Errances confinées

Confiné à Paris, Charles Templon livre son regard(s) sur le moment présent, ses angoisses, ses envies.

On me propose d’écrire quelques mots. On n’a pas grand-chose à raconter. On sauve des vies à notre façon. On reste à la maison.

Je vis.
Je vis au milieu des cartons, chez moi à Paris.
Je vis avec Nanni Moretti
Enfin, pas avec lui précisément. Avec son sosie.
Avec Nanni, on devait déménager …

Le Devoir. On utilise plus le verbe que la notion.
 On devait terminer la tournée de La Ménagerie de verre
On devait participer au festival des Mises en Capsules.
On devait passer son permis.
On devait préparer le festival d’Avignon.
On devait acheter des poules.
On devait faire beaucoup trop de choses de toute façon.

Alors à la place, on fait des quiches.
 Parce que je n’ai pas du tout envie de déclamer des vers sur mon balcon.
De toute façon je n’en ai pas !
Par contre, l’expérience unique de la lecture d’un texte par téléphone, avec les spectateurs de La Colline, me plaît énormément.

Après s’être sentis bien inutiles pendant plusieurs jours, comme j’espère j’imagine tous les saltimbanques de ce pays, avec Nanni nous nous sommes inscrits sur la plateforme solidaire de la AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris).
Mais, dès qu’on se propose à une mission – par exemple, apporter des plateaux repas aux personnels hospitaliers – nous ne sommes pas choisis !
On n’aurait pas dû écrire qu’on travaillait dans le cinéma et le spectacle vivant, ça fait pas sérieux …

Ce gigantesque temps calme est propice à la nostalgie. Elle m’emmerde. 
J’essaie de voir l’après, mais je n’y arrive pas.
Alors je vois maintenant. Quiche.

Propice aussi aux questionnements.
Xavier Dupont de Ligonnès a-t’il attrapé le Covid-19 ?
Et inversement ?
Feront ils passer un décret, pour les déserteurs et ceux qui sont restés à Paris, rapport aux places en terrasses l’été prochain ou places de parking ?

Sur mon bureau j’ai une grande photo encadrée. Quatre enfants Ni-Vanuatu en pagnes traditionnels qui éclatent de rire devant une chute d’eau.
C’est un souvenir de tournage qui date de 2008.
On était parti tourner une série pour France 2, à l’autre bout du monde. En équipe réduite nous étions restés plusieurs jours dans l’archipel du Vanuatu (entre l’Australie et la Nouvelle-Calédonie) où nous avions filmé des plans dans une tribu, sur l’île volcanique de Tanna. Il y avait eu de longs repérages et les cent personnes de la tribu nous attendaient depuis plusieurs mois. 

Sur cette île, ils n’avaient pas le téléphone, encore moins la télévision. Pendant longtemps ils ont refusé tout contact avec le monde extérieur.
Le chef du village qui s’appelait King Charles, 102 ans avec un seul chicot essayant de résister, m’expliqua dans sa langue ; le bichlamar (biche de la mer), traduit, que 30 ans auparavant ils pratiquaient encore le cannibalisme sur cette île et que ça lui manquait. 
J’ai imaginé oui comme tout devait être plus simple. 
Les habitants du Vanuatu sont considérés comme le peuple le plus heureux du monde.

Depuis leurs naissances, tous les jeunes de cette tribu n’avaient jamais vu une caméra. 
Pour la plupart ils étaient effrayés par cet objet. Et plus précisément par le retour-caméra, le fait de se voir à l’image. Comme la plupart des acteurs.
Après plusieurs jours de coutumes, cérémonies, d’approches et de répétitions, nous avions réussi à créer du lien, à jouer ensemble, à se donner la réplique !
Un cyclone destructeur passait au-dessus du pacifique et nous avions dû arrêter avant la fin du tournage. L’armée était venue nous chercher pour nous rapatrier à Nouméa. 
Dans la précipitation et les intempéries nous n’avions pas pu dire au revoir à tout le monde.
J’avais mal vécu ce moment.

Depuis le début du confinement, quand je m’assois face à cette image, et les 17 000 kilomètres qui nous séparent, je me pose cette question idiote à savoir ; sont-ils au courant dans cette tribu que plus d’un tiers de la population mondiale est confiné ?
Et seront-ils atteints ?

Au moment où j’écris ces mots, on m’apprend la disparition de Jean-Laurent Cochet.
Il a été mon professeur d’art dramatique. Il m’a appris à penser et à respirer.
Il a été mon père dans un pièce de Guitry. Il a chopé cette merde.
Revoilà la nostalgie.

Est-ce que nous reverrons nos vieux ?
Est-ce que nous rejouerons, dans un futur proche, tous masqués ?
Est-ce que les cessez-le-feu continueront ou bien tout recommencera ?

On devait mettre une tourte au maroilles dans le four.
La journée est déjà passée.
 On devrait tout changer.

Charles Templon, comédien et metteur en scène

M’man de Fabrice Melquiot

Jeanne de Jean Robert-Charrier

La Ménagerie de verre de Tennessee Williams

Les escargots sans leur coquille font la grimace de Juliette Blanche

Crédit photos © Emile Kirsch et © Xavier Lahache – JE Films / Tetra Media Fiction / Canal+

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