, transformé en vaste pièce blanche où sont projetées les didascalies originales de Feydeau. Une mise en abyme curieuse, dont le sens peine à émerger.
Au deuxième acte, l’apparition du décor de l’hôtel semble amorcer un tournant plus convaincant. L’espace, rouge comme les fauteuils des théâtres ou les murs des maisons closes, est visuellement réussi. Mais cela ne suffit pas. Pourquoi tous les personnages sont-ils affublés de costumes en plumes, qui les font ressembler à des volatiles grotesques ? Le troisième acte nous ramène chez les Pinglet. Cette fois, les murs se resserrent pour révéler un immense portrait d’autruche. Une trouvaille visuelle qui fait son effet.
Une partition inégale

Tous les comédiens et comédiennes ne peuvent jouer du Feydeau. Cela demande un sens de la vis comica très subtile, de la rupture et de la rythmique. Cyril Bothorel surcharge, et c’est d’autant plus dommage, car quand il ne crie pas, il fait entendre tout le ridicule de Pinglet. Si Claude Duparfait est physiquement à son aise dans les maladresses de Paillardin, il l’est moins avec les mots. Tout comme Laurent Ziserman, en avocat bégayeur et Damien Gabriac en neveu puceau. Même si parfois, elle s’en approche, Marie Cariès peine à trouver le juste ton.
Heureusement, trois interprètes tirent leur épingle du jeu. Dans le rôle de Bastien, le patron de l’hôtel, Raoul Fernandez est impayable. Avec son étonnant costume blanc, il enchante dans l’intermède musical. La bonne, Anaïs Muller qui semble tout droit sortie de La Cantatrice Chauve de Ionesco et qui répond à ses maîtres sur le même ton qu’on lui parle, en hurlant donc, est formidable. La reine de cette soirée est Hélène Alexandridis. Dans un jeu délectable, possédant le sens de la rupture à la Maillan, elle incarne à la perfection la folie de ces bourgeoises qui ont du caractère. Bravo Madame.
Marie-Céline Nivière
L’hôtel du Libre-Échange, de Georges Feydeau
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris.
Du 6 mai au 13 juin 2025
durée 2h55 (entracte inclus).
Tournée 2025/2026
25 et 26 septembre – MC2: Maison de la Culture de Grenoble
2, 3 et 4 octobre – Opéra de Montpellier, Domaine d’O
9, 10 et 11 octobre – Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône
7 au 16 novembre – Les Gémeaux, scène nationale de Sceaux
20 et 21 novembre – Théâtre de Lorient, centre dramatique national
27 novembre au 5 décembre – Les Célestins, Théâtre de Lyon
17, 18 et 19 décembre – Théâtre de la Criée, Marseille en co-accueil avec Les Théâtres Aix-Marseille
31 décembre au 4 janvier – Théâtre de Liège, Belgique
9 et 10 janvier – Le Quartz, scène nationale de Brest
15 et 16 janvier – Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire
21 et 22 janvier – Maison de la Culture de Bourges, scène nationale
4 et 5 février – La Coursive, scène nationale de La Rochelle
11 et 12 février – La Filature, scène nationale de Mulhouse en co-accueil avec
la Comédie de Colmar, Centre dramatique national
Mise en scène de Stanislas Nordey
avec Hélène Alexandridis, Alexandra Blajovici, Cyril Bothorel, Marie Cariès, Claude Duparfait, Olivier Dupuy, Raoul Fernandez, Paul Fougère, Damien Gabriac, Anaïs Muller, Ysanis Padonou, Sarah Plume, Tatia Tsuladze, Laurent Ziserman.
Collaboratrice artistique Claire-Ingrid Cottenceau
Scénographie d’Emmanuel Clolus
Lumière de Philippe Berthomé
Costumes de Raoul Fernandez
Chorégraphie de Loïc Touzé Nina Vallon
Composition musicale d’Olivier Mellano, avec la voix de Raoul Fernandez.