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Electre/Oreste, la tragédie radicale et organique d’Ivo van Hove

A la Comédie Française, Ivo van Hove met en scène la tragédie des Atrides d'après deux textes d'Euripide.

Salle Richelieu, Ivo van Hove fait entrer au répertoire du Français deux pièces d’Euripide et invite à plonger dans la funeste et cruelle histoire des Atrides. Menée avec une froide rigueur par le metteur en scène belge et habitée viscéralement par une troupe virtuose, cette fresque familiale faite de vengeances sanglantes, de radicalisation froide et de meurtres barbares, révèle les sauvageries primitives du théâtre à l’antique. 

Une boue noire, collante, a envahi le plateau de la Comédie Française. Des ors du palais de ses ancêtres, il ne reste à Électre (Impressionnante Suliane Brahim), tête rasée, chevelure sacrifiée aux dévotions à Agamemnon son père, mort sous les coups fatals de sa mère Clytemnestre (impériale Elsa Lepoivre) et de son amant Egiste, que de vague souvenirs. Sang noble, princesse aimée des mendiants, elle a trouvé refuge dans la fange auprès d’un époux pauvre (impassible Benjamin Lavherne), mais respecte sa royale personne. Vivant de la haine de celle qui l’a fait orpheline, elle rêve de justice, non celle douce des hommes, mais bien celle cruelle, implacable des dieux. 

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Le retour incognito dans les faubourgs putrides d’Argos de son frère, le vaillant Oreste (extraordinaire Christophe Montenez) et de son compagnon de galère, Pylade (formidable Loïc Corbery), va précipiter ses désirs intransigeants, inébranlables de vengeance en réalité. Soufflant de sa féroce et terrible faconde ses dessins de matricide à toute une assemblée, de mendiants, la belle Électre guide le bras meurtrier de son benjamin et précipite sa famille dans la plus sanglante tragédie. Le destin est en marche. Les jours des derniers Atrides semblent comptés, emportés par la colère d’un peuple, la lâcheté d’un oncle (épatant Denis Podalydès), l’impartialité d’un grand-père (majestueux Didier Sandre), la frivolité d’une mère et de leur sœur, la belle Hélène. Seul l’intervention de dieux joueurs pourrait modifier l’inévitable et mortifère fin.

Décorsetant la tragédie antique des Atrides de ses carcans ancestraux et conventionnels, Ivo van Hove, invite à une plongée organique dans les affres cyniques de la radicalité vengeresse d’une jeunesse qui n’a plus à rien à perdre. Réunissant en une seule pièce deux œuvres d’Euripide, le directeur du Toneelgroep Amsterdam, a sa manière toujours très clinique d’aborder les drames, il dépeint avec une lucidité glaçante, les mécanismes psychologiques menant inévitablement un individu, un groupe, à la barbarie, à une violence sourde, incontrôlable. S’appuyant sur le texte âpre du dramaturge grec, il donne à l’ensemble une profondeur crue, viscérale, d’une rare contemporanéité qui devrait toucher au cœur mais rate de peu sa cible. L’effet lissant des micros, peut-être une froideur trop appuyée dans la mise en scène, empêchent de totalement s’immerger dans ce déchaînement de bestialité, de sauvagerie, pourtant parfaitement souligné par la musique d’Eric Sleichim, jouée en direct par trois percussionnistes. 

Dans ce déluge de terre grasse, humide jetée en l’air par des poignées de mains impies, et de sang recouvrant les visages assassins d’enfants relégués au ban de la société par une mère frivole, blessée par un mari plus guerrier qu’aimant, les comédiens du Français se démènent comme de beaux diables.

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Hantés par cette haine qui colle à l’âme comme la boue au corps, tous, du chœur aux protagonistes du drame, convient le spectateur à de biens angoissantes et hypnotiques transes d’un peuple assoiffé de chair, chorégraphiées par le belge Wim Vandekeybus. Portés par une troupe virtuose, soulignons en particulier la partition noire de Suliane Brahim, celle toute en fragilité maîtrisée de Christophe Montenez et enfin irradiante d’Elsa Lepoivre.

Malgré quelques réserves que le temps devrait gommer, Electre/Oreste, qui sera visible dans plus de 300 salles de cinéma, le 23 mai prochain dans le cadre de Pathé live,  fait une entrée fracassante à la Comédie-Française, tout comme Les Damnés de Visconti , il y a de cela deux saisons. Un carnage scénique sans précèdent dont la crudité n’a d’égal que la cruauté. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Electre / Oreste d’Euripide
Comédie Française – salle Richelieu
1, place Collette
75001 Paris
Jusqu’au 3 juillet 2019
Durée 2h00 

Spectacle diffusé en direct dans le cadre de Pathé Live dans plus de 300 salles de cinéma en France et à l’étranger le Jeudi 23 mai 2019 à 20h15 
Reprises au cinéma le 16 juin à 17h, les 17 et 18 juin à 20h 

TOURNÉE INTERNATIONALE le 26 et le 27 juillet 2019 au Théâtre antique d’Épidaure, Grèce 


Mise en scène d’Ivo van Hove asisté de Laurent Delvert 
Traduction de Marie Delcourt-Curvers 
Version scénique de Bart Van den Eynde et d’Ivo van Hove 
Scénographie et lumières de Jan Versweyveld assisté de Roel Van Berckelaer 
Avec Claude Mathieu, Cécile Brune, Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Bruno Raffaelli, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Suliane Brahim,Benjamin Lavernhe, Didier Sandre, Christophe Montenez, Rebecca Marder, Gaël Kamilindi, et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Peio Berterretche, Pauline Chabrol, Olivier Lugo, Noémie Pasteger, Léa Schweitzer et les musiciens en alternance Adelaïde Ferrière, Emmanuel Jacquet, Rodolphe Théry, Othman Louati, Romain Maisonnasse, Benoît Maurin 
Costumes d’An D’Huys assistée de Sylvie Lombart 
Musique originale et concept sonore d’Eric Sleichim 
Travail chorégraphique de Wim Vandekeybus 
Dramaturgie de Bart Van den Eynde 

Crédit photos ©Jan Versweyveld

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