À l’instar de Julien Gosselin l’an dernier, Cyril Teste, autre metteur en scène grand adepte de la vidéo, propose à une partie du public, d’investir le plateau, de se mêler aux comédiens et d’être les figurants privilégiés de la chute de Micha (Vincent Berger), double contemporain de Platonov. S’emparant de la traduction d’Olivier Cadiot, qu’il tricote et détricote à l’envi, l’artiste nîmois ne s’intéresse pas tant à l’histoire de cet anti-héros, petit bourgeois arrogeant et dépressif, qu’aux aspirations de ce jeune auteur – à peine dix-huit ans quand il écrit cette première pièce, capable d’esquisser déjà ses personnages qui vivent gonflés à bloc à l’énergie du désespoir, déjà conscients de la fin imminente de leur monde.
Transformé en dancefloor d’une quelconque fête de village, l’espace scénique devient le lieu de toutes les rencontres, de toutes les discussions à bâtons rompus. L’alcool aidant, les différents protagonistes font peu à peu tomber les masques. La joie des retrouvailles et du partage se transforme en règlement de compte cynique. Les âmes, ici, sont grises. Elles n’ont presque pas de substance, sauf quand la caméra les filme en gros plan. Sourire de façade, antipathie criante, naïveté feinte, le microcosme de connaissances qui tourne autour de la jolie veuve Anna (Olivia Corsini) n’est que faux semblants, jalousie et convoitise.
La caméra au coeur du dispositif théâtral
Dans cette adaptation contemporaine de Platonov, qui a été imaginée en un diptyque dont l’autre volet sera diffusé sur Arte cet automne, les histoires n’ont que peu d’importance. Ce qui intéresse Cyril Teste, c’est capter, et tout particulièrement à la caméra, des ambiances, des atmosphères qui ne sont pas sans rappeler celles, sombres, que prisait Claude Chabrol. Mais dialogues à couteaux tirés et regards assassins ne suffissent pas à tenir la comparaison. S’intéressant plus à la forme et au rendu, le metteur en scène ne fait qu’esquisser les rôles, ne leur donne que peu de consistance. Le parti-pris pourrait être passionnant si, par moments, le temps se suspendait et donnait à voir autre chose que du banal, du quotidien. Malheureusement, rien ne se passe vraiment : seules passent les illusions des personnages.
Cyril Teste le dit lui-même : il ne pourrait se passer de caméras. Elles sont les pinceaux qui lui permettent de créer. Indéniablement maître en la matière, les images diffusées sur grand écran ont de la force, du caractère. Mais elles finissent par en écraser le théâtre qui s’agite juste en dessous. Avec Sur l’autre rive, qui se veut l’autre pendant de la Mouette créée en 2022, l’artiste poursuit sa balade tchékhovienne et dédouble son art, mais il perd en art scénique ce qu’il aura gagné en virtuosité cinématographique.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Sur l’autre rive d’après Platonov d’Anton Tchekhov (diptyque – second volet diffusé sur ARTE et arte.tv à l’automne 2024)
spectacle vu le 30 mai 2024 à Amphithéâtre d’O – Festival le printemps des Comédiens
Durée 1h50 environ
Tournée
27 septembre au 13 octobre 2024 au Théâtre Nanterre-Amandiers, centre dramatique national (92)
17 et 18 octobre 2024 à l’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)
8 au 16 novembre 2024 au Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
26 novembre 2024 à l’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux (36)
5 et 6 décembre 2024 à la Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production (80)
11 au 13 décembre 2024 aux Quinconces, scène nationale du Mans (72)
18 et 19 décembre 2024 à La Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison nomade de La Rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (59)
15 au 17 janvier 2025 au Théâtre des Louvrais, Points Communs, scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise (91)
22 et 23 janvier 2025 à la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche (26)
30 janvier au 8 février 2025 aux Célestins, Théâtre de Lyon (69)
18 et 19 mars 2025 au Tandem, scène nationale, Douai (59)
26 au 28 mars 2025 au Théâtre Sénart, scène nationale (77)
Mise en scène de Cyril Teste assisté de Sylvère Santin
Traduction d’Olivier Cadiot
Adaptation de Joanne Delachair et Cyril Teste
Avec Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang
Collaboration artistique – Marion Pellissier
Dramaturgie de Leila Adham
Scénographie de Valérie Grall
Costumes d’Isabelle Deffin, assistée de Noé Quilichini
Création lumière de Julien Boizard
Création vidéo de Mehdi Toutain-Lopez
Images originales : Nicolas Doremus et Christophe Gaultier
Musique originale : Nihil Bordures et Florent Dupuis