Vincent Garanger dans Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d'Emmanuel Noblet © Jean-Louis Fernandez
Vincent Garanger © Jean-Louis Fernandez

Vincent Garanger, les mots avant tout

Couronné du prix du Meilleur comédien par le Syndicat de la Critique, l'artiste angevin reprend cet été Article 353 du Code pénal au 11 • Avignon. Le spectacle, adapté du roman de Tanguy Viel, et mis en scène par Emmanuel Noblet.

Il a cette discrétion propre aux acteurs qui préfèrent s’effacer derrière les mots plutôt que de briller pour eux-mêmes. Et pourtant, sur scène, malgré un physique passe-partout, dont il ne se cache pas, il irradie, il fait vibrer les textes. Avec une aisance déconcertante, il passe d’un pauvre hère attendant qu’on s’occupe de lui dans un centre social (Welfare) à un assassin malgré lui (Article 353 du code pénal), d’un homme fou d’amour pour une photographe (Les Femmes de la maison) à un joyeux luron aux côtés d’un Philippe Torreton tout en verve (Lazzi). Sa silhouette, son phrasé direct et sans fioritures, sa capacité à être plutôt qu’à paraître sont devenus sa signature.

Les Femmes de la maison de Pauline Sales © Jean-Louis Fernandez
Les Femmes de la maison de Pauline Sales © Jean-Louis Fernandez

Présence magnétique – un comble pour cet artisan qui fuit les projecteurs -, Vincent Garanger avance dans le théâtre avec une élégance sans artifice. Ce qui compte avant tout pour lui, c’est le texte. Peu importe qui il est, ce qu’il est. Seuls les mots des auteurs méritent d’être mis en avant. C’est ce talent rare, ce don de passeur, qui lui a valu, deux jours avant notre rencontre, le prix de la Critique du Meilleur comédien remis sur la scène du Théâtre La Commune – CDN d’Aubervilliers.

Combattre une timidité maladive

Né dans les années 1960, à quelques encablures d’Angers, il découvre le théâtre à douze ans grâce à un professeur de français passionné, qui lui confie le rôle d’Argan dans Le Malade imaginaire. Le jour de la représentation, devant tout le collège, il se souvient avoir « plané ». Sur scène, la magie opère. L’enfant timide, qui préfère l’ombre à la lumière, se transforme. Le théâtre devient aussitôt un refuge, un territoire de liberté. Chaque année, il y revient, dans le cadre scolaire. Ce n’est pas un loisir, mais une respiration.

Dans son village du Maine-et-Loire, personne ne se projette dans une carrière artistique. On regarde Au théâtre ce soir, mais on ne va pas au théâtre. On se régale des vaudevilles, mais on lit peu. L’idée d’en faire un métier semble lointaine, irréaliste. Le bac en poche, à dix-sept ans, il demande à son père de l’emmener au théâtre. C’est un événement pour toute la famille et le premier contact avec ce monde qui deviendra le sien. Dans la foulée, pour faire plaisir à ses parents, il s’inscrit donc en droit à Angers, mais très vite, la scène le rattrape. Il entre au conservatoire de la ville, pousse la porte de la maison de la culture, découvre un autre monde. Un professeur, Jean Guichard, le pousse à tenter les grandes écoles à Paris. Il y croit.

Double formation, rencontres fondatrices

Il intègre d’abord la Rue Blanche, puis le Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Sept années d’une formation exigeante, durant lesquelles il forge son regard et sa pratique. « Je n’étais pas heureux à la Rue Blanche. Je ny ai jamais trouvé ma place. Je rasais les murs. Lexpérience a été tout autre au Conservatoire. Jai réussi à dépasser mes peurs, à m’émanciper. »

Lazzi de Fabrice Melquiot © Christophe Raynaud de Lage
Lazzi de Fabrice Melquiot © Christophe Raynaud de Lage

Deux rencontres le marquent profondément. Michel Bouquet, d’abord, dont il suit les cours pendant deux ans. « Je ne passe pas une journée sans penser à ce qu’il nous transmettait sur les auteurs. » Une parole sobre, précise, intransigeante. Il y apprend l’écoute du texte, la patience du plateau. Puis, lors de la dernière année de formation, Gérard Desarthe, plus fougueux, plus instinctif, qui l’encourage à chercher le jeu dans l’énergie, le mouvement, l’abandon. Deux maîtres, deux boussoles.

Une trajectoire fidèle au théâtre dauteur

Alors qu’il est encore élève, il monte Agatha de Marguerite Duras avec Fabienne Périneau, dans une mise en scène de Pierre Tabard. Un geste simple, décisif. À l’époque, il ne cherche pas la rencontre avec l’autrice. Elle s’impose, grâce à la passion de sa partenaire, à l’enthousiasme du metteur en scène, et à l’audace collective de demander les droits. Pierre Tabard connaît Duras, il la sollicite, elle accepte. Ils se rencontrent. Une pièce naît. Ils joueront au Rond-Point, dans la salle même où Vincent Garanger interprétera, des années plus tard, Article 353 du code pénal. Ce souvenir reste marquant. Non pas pour le prestige, mais pour la simplicité et l’évidence du geste artistique partagé.

À sa sortie, il travaille avec Jacques Lassalle, puis avec Roger Planchon, qui l’envoie sur les routes avec Georges Dandin. Un an de tournée à cinquante personnes. C’est d’ailleurs ce dernier, alors directeur du TNP à Villeurbanne, qui l’introduit à Alain Françon. Une rencontre décisive. Une bascule. Le travail avec le metteur en scène stéphanois reste pour lui une expérience fondatrice. Il entre dans une langue brute, étrangère, politique.

Les Pièces de guerre, au début des années 1990, marquent une césure. Il découvre alors ce que signifie porter une parole qui interroge le monde, qui trouble, qui provoque. Le texte d’Edward Bond, d’une radicalité nue, le transforme. « Ce n’était plus seulement joué, c’était porter quelque chose de l’ordre du témoignage. J’ai compris pourquoi je faisais ce métier. Je n’étais plus simplement interprète, je devenais passeur. » Depuis ce moment, chaque rôle devient pour lui un acte de transmission, une responsabilité. Alain Françon, dans cette exigence, cette précision textuelle, l’initie à une forme d’écoute radicale. « On ne faisait pas du théâtre pour plaire. On faisait du théâtre pour dire. »

Le goût du collectif
Welfare d'après le documentaire de Frederick Wiseman, adapté et mis en scène par Julie Deliquet © Christophe Raynaud de Lage
Welfare d’après le documentaire de Frederick Wiseman, adapté et mis en scène par Julie Deliquet © Christophe Raynaud de Lage

Amoureux du travail en troupe, il s’engage pleinement dans l’aventure de la Comédie de Valence à la demande de Philippe Delaigue, alors directeur du CDN. Il s’installe dans le Valentinois avec femme et enfants. Il y reste sept ans. Puis direction le Centre dramatique national de Vire, qu’il codirige avec Pauline Sales, son épouse et partenaire artistique. Ensemble, ils défendent sans relâche l’écriture contemporaine. Fabrice Melquiot, Samuel Gallet, Rémy De Vos ou Pauline Sales deviennent des compagnons de route.

Ancré dans les territoires, il mesure l’importance de faire vivre le théâtre loin des capitales culturelles. Le bocage normand devient un terrain d’expérimentation et de rencontres. Chaque soir, il s’agit d’attirer un public parfois peu habitué aux plateaux, de susciter la curiosité, de construire des moments de partage. « On a semé et jai limpression quon a laissé une modeste empreinte. »

La force du verbe dans Article 353 du code pénal

Dans cette pièce tirée du roman de Tanguy Viel, il incarne Kermeur, ce père taiseux qui, devant un juge, livre le récit de son geste fatal. Le long monologue repose sur la seule puissance du texte. Pendant des mois, Vincent Garanger s’immerge dans l’écriture de l’auteur brestois, travaille seul, mâche chaque phrase, cherche le rythme intime de cette parole qui se libère.

Puis vient le temps des répétitions « Avec Emmanuel Noblet, on ne s’encombre pas de psychologie. Tout passe par le verbe, par la musicalité des phrases. » Ce travail de dentellier lui permet de retrouver, selon ses propres mots, le geste originel de l’écriture, le moment où l’auteur couche ses mots sur la page.

Le succès du spectacle, aussi bien public que critique, le touche. Ce projet réunit tout ce qu’il aime : un texte fort, une aventure humaine, un dialogue artistique complice avec le metteur en scène et l’écrivain. Il parle d’une « alchimie rare », qu’il savoure avec une gratitude pudique.

Un théâtre qui interroge le monde

Ce qu’il cherche avant tout dans les pièces qu’il choisit de porter, c’est cette capacité à interroger notre monde, nos fragilités, nos injustices. Article 353 du code pénal soulève des questions vertigineuses sur la justice et l’humanité. « Le juge, qui finit par conclure à laccident, oscille entre compassion et vertige moral, illustrant toute la complexité de laffaire. Certains spectateurs saluent son humanité, dautres sinterrogent sur les dérives possibles dune justice subjective. »

Toujours au service des auteurs contemporains
Vincent Garanger dans Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d'Emmanuel Noblet © Jean-Louis Fernandez
Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel, adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet © Jean-Louis Fernandez

Aujourd’hui, Vincent Garanger poursuit son compagnonnage avec les auteurs de son temps. Les dernières saisons l’ont vu tour à tour dans Welfare d’après le documentaire de Frederick Wiseman, porté au plateau par Julie Deliquet, Lazzi de Fabrice Melquiot, Mort d’un commis voyageur, mise en scène par Philippe Baronnet, ou encore Les femmes de la maison de Pauline Sales. D’autres projets se dessinent, notamment une nouvelle création avec Fabrice Melquiot et une pièce à venir avec sa compagnie, aux côtés de Pauline Sales.

Lorsqu’il évoque ses incursions en mise en scène ou ses rares solos, il reconnaît l’expérience vertigineuse que cela représente, mais la nécessité pour un artiste de s’y confronter. Une épreuve sans filet, où l’on se confronte à soi-même, où l’on voit ses vertus comme ses limites avec une acuité crue. Il en parle sans forfanterie, avec cette humilité qui semble lui être devenue seconde nature. Une vie entière consacrée aux mots, aux textes, aux autres.


Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel
spectacle vu au vu en janvier 2025 au Théâtre du Rond-Point
11 • Avignon – Festival Off Avignon
Du 5 au 24 juillet 2025, relâche les vendredi
s
à 21h45
Durée 1h40

Dates passées
21 janvier au 15 février 2025 au Théâtre du Rond-Point (reprise du 3 au 14 juin 2025 )
20 et 21 février 2025 au Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, Limoges
25 février au 1er mars 2025 au Théâtre de l’Étincelle, Rouen
21 mars 2025 aux Scènes du Golfe, Théâtres Vannes Arradon
l27 mars au 17 avril 2025 à la Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
29 avril 2025 à L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
23 mai 2025 au Théâtre de la Madeleine, Troyes

Adaptation et mise en scène d’Emmanuel Noblet
Avec Vincent Garanger, Emmanuel Noblet
Scénographie d’Alain Lagarde
Création lumière de Vyara Stefanova
Création sonore de Sébastien Trouvé
Vidéo de Pierre Martin-Oriol
Costumes de Noé Quilichini

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