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Le Dernier Testament, sage et naïve adaptation du roman trash de James Frey

Après le cinéma, Mélanie Laurent s'attaque au théâtre et dévoile à Chaillot son Dernier testament.

Pour sa première mise en scène, Mélanie Laurent a vu trop grand. Rêvant d’une société plus humaine, elle ne pouvait passer à côté du roman de James Frey qui voit le retour d’un messie athée tendance hippie dans un New York en perdition. Malgré la belle scénographie de Marc Lainé, l’engagement passionné, un brin naïf, de la comédienne, le conte trash du trublion littéraire américain reste trop sage. Dommage !

La scène est recouverte de terre brune, grasse. Dans un halo de lumière, un jeune homme s’avance, enfonçant ses pas dans le sol. Rapidement, il se présente, parle des origines de son nom – Gaël Muntangana (touchant Gaël Kamilindi)  qui signifie en rwandais prince blanc généreux qui ne connaît pas la haine –, de son métier et de sa rencontre avec un certain Ben Jones. Avocat, il a dû défendre ce dernier dans un affaire sombre de coups et blessures, de violences. Il raconte l’aura de cet homme, sa force tranquille, son influence apaisante.

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Puis c’est un autre carré de terre qui est éclairé. Au centre, une jeune femme, la peau ébène, elle se lance, elle aussi, dans une narration semblable. Elle se souvient de la première fois où elle a fait la connaissance de cet étrange individu. Alcoolique et égocentré, seul blanc dans un quartier de noir, il a changé du tout au tout après un accident qui aurait dû lui coûter la vie. Devenu omniscient suite à des crises d’épilepsie, il apporte du baume au cœur à une société blessée, estropiée, malmenée.

Récit après récit, se dessine le portrait de ce nouveau messie trash qui préfère la compagnie des SDF vivants dans les souterrains de la mégapole à celle des nantis hautains grouillants à la surface. Homme d’un dieu universel, loin des dogmes religieux, il prêche l’amour, la liberté sexuelle, réfute la véracité des textes sacrés et prône une vie au plus prés de la nature. Personnage ambivalent, presque naïf, il rêve d’un monde plus humain et s’adonne avec malice aux délices de la chair tant avec des hommes qu’avec des femmes. Sulfureux, subversif, dans une société normée, catégorisée et limitée, il est pour les adeptes du prêchi-prêcha, les amoureux de la pensée unique l’antéchrist.

Femme engagée, Mélanie Laurent a été séduite par ce conte âpre et dérangeant qui a fait scandale Outre-Atlantique tout particulièrement chez les membres du Tea Party. Travailleuse acharnée, durant 3 ans, elle s’est attelé avec Charlotte Farcet à adapter pour le théâtre, faute d’avoir les droits pour le cinéma, le roman-fleuve de James Frey, Le Dernier Testament de Ben Zion Avrohom. Malgré sa détermination, ses idées ingénieuses et ses qualités humaines, elle achoppe par trop de naïveté et de bons sentiments à saisir toute la noirceur, toute l’ambiguïté trash de ce messie contemporain. Trop sage, trop narratif, trop monotone, le spectacle se perd dans les méandres de l’ennui et n’arrive pas à retenir l’attention du public.

Ce n’est pourtant pas faute de moyens. En effet, pour sa première création théâtrale, la comédienne et réalisatrice a bénéficié de belles subventions. Pour sans convaincre, il suffit d’admirer l’onirique scénographie de Marc Lainé, particulièrement soignée, rappelant celle de grands metteurs en scène contemporains, et la talentueuse distribution.

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Si le spectacle manque cruellement de rythme, le jeu des comédiens évite le naufrage. Gaël Kamilindi, tout nouveau pensionnaire de la Comédie-Française, est bouleversant. Mêlant sa propre histoire à celle du récit de James Frey, il insuffle au spectacle une vraie authenticité en l’encrant dans la banalité du quotidien. Jocelyn Lagarrigue est un messie touchant, lunaire. Son interprétation, très intériorisée, offre à son personnage une étonnante et singulière intensité qui lui donne des allures de Christ New Age particulièrement convaincant. Enfin, la lumineuse Lou de Lââge imprègne à l’ensemble une douceur féroce, une compassion fascinante.

Bien que le spectacle mériterait d’être allégé de scènes superflues et inintéressantes, telle celle du chœur dans la salle, ne boudons pas notre plaisir. Péchant certainement par excès de confiance et d’ambition, Mélanie Laurent a vu trop grand et a bien du mal à tenir notre attention sur la longueur. Elle a toutefois le mérite d’avoir essayé et pour une première mise en scène, livre une œuvre esthétique et poétique dont elle n’a nullement à rougir.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Le Dernier Testament de Mélanie Laurent
Théâtre national de danse de Chaillot – Salle Jean Vilar
1 place du Trocadéro
75116 Paris
Jusqu’au 3 février 2017
Durée 2H15

D’après Le Dernier Testament de Ben Zion Avrohom de James Frey
Adaptation de Mélanie Laurent et Charlotte Farcet
Mise en scène de Mélanie Laurent assistée de Amélie Wendling
Dramaturgie de Charlotte Farcet
Scénographie de Marc Lainé et Stephan Zimmerli
Création Lumières de Philippe Berthomé
Chorégraphie d’Arthur Perole
Musiques de Marc Chouarain en collaboration avec Mélanie Laurent
Costumes de Béatrice Rion
Maquillage et coiffure d’Heidi Baumberger
Vidéo de Renaud Vercey
Réalisation et régie son de Maxime Imbert
Avec Olindo Bolzan, Stéphane Facco, Gaël Kamilindi, Lou de Lââge, Jocelyn Lagarrigue, Nancy Nkusi, Morgan Perez

Crédit photo © Jean-Louis Fernandez

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