Armin Hokmi © Felipe Osorio Guzman
Armin Hokmi © Felipe Osorio Guzman

Armin Hokmi : Danser l’élan avant le mouvement

Du 23 au 25 juin 2025, au Festival Montpellier Danse, Armin Hokmi présente Of the Heart – An Etude, une pièce pour une danseuse, prémisse à sa prochaine création à grande échelle Répertoire (Bazm), attendue en 2026.
19 juin 2025

Un après-midi de printemps, juste après le rush du déjeuner, le rendez-vous est pris dans un café bondé de Bastille. Détendu, sourire en coin, Armin Hokmi s’installe avec la curiosité et la gourmandise de ceux qui aiment la rencontre. Très vite, le courant passe. Le ton, nourri par le plaisir de converser, est donné. Il sera question d’exploration, d’introspection, de découverte et de détours imprévus. Chez lui, la réflexion est fluide, le propos précis sans jamais être figé. On sent poindre, déjà, cette attention au mouvement des idées qui traverse aussi son travail de chorégraphe.

L’entrée dans la danse

Né à Booshehr en Iran, il y a une trentaine d’années, le danseur et chorégraphe découvre la scène par le théâtre. Comédien, d’abord. Très vite pourtant, le jeu ne suffit plus. Quelque chose résiste, un écart entre ce qu’il fait et ce qu’il cherche à faire. Il quitte l’Iran pour la Norvège, où cette faille devient terrain de recherche. C’est là qu’il commence à explorer de nouveaux terrains artistiques et à approfondir différemment ceux déjà défrichés. « Les études à l’étranger m’ont ouvert des portes parce qu’elles m’ont permis de me forger une définition très, très ouverte de ce que le théâtre et la danse peuvent être. »

Shiraz d’Armin Hokmi © Armin Hokmi Kiasaraei

De spectateur attentif, il devient chercheur du sensible. « En repensant aux spectacles que j’avais vus, je voulais comprendre d’où me venaient les émotions et les sensations ressenties. Était-ce l’environnement ? La structure ? Le mouvement ? » Cette quête d’une cause souvent invisible devient sa boussole. Ce qu’il poursuit, c’est l’origine du frisson.

Son expérience du théâtre continue de nourrir son approche de la danse. Non pas pour raconter autrement, mais pour déplacer les lignes. « Mon impression était qu’il y avait une forme d’extraction du théâtre dans la danse, qui se concentrait surtout sur une narration théâtrale du mouvement. » Armin Hokmi cherche à dénouer cette dépendance. « Je me suis vraiment intéressé à ce que la danse peut faire que le théâtre ne peut pas. Comment peuvent-ils ne pas être au service l’un de l’autre ? »

Dans Shiraz, création pour six danseurs présentée au Festival Montpellier Danse en 2024, cette tension devient matière. La théâtralité est là, dans l’espace, les lumières, la dramaturgie du cadre. Mais la danse, elle, s’affirme dans sa propre logique, sans céder à l’anecdote ni à la narration.

Une création internationale
 Shiraz d'Armin Hokmi © Armin Hokmi Kiasaraei
Shiraz d’Armin Hokmi © Armin Hokmi Kiasaraei

« L’international était ma réalité. » Entre Oslo, Berlin et Paris, Armin Hokmi évolue dans un monde éclaté. Ses allers-retours deviennent une matière première. Il interroge comment les contextes culturels façonnent les relations, les pratiques, les vocabulaires artistiques. En 2022, il crée International Danse aux Uferstudios de Berlin. Une performance qui imagine un espace affranchi des logiques d’État-nation, où les appartenances s’effacent au profit d’un commun mouvant. « Un endroit dans lequel nous sommes tous perdus, mais où chacun a sa place. »

Au-delà de ce projet, la question de la rencontre internationale reste au cœur de son travail. « La nationalité est un paramètre, mais chaque individu est très différent lorsqu’il s’agit de se réunir et de cultiver quelque chose. » Dans Shiraz déjà, il choisit ses interprètes selon leurs parcours singuliers. Pas d’homogénéité recherchée, au contraire, chaque formation, chaque ancrage culturel apporte une variation subtile aux gestes et à leur signification. La pluralité devient langage.

Un Iran artistique, pas politique

L’influence iranienne, bien sûr, est là. Comme un soubassement inévitable. Mais Armin Hokmi refuse d’en faire un drapeau. « Il n’y a pas de désir pour moi de retourner en Iran, parce que je n’arrive même pas à concevoir ce que serait mon travail là-bas. Il ne serait pas possible. »

© Arash A Nejad / Nyebilder
Sacrifice While Lost in Salted Earth de Hooman Sharifi © Arash A Nejad / Nyebilder

Au fil de ses projets, il croise d’autres artistes iraniens. À Montpellier Danse, il travaille plusieurs fois avec Sorour Darabi. Mais cette résonance commune n’est pas revendiquée comme une posture politique. « La danse n’est pas pour moi un étalage de la politique quotidienne. Avec Sorour, nous partageons des impressions, des influences régionales, des sensibilités, mais pas un combat politique. » Pour le public, il y a malgré tout, peut-être, un sens à voir ces deux trajectoires voisines cohabiter dans un même programme. « Ce serait bien qu’il perçoive comment une même racine peut se matérialiser de manières très différentes. »

Armin Hokmi se méfie des dispositifs de labellisation identitaire. Ainsi, à propos de la mise à l’honneur de la langue arabe au Festival d’Avignon, il tempère : « Je suis très favorable à l’idée de le faire, mais pas de le dire. » Promouvoir une langue ou une origine n’est pas son moteur. « Promouvoir un langage est une conséquence d’une œuvre, pas son but. » Même une éventuelle célébration du farsi le laisserait dubitatif.

L’association avec Montpellier Danse

Depuis 2024, Armin Hokmi est artiste associé au Festival Montpellier Danse. Une reconnaissance qui vient officialiser une relation déjà tissée depuis plusieurs années. « Je trouve leur compréhension de la trajectoire d’un artiste très développée, bien réfléchie. Nous avons trouvé les bons paramètres pour nous connecter. L’accent a été mis sur le travail avec le mouvement, la culture de nouveaux vocabulaires, de nouveaux langages chorégraphiques. »

Of the Heart - an Etude Armin Hokmi © Armin Hokmi
Of the Heart – an Etude d’Armin Hokmi © Armin Hokmi

Cette année, il y présente Of the Heart – An Etude. Une pièce pour une danseuse, comme un geste préparatoire, une exploration de l’impulsion première. « C’est une recherche de l’élan qui provoque la danse, avant qu’elle ne prenne forme. » Soutenir un désir sans l’enfermer dans une structure trop vite arrêtée, rester à l’écoute de ce qui émerge — c’est là que se loge l’enjeu.

Cet impromptu n’est pas une fin en soi. C’est une étape dans un processus plus large , la création en 2026 de Répertoire (Bazm). Les deux pièces évoluent côte à côte, en miroir. « C’est un test pour savoir ce qu’elles vont produire l’une sur l’autre. Peuvent-elles se nourrir réciproquement ? » Rien n’est fixé d’avance. Armin Hokmi travaille en dialogue ouvert, laissant les œuvres se contaminer, se répondre, se déplacer mutuellement.

La recherche comme moteur

L’art d’Armin Hokmi est une recherche permanente. Une quête du point d’origine, de la sensation primitive, avant que l’affect ne prenne forme, avant que le mouvement ne devienne langage. Un art brut, au sens le plus sensible du terme, où l’identité se construit dans le geste même de chercher.

L’association avec Montpellier Danse se prolonge jusqu’en 2026. Déjà, Hokmi pense à la suite. Deux titres lui trottent en tête : Troupe et Ensemble. Des titres ouverts, sans structure arrêtée, qui prolongent la même interrogation : « Qu’est-ce qui nous rassemble ? »


Of the Heart – an Etude d’Armin Hokmi
Montpellier Danse
Cour de l’Agora
Du 23 au 25 juin 2025

Durée 40 min environ

Concept et chorégraphie d’Armin Hokmi
Conçu avec et interprété par Katherina Jitlatda Horup Solvang
Créé avec Aleksandra Petrushevska, Emmi Venna, Daniel Sarr, Charlotte Utzig, Johanna Ryynänen
Costumes de Moriah Askenaizer et Cecilio Orozco
Création musicale d’ehsan & HEiCH
Espace – Felipe Osorio Guzman

Bande-Annonce de Of the Heart – an Etude d’Armin Hokmi © Montpellier Danse

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.