Jean-Benoît Patricot © MCN

Jean-Benoît Patricot, un dramaturge terriblement humain

Jean-Benoît Patricot démarre l’année avec "Old Up" et "L’Aquoiboniste", rencontre avec un auteur qui aime aborder des sujets qui nous touche.

Le rendez-vous à lieu au Select quelques jours avant Noël. La décoration de cette brasserie mythique de Montparnasse est des plus parisiennes. Jean-Benoît Patricot s’est installé en terrasse, couverte bien sûr. Lorsque je lui demande pourquoi il a choisi cet endroit qui fut un des lieux de rendez-vous de l’intelligentsia parisienne de l’entre-deux-guerres, il répond tout simplement que puisque l’attachée de presse lui avait suggéré Montparnasse. Alors, il a pensé au Select, parce que c’est « le fief » de la comédienne Catherine Jacob, pour qui il a écrit Agathe Royale. Il n’a pas osé La Coupole, juste en face, car son beau-père, qui était peintre, « y avait sa table ».

Jean-Benoît Patricot - Le Select © MCN
© MCN

Jean-Benoît Patricot est un homme discret, réservé, qui n’aime pas trop parler de lui. Il y aura de beau silence dans notre conversation. Cet ancien pharmacien est un homme d’écoute. C’est ainsi, que dans son officine du IXe arrondissement, il a nourri cette écriture si « encrée » dans les choses de la vie. « Quand tu es pharmacien, tu brasses l’humanité. Cela va de la naissance à la mort. » Il est vrai que bien des gens n’y viennent pas qu’acheter des remèdes, mais aussi pour trouver une oreille attentive. « Du coup cela m’a laissé le goût de ça, de parler des gens et de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. » Il avoue avoir été un piètre commerçant car, dans l’empathie avec sa clientèle, il a toujours eu une conscience sociale. « J’étais un des rares pharmaciens dans le IXe à faire de l’aide médicale gratuite ! Quand je suis parti, j’avais des milliers de francs de dettes. Mais c’est un choix que j’ai fait. »

Toutes ses pièces abordent des thèmes sociétaux dans lesquelles il n’hésite pas à parler du handicap (Darius), du viol (Pompier(s)), du droit de mourir (Voyage à Zurich), de la vieillesse, de la solitude… Il donne souvent la parole à « ces gens qui n’ont pas le langage, pas les mots. Ça aussi, c’est lié à mon histoire personnelle avec mon fils », qui lui inspira Darius. Ce fils, il lui rend hommage dans le magnifique ouvrage qu’il co-signe avec Francesca Pollock, À la rencontre de Ferdinand, paru chez H Édition. Ces deux prochains spectacles Old Up et L’Aquoiboniste ne dérogent pas à la règle, la première donne la parole à une aide-soignante d’un EHPAD et le second à un homme que l’on croit mort. « Un seul en scène pour une femme et un seul en scène pour un homme, je suis très attaché à la parité ».

Jean-Benoît Patricot - Uld Up © DR
Tessa Volkine dans Old Up © DR

Ce spectacle est un projet collectif entre Jean-Benoît Patricot, la metteuse en scène Catherine Schaub et la comédienne Tessa Volkine, amorcé bien avant la Covid. « J’ai rajouté un paragraphe sur le sujet parce que cela a été la pire situation que l’on pouvait imaginer qui nous est arrivée ». Tous les trois se sont immergés dans le quotidien d’un EHPAD municipal, un de ceux « qui ne cherchent pas à faire de bénéfices. Car faire des bénéfices sur la déficience, c’est quand même un peu compliqué. La pièce parle de cette dichotomie en le soin et le bénéfice. Comment on traite les personnages âgées. Comment on les évacue de notre vue et même de notre vie. Tessa a même fait la toilette des résidents ! Elle est entrée dans la peau d’une aide-soignante. » Mais, ce n’est pas pour autant une pièce documentaire. « Je tenais à ce que cela soit écrit, pour lui donner une dimension, du vécu », porté par Tessa Volkine, qui lui a été présenté par Catherine Schaub. « J’adore sa gouaille, sa voix tellement particulière. J’adore les voix étranges, les voix à caractère. J’ai eu tout de suite envie de lui donner des choses à dire, de la mettre en colère, de faire apparaître toute sa puissance. Cela a été un régal de lui écrire ce texte. »

Jean-Benoît Patricot - L'Aquoiboniste © Cédric Vasnier
Bertrand Skol dans L’Aquoiboniste © Cédric Vasnier

Le texte de L’Aquoiboniste a été écrit tout spécialement pour Bertrand Skol. Le comédien avait posté sur Facebook qu’il venait de lire une nouvelle de Zola, La mort d’Olivier Bécaille, qui ferait une pièce superbe. « Comme c’est le genre d’aventure que j’aime, je me précipite sur la nouvelle qui raconte l’histoire d’un homme qui se réveille dans son lit mais tout le monde dit qu’il est mort. L’aboutissement chez Zola était que sa femme se mariait avec le voisin du dessus, s’élevant ainsi socialement et que le « mort » s’éclipsait. Ce qui ne m’intéressait pas. En revanche, en lisant cet état de mort, alors que le type est toujours vivant, j’ai pensé au deuil. J’en ai parlé à Bertrand. Tous les deux, nous avons été veufs très tôt. On a ressenti la même impression, d’être en terrain connu. Nous avons donc pris ce point de départ. » Le spectacle a été présenté avec un beau succès au Festival Off d’Avignon, en 2022, à l’Épicène. La prestation du comédien, lui a valu de remporter le prix Cyrano du meilleur comédien. « Il est étonnant. Il joue beaucoup avec son corps. Pour cette histoire de fantôme, c’était intéressant d’avoir cette présence qui est en même temps contredite par le texte. »

Suite à la fermeture brutale du théâtre des Déchargeurs, le spectacle, normalement programmé pour l’automne 2023, s’est retrouvé sans lieu. « C’était triste de ne pas pouvoir jouer. La solidarité a beaucoup joué après l’annonce de l’annulation des représentations. Beaucoup de salles se sont proposées mais elles étaient trop grandes. Ce spectacle a besoin d’une certaine intimité, d’une proximité avec le public. On a cherché une solution, la Scène Libre est arrivée. On y a toute liberté. »

En lisant la fiche biographique de Jean-Benoît Patricot, on apprend que très jeune, il avait envoyé un scénario à lire à Truffaut. « Sur un cahier d’écolier ! Je l’ai retrouvé mais je n’ose pas le relire ! » Le cinéaste, alors aux États-Unis sur le tournage de Rencontres du troisième type, s’ennuyant, lisait tout son courrier. « Quand il est rentré, il m’a envoyé la plus belle lettre de ma vie. Celle-là, je la relie. Des encouragements comme ça ! On est toute une génération de jeunes gens, que l’on peut appeler les « enfants de Truffaut », à avoir reçu une lettre où il était dit : allez-y ! » La vie en a décidément autrement. Avec beaucoup de pudeur, il raconte que le décès de sa femme en 1994, le laissant seul avec quatre enfants, l’a « obligé à arrêter d’écrire et de reprendre mon métier à plein temps. Il m’a fallu quinze ans pour m’en remettre ».

Jean-Benoît Patricot - Pompiers
Géraldine Martineau et Antoine Cholet dans Pompier(s) © Giovanni Cittadini Cesi – Théâtre du Rond-Point

« Je m’appelle Jean-Benoît Patricot de Beaumarchais, car c’est grâce à la fondation Beaumarchais que j’existe. Après avoir écrit mon premier roman (Le roi c’est moi, éditions Buchet-Chastel), j’étais à sec. Je me suis souvenu d’un fait divers lu dix ans plus tôt dans Libération. Avec la documentaliste du journal, on en a retrouvé la trace. J’ai écrit les 20 premières pages de Pompier(s) que j’ai envoyées à la Fondation en me disant que s’il ne me donnait pas le prix, je m’arrêterais. Mais ils m’ont récompensé. J’ai découvert la fin du fait divers que je ne connaissais pas. J’ai terminé la pièce. Ensuite, elle a circulé. Catherine Schaub devait la créer mais n’ayant pas alors trouvé la distribution, le projet est passé dans les mains de Serge Barbuscia qui l’a montée, avec William Mesguich, en Avignon. Trois ans après, Catherine ayant trouvé enfin l’actrice, s’en est emparée et a présentée sa version au Rond-Point. » Avec succès et une nomination aux Molières pour Géraldine Martineau.

C’est la pièce avec laquelle nous avons fait vraiment connaissance avec l’auteur. « Je suis les deux personnages, l’homme et la femme ». Pour cette seconde pièce, il reçoit une bourse d’écriture et le Prix Durance-Beaumarchais SACD. Son texte est lu au festival de la correspondance de Grignan par Marie Bunel et Patrick Catalifo. Ensuite, il a cherché qui pourrait interpréter l’héroïne. « Je pensais que la valeur morale de la comédienne devait être en adéquation avec celle du personnage. C’est comme ça que je suis allé à la sortie d’un théâtre tendre mon manuscrit à Clémentine Célarié. Elle a pensé à Pierre Cassignard. Ces deux-là s’entendaient merveilleusement bien ! Bref, en trois jours, c’était monté, avec Anne Bouvier à la mise en scène et Jérôme Foucher à la production. » Nous évoquons la comédienne Catherine Aymerie qui incarna brillamment le personnage de Claire dans la mise en scène d’André Nerman.

Pierre Cassignard affiche de Darius

Lorsqu’on lui demande comment il est arrivé à écrire pour le théâtre, il sourit, puis cherche dans ses souvenirs. « C’est toujours compliqué de raconter les débuts. J’étais un enfant mutique et j’ai appris la parole avec le théâtre ». Pourtant, Comme beaucoup, sa famille n’avait pas de culture théâtrale, « mais j’étais attiré par ça ». Ses premières expériences se font avec les spectacles de Robert Hossein. « En même temps, je me disais qu’il devait y avoir autre chose ». À l’époque, son grand copain était au conservatoire. Celui-ci s’est fait connaître en tant qu’écrivain sous son nom, Yves Dangerfield, et comme comédien sous celui de Vincent Vallier. Ce jeune homme mort trop jeune du Sida, amoureux fous des grandes comédiennes, lui a servi de modèle pour le personnage masculin, d’Agathe Royale.

« Mon ami m’emmène voir à Chaillot, Tombeau pour 500 mille soldats mis en scène par Vitez et d’autres pièces hallucinantes ! Je sortais de là furieux ! En fait, j’étais tellement bouleversé que je ne pouvais que hurler. Quand j’ai vu La Danse du diable de Caubère, je suis littéralement resté scotché sur mon siège. J’étais foudroyé ! Je voulais ressentir ça, faire ça, je voulais cette puissance du théâtre. Il y avait aussi Nanterre, Chéreau… Tous ces spectacles on fait un magma en moi. Il me fallait être dedans. » Sa première véritable entrée dans le théâtre, fut en 1987, avec l’adaptation de l’œuvre d’Horace McCoy, On achève bien les chevaux, qu’il co-signe avec Yves Dangerfield et la metteuse en scène Micheline Khan. « Une terrible aventure ! Le jour de la couturière, on s’est rendu compte que lorsque la salle du Cirque d’Hiver était pleine de monde, on n’entendait pas les artistes. À l’époque, on ne pouvait pas microter ! On aurait dû arrêter mais on a continué ! ».

Avant de nous quitter, je lui demande où il en est dans ces projets. « Avec mon agent Laurence Coudert, on a fait le bilan. J’ai quatre pièces sous le coude, toutes avec des thèmes très variés. Des histoires sociétales bien sûr, sauf une plus personnelle que j’aimerais monter avec Charles Templon. Mais comment trouver des producteurs ? Comment faire pour allumer la mèche ? Pourquoi au théâtre, cela prend tant de temps ! ». Pour que Old Up et L’Aquoiboniste vivent, il a dû prendre la casquette de producteur, ce qui n’est pas, comme il l’avoue, « l’endroit où je suis le plus efficace ! ».


Old Up de Jean-Benoît Patricot
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris.
Du 17 janvier au 18 février 2024.

L’aquoiboniste de Jean-Benoît Patricot
La scène Libre
4 boulevard de Strasbourg
75010 Paris.
Du 1er février au 24 mars 2024.

Les deux textes sont édités aux éditions Les Cygnes

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