© Stéphane Pitti
Gaël Kamilindi © Stéphane Pitti

Gaël Kamilindi : Le chant du souvenir

Ce printemps, après une belle tournée en Europe, le comédien est de retour Salle Richelieu dans Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues. Pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2017, il trace un parcours singulier, entre mémoire intime, présence scénique et création cinématographique.

Il parle doucement avec la précision d’un taiseux qui a appris à composer avec les silences. Dans le foyer des comédiens du Français, silhouette gracile d’adolescent, Gaël Kamilindi habite l’espace avec une aisance à la fois fragile et naturelle.

Né à Kinshasa en 1986, il grandit à Genève par la force des événements. « Ma mère était rwandaise. Jusqu’à mes cinq ans, j’ai vécu avec elle entre le Congo et le Burundi. Puis, elle est décédée. Une de ses sœurs m’a recueilli et m’a emmené en Suisse, où, à sept ans, une autre de mes tantes m’a adopté. Nous espérions rentrer au Rwanda. Nous n’avons jamais pu. Quelques mois plus tard, le génocide des Tutsis éclatait. »

Hécube pas Hécube de Tiago Rodrigues © Alex Kat
Hécube pas Hécube de Tiago Rodrigues © Alex Kat

C’est le début de l’exil, ou du moins de la sensation d’être si loin de lui, de ses racines. Il faut composer, se construire une nouvelle identité. Très vite, il forme un trio avec Max et Tadeo, des enfants de son âge. « Nous faisions tout ensemble. On était comme des frères. La seule chose qui nous séparait, c’était le théâtre. Ils s’étaient tous les deux inscrits à des cours. Et je ne sais pourquoi, je ne les avais pas suivis. Je les regardais de loin. Tous les mercredis, ils faisaient cela sans moi. J’étais jaloux, curieux et envieux. Ils avaient un temps ensemble dont j’étais exclu.»

Puis Gaël Kamilindi assiste à une représentation de leur spectacle de fin d’année, une adaptation du Petit Prince. C’est le choc. «J’étais bouche bée. Mes amis racontaient une histoire, avec leurs corps, leur voix. Je pense que c’était ma première stupéfaction théâtrale. L’année suivante je les ai rejoints. Je suis d’ailleurs le seul de nous trois à avoir poursuivi dans cette voie.»

À 13 ans, il entre au Conservatoire populaire de Genève tout en continuant parallèlement ses études. Il obtient sans difficulté sa maturité, l’équivalent suisse du Bac. Et après un bref détour par l’ethnologie et le journalisme, il choisit définitivement la scène. «Une prof, qui avait senti en moi un certain potentiel, m’a encouragé à m’inscrire dans une école à plein temps.» Deux années de préparation et une série de concours plus tard, dont un stage à l’École du TNS, il intègre en 2008 le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, où il suit notamment les classes de Dominique Valadié et d’Alain Françon.

Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène Denis Podalydés © Christophe Raynaud de Lage
Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène Denis Podalydés © Christophe Raynaud de Lage

Lors de la formation qui dure trois ans, il découvre l’autonomie et la rigueur. « Je passais mon temps à attendre qu’on me dise quoi faire. Dominique Valadié m’a appris que si on attendait trop, on peut attendre toute une vie. » Il suit ses cours d’interprétation, où elle ne forçait personne à présenter une scène. « C’était à chacun de proposer une scène. J’ai mis un an à comprendre. Après être resté assis à regarder les autres, à partir de la deuxième année, je me suis lancé. » Mais c’est dans les cours de danse de Jean-Marc Hoolbecq et Caroline Marcadé qu’il éprouve ce que signifie la présence au plateau. « Comprendre l’espace, ressentir son corps dans la scène. C’est un éveil. »

Peu après sa sortie, il croise la route de Bob Wilson. Les Nègres de Jean Genet devient une rencontre déterminante. «J’ai longtemps cru que ma maniaquerie était un défaut. Wilson m’a montré qu’on pouvait aimer la précision sans que ce soit maladif.Ce fut une double rencontre avec ce qu’il me demandait d’atteindre et la pression que je me mettais pour me dépasser et tendre vers la perfection que je m’imposais. Une manière de reconnaître que l’exigence pouvait être une beauté. Ce travail m’a permis de mieux comprendre ma propre rigueur, de l’assumer comme une force.»

Le Dernier Testament de James Frey, mise en scène de Mélanie Laurent © Jean-Louis Fernandez

En 2016, alors qu’il joue dans Phèdre de Krzysztof Warlikowski à l’Odéon, il est approché par Éric Ruf, qui souhaite le faire entrer dans la foulée à la Comédie-Française. Mais son emploi du temps ne lui permet pas d’accepter. « Il y avait non seulement encore quelques dates de tournée à honorer, puis j’étais engagé sur Le Dernier Testament de Mélanie Laurent, à Chaillot. » Ce spectacle, écrit à partir des textes de James Frey, reste pour le comédien une expérience marquante. « Ce fut une aventure très forte, un grand amour partagé. Sans doute aussi à cause de la matière que nous avons malaxée ensemble, nous avons été plusieurs à devenir les doigts d’une même main. Ces liens-là sont restés très forts. On forme encore aujourd’hui une véritable famille. C’est le seul spectacle où les liens se sont maintenus à ce point. »

Il rejoint finalement la troupe quelques mois plus tard, en février 2017, pour reprendre le rôle de Gennaro dans Lucrèce Borgia, aux côtés d’Elsa Lepoivre. « Ce personnage m’a accompagné sur plusieurs saisons. Un rendez-vous marquant. » S’enchaînent alors Angels in America, pièce emblématique des années sida et dont le message lui semble encore et toujours nécessaire, Le Mariage forcé où il retrouve Louis Arene et Lionel Lingesler, ses amis du conservatoire, Électre/Oreste, et Hécube, pas Hécube au Festival d’Avignon l’an dernier. « À  la carrière Boulbon, le vent faisait voler nos vêtements. Le ciel, la roche, tout devenait mythologique. On était portés par les éléments. Cela résonnait avec les deux tragédies, l’antique et la contemporaine, que Tiago (Rodrigues) avait mêlées. »

Angels in America de Tony Kuschner, mise en scène d’Arnaud Desplechin © Christophe Raynaud de Lage

Mais l’institution ne le retient pas exclusivement. «Le théâtre, pour moi, c’est voyager. J’ai besoin de mouvement. D’un équilibre entre nomadisme et sédentarité.» La tournée d’Hécube, pas Hécube est l’occasion de respirer. «Chaque pays où l’on a joué projette ses propres douleurs sur cette tragédie. Elle parle à tous.»

En parallèle, Gaël Kamilindi entame un autre voyage, vers ses racines et surtout vers sa mère, par l’image. Il réalise didy, un documentaire co-signé avec François-Xavier Destors« Au départ, je voulais juste enregistrer mes tantes. Et puis j’ai compris qu’il me manquait des morceaux pour reconstituer son visage. » Ce projet, qui durera sept ans, devient un geste d’amour et de mémoire. « Il fallait qu’on les voie, ces femmes qui disent tant dans le silence. Elles sont magnifiques. » Le film explore les mémoires croisées de plusieurs générations, jusqu’au génocide de 1994.

Aujourd’hui, il prépare un court-métrage de fiction qu’il tournera en août au Rwanda et écrit un film où il sera à la fois devant et derrière la caméra. «Je m’écris les rôles qu’on ne me propose pas. J’ai retenu ça du Conservatoire : il faut faire soi-même.» Le cinéma ne remplace pas le théâtre, bien au contraire. «On est faits de multiples possibles. Pourquoi choisir ?»

Mais quelle comédie ! de Marina Hands et Serge Bagdassarian © Chloé Bellemère

Après des mois, hors les murs, Gaël Kamilindi retrouve enfin sa loge place Colette et les ors de la salle Richelieu, où il joue en alternance Le Bourgeois Gentilhomme, mis en scène par Valérie Lesort et Christian Hecq, et la pièce de Tiago Rodrigues. 

En septembre, il reprendra Le Mariage forcé au Vieux-Colombier, avant de plonger dans une nouvelle aventure sous la direction d’Emma Dante avec Les Femmes savantes.  Je m’en réjouis énormément. Elle a un univers très affirmé. J’aime qu’on m’imagine ailleurs, comme un cintre capable de porter plusieurs costumes… comme un masque aux multiples visages… et ainsi disparaître dans les visions des metteurs et metteuses en scène, tout en cherchant un équilibre avec ma singularité d’acteur. »

Quant à Hécube, pas Hécube, il y retrouve l’essence même de son art, l’écoute, la disponibilité. « Je travaille beaucoup dans le silence. Juste respirer, être là, pleinement. C’est peut-être cela la présence. »


Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues d’après l’œuvre d’Euripide
Spectacle créé au Festival d’Avignon, Carrière de Boulbon, le 30 juin 2024
Comédie-Française – Salle Richelieu
Du 28 mai au 21 juillet 2025
Durée 2h 

mise en scène de Tiago Rodrigues
Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi 
Traduction de Thomas Resendes 
Scénographie de Fernando Ribeiro 
Costumes de José António Tenente 
Lumière de Rui Monteiro 
Musique et son de Pedro Costa 
Collaboration artistique – Sophie Bricaire


Le Bourgeois Gentilhomme de Molière
création le 18 juin 2021 à la Comédie-Française
Durée 2h20

Reprise
7 mai au 14 juillet 2025 Salle Richelieu de la Comédie-Française

Mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq assisté de Florimond Plantier
Avec Véronique Vella, Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Laurent Stocker, Guillaume Gallienne, Christian Hecq, Nicolas L’ormeau, Clément-Hervé Léger, Gaël Kamilindi, Yoann Gasiorowski, Jean Chevalier, Géraldine Martineau, 
et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Antoine de Foucault, Nicolas Verdier, 
et Rémy Boissy, les musiciens Ivica Bogdanic, Julien Oury, Alon Payet, Victor Rahola, Martin Sccardy
Scénographie d’Éric Ruf assisté de Julie Camus
Costumes de Vanessa Sannino assistée de Claire Fayel de l’académie de la Comédie-Française
Lumières de Pascal Laajili
Musiques originales et arrangements de Mich Ochowiak et Ivica Bogdanić
Travail chorégraphique de Rémi Boissy
Marionnettes de Carole Allemand et Valérie Lesort

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