Welfare, Julie Deliquet, Festival d'Avignon ©Christophe Raynaud de Lage
Welfare, Julie Deliquet, Festival d'Avignon ©Christophe Raynaud de Lage

Festival d’Avignon : un Welfare au grand large

En ouverture du Festival d’Avignon, Julie Deliquet, directrice du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, porte au plateau le chef-d’œuvre documentaire de Frederick Wiseman, Welfare. Transformant la cour d’honneur du palais des Papes en bureau d’aide sociale new-yorkais, elle signe un spectacle fragile, humain, dont l’intimité se perd sur l'immense scène à ciel ouvert.

Comme chaque année, les trompettes de Maurice Jarre résonnent sur la place du Palais. Mais dans la cour, elle se font plus discrètes qu’à l’accoutumée, histoire de ne pas perturber le démontage des tentes de réfugiés qui envahissent l’espace scénique à l’entrée des premiers spectateurs. Le ton est donné. La vie n’est pas belle pour tous et la pauvreté gagne les murs du Palais. La détresse est palpable. En un rien de temps, le campement finit par disparaître et laisser place à un autre décor : l’intérieur d’un gymnase avec ses tapis de sol, ses agrès. Dans quelques minutes, le centre social ouvre ses portes. Déjà, les hommes et les femmes font les cent pas, prêts à tout pour défendre leurs droits, et tenter d’obtenir un peu d’aide afin de ne pas totalement sombrer. Loin d’Avignon et de notre quotidien, c’est à Manhattan, dans les années 1970, que se déroule Welfare

L’intime à ciel ouvert
Welfare, Julie Deliquet, Festival d'Avignon ©Christophe Raynaud de Lage
©Christophe Raynaud de Lage

Habillés le mieux possible pour être présentables, Mme Turner (Astrid Bayiha, lumineuse), Lenny Fox (sculptural Mexianu Medenu), Valérie Johnson (Marie Payen, détonante) ou Mlle Gaskin (l’épatante Nama Keita), tous dossiers en main, viennent faire entendre leur détresse. Face à eux, les travailleuses et travailleurs sociaux (David Seigneur, Julie André, Vincent Garanger et Agnès Ramy, tous justes) tentent de les aider de leur mieux. Mais la machine administrative, souvent lourde, n’a ni cœur, ni pitié. Bien sûr, ils ne sont pas aveugles. Ils voient bien que Mme Turner est enceinte jusqu’au cou, mais faute du bon papier, de la bonne attestation, ils ne peuvent lui octroyer les subsides auxquels elle pourrait prétendre. Ils aimeraient faire mieux, faire plus. Mais souvent épuisés, ils n’y arrivent pas. Certains ont perdu leur cœur, leur empathie. D’autres ont encore envie de croire au système et essaye d’en contorsionner les règles… le plus souvent en vain.

Sur l’immense plateau, chacun se raconte, se livre. Tous déballent leur vie, aussi pudiquement que possible. Mais de l’intimité, celle qui préserve la dignité, ils n’ont souvent pas le luxe. C’est devant tout le monde qu’ils étalent leurs soucis, exposent leur cas, font exploser leur juste colère face aux murs d’incompréhension que leur opposent les employés du centre d’aide sociale. La rage au cœur, ils s’énervent, vitupèrent et s’agacent, souvent sans obtenir gain de cause. Rien ne semble avoir changé en près de cinquante ans. Les situations présentées par le documentaire de Wiseman tout juste ressorti en salles semblent être les mêmes. Seulement, la paupérisation des populations s’est faite plus criante. Racisme, incapacité de communiquer, aberration d’une administration sourde et à bout de souffle qui n’arrive à pas se réinventer faute d’être à l’écoute de ceux qui ont besoin de son aide y sont parfaitement mis en exergue.

Un espace trop grand
Welfare, Julie Deliquet, Festival d'Avignon ©Christophe Raynaud de Lage
©Christophe Raynaud de Lage

Avec intelligence et sensibilité, Julie Deliquet s’empare du monument cinématographique de Wiseman. Elle n’essaie en rien de le transposer au temps présent ou de le déplacer ailleurs qu’à Manhattan — l’écho à l’actualité est d’autant plus frappant. Elle se concentre alors à donner corps, à faire habiter ses personnages transcendés à l’écran. Le choix des comédiens, judicieux, permet à tous de se glisser avec une belle aisance dans la peau de leur double filmé. Parfois trop, peut-être, donnant ainsi le sentiment d’une réalité fantasmé, d’une authenticité voilée. Mais ceci ne constitue qu’une impression fugace, tant le spectacle cherche à entraîner le spectateur au plus près de cette détresse humaine, de cette urgence de survie. 

Pourtant, le pari de la metteuse en scène d’habiter la cour en pointant les défaillances d’un système social depuis longtemps dévoyé a un goût d’inachevé. Tous les ingrédients sont là, à vue, mais on passe à côté de l’essentiel. L’espace est trop grand, les récits de vie se perdent dans l’immensité du plateau. Faute d’arriver à focaliser les attentions, à cadrer serré comme le faisait à l’inverse Wiseman sur les visages des protagonistes, le spectacle flotte dans une cour trop grande. Clairement, il gagnera à être joué dans une boîte noire. Artiste de l’intime, Julie Deliquet y retrouvera ses marques et fera l’œuvre tant attendue : la fiction réaliste d’un drame social qui n’a rien perdu de sa force lucide et qui dénonce sans misérabilisme l’agonie d’un système.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé special à Avignon

Welfare de Julie Deliquet, d’après le film de Frederick Wiseman
Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis
59, boulevard Jules-Guesde
93200 Saint-Denis
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Du 27 septembre au 15 octobre 2023.
Du lundi au vendredi à 19h30, samedi à 17h, dimanche à 15h, relâche le mardi.
Durée 2h30
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Tournée 2023-2024.  
Du 15 au 19 janvier 2024 au Théâtre Dijon Bourgogne Centre dramatique national. 
Du 24 janvier au 3 février 2024 aux Célestins – Théâtre de Lyon
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Les 15 et 16 février 2024 au Quartz Scène nationale de Brest
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Les 20 et 21 février 2024 au Passerelle Scène nationale de Saint-Brieuc
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Du 6 au 9 mars 2024 à la Comédie de Genève
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Du 13 au 15 mars 2024 à la Comédie de Reims Centre dramatique national 
Du 20 et 21 mars 2024 au Théâtre de l’Union, Centre dramatique national de Limoges
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Les 26 et 27 mars 2024 à La Coursive Scène nationale de La Rochelle
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Les 4 et 5 avril 2024 à L’Archipel Scène nationale de Perpignan. 
Les 10 et 11 avril 2024 à la Comédie de Saint-Etienne Centre dramatique national
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Du 17 au 19 avril 2024 au Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France. 
Du 3 au 5 mai 2024 à la Grande Halle de La Villette (Paris).

Festival d’Avignon
Cour d’honneur du Palais des Papes
Place du Palais
84000 Avignon

Du 5 au 14 juillet 2023

Mise en scène de Julie Deliquet
Traduction de Marie-Pierre Duhamel Muller
Adaptation scénique de Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos
Collaboration artistisque d’Anne Barbot & Pascale Fournier
Scénographie de Julie Deliquet & Zoé Pautet
Lumière de Vyara Stefanova
Musique de Thibault Perriard
Costumes de Julie Scobeltzine assisté de Marion Duvinage
Marionette de Carole Allemand
Habillage de Nelly Geyres
Décor de François Sallé, Bertrand Sombsthay, Wilfrid Dulouart, Frédéric Gillmann, Anouk Savoy – Atelier du Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis
Régie générale de Pascal Gallepe
Régie Plateau de Bertrand Sombsthay
Régie Lumière de Jean-Gabriel Valot
Régie son de Pierre De Cintaz

Avec Julie André (Elaine Silver) Astrid Bayiha (Mme Turner) Éric Charon (Larry Rivera) Salif Cisse (Jason Harris) Aleksandra de Cizancourt (Elzbieta Zimmerman) Évelyne Didi (Mme Gaskin) Olivier Faliez (Noel Garcia) Vincent Garanger (M. Cooper) Zakariya Gouram (M. Hirsch) Nama Keita (Mlle Gaskin) Mexianu Medenou (Lenny Fox) Marie Payen (Valerie Johnson) Agnès Ramy (Roz Bates) David Seigneur (Sam Ross) et Thibault Perriard (John Sullivan, musicien)

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