Vous avez une double actualité à Avignon. Commençons par Vive le sujet ! Tentatives et ce nom énigmatique Un spectacle que la loi considérera comme mien. D’où vous est venue l’idée de cette pièce ?
Olga Dukhovna : Vive le sujet ! Tentatives est une proposition faite aux artistes de créer quelque chose de spécifique pour ce programme du Festival d’Avignon. Un pas de côté, une collaboration inattendue. Cette contrainte est très stimulante. Quand ils m’ont contactée, j’étais à la fois très heureuse et un peu effrayée. C’est un saut dans l’inconnu, avec la pression d’un grand festival. J’ai finalement eu peu de temps pour réfléchir et travailler, car mon planning était déjà bien chargé. Je l’ai pris comme un défi très motivant.
Pourquoi avoir choisi une juriste comme complice au plateau ?
Olga Dukhovna : Le fil rouge de mon travail est ce que j’appelle le recyclage chorégraphique. Depuis que j’ai initié cette démarche, je me pose beaucoup de questions, comme : « Où finit l’hommage ? Où commence le plagiat ? » Quand j’évoquais ces interrogations avec d’autres chorégraphes, je me suis rendu compte que tout le monde parle de droits d’auteur, sans vraiment savoir ce qu’on peut ou non faire.
Je suis plutôt sereine, car j’ai toujours travaillé avec des matériaux chorégraphiques appartenant au domaine public, ou dont les auteurs sont inconnus, comme c’est le cas pour les danses folkloriques. Les équipes de la SACD, partenaire du projet, m’ont aidée à trouver la juriste pour cette conférence dansée. Il s’agit de Pauline Léger, enseignante-chercheuse en droit privé, spécialiste de la propriété intellectuelle. Le défi était de trouver une vraie juriste intéressée par le concept. Elle est très investie et heureuse de passer à l’action !
Avez-vous emprunté cette voie du « recyclage chorégraphique » parce que vous vous interrogiez sur votre légitimité à trouver votre place en tant que chorégraphe ?
Olga Dukhovna : À P.A.R.T.S., à Bruxelles, où j’ai étudié, tout le monde produisait des mouvements incroyables. Je ne sais pas ce qu’on dit aujourd’hui aux jeunes artistes, mais à mon époque, il y avait toujours cette pression de trouver sa signature chorégraphique. Or, je n’étais pas très technique. J’ai passé des heures en studio à essayer de trouver ma propre écriture, sans jamais parvenir à faire surgir le mouvement à partir de rien. Il y avait toujours cette petite voix critique dans ma tête qui me décourageait dès que je commençais quelque chose.
Quand on crée une pièce, on cherche la phrase principale, mais cette première étape me bloquait complètement. Je ne parvenais pas à trouver quelque chose de convaincant, jusqu’au jour où je me suis autorisée à faire autrement. Je me suis dit que je pouvais m’attaquer à quelque chose qui existait déjà, le vider de son contexte et le remplir autrement. Et cela m’a libérée. La collaboration avec Boris Charmatz pour la pièce 20 danseurs pour le XXe siècle et le musée de la Danse a aussi été un déclic.
En quoi ce travail vous a-t-il marquée ?
Olga Dukhovna : Il s’agissait de réinterpréter, de transmettre des solos d’artistes du XXe siècle. C’était comme extraire des gestes du passé pour se les réapproprier, sans décor ni lumière. Boris m’avait demandé d’apprendre les danses de Charlie Chaplin. J’ai eu un grand déclic en me plongeant dans les archives, en visionnant les films. J’ai compris que lorsqu’on dépouille le geste de tout contexte, on peut s’en emparer et composer une chorégraphie à partir de ce matériau transformé et intemporel. C’est devenu l’un des fils conducteurs de mon travail.
À Avignon, vous êtes aussi présente à la Belle Scène Saint-Denis avec Crawl, imaginé pour le danseur hip-hop ukrainien Bboy Uzee Rock. De quoi êtes-vous partie pour créer ce solo ?
Olga Dukhovna : En avril 2025, le Théâtre Louis Aragon, où je suis artiste associée depuis 2023, m’a donné carte blanche pour créer un événement autour de la culture ukrainienne : War(m) – Zone de paix pour les arts et la danse. Crawl a été créé à cette occasion. Ce solo est basé sur les danses folkloriques ukrainiennes traditionnelles. Après le début de la guerre, j’ai ressenti une urgence à travailler avec ces danses, en réaction à la propagande russe affirmant que la culture ukrainienne n’existait pas. Ceux qui interprètent ces danses dites « accroupies » — crawl en anglais — sont très entraînés à cette pratique ancrée dans le sol. En cherchant des parallèles avec des styles actuels, j’ai pensé au breakdance. Ces deux pratiques ont en commun la virtuosité.
Comment avez-vous rencontré Bboy Uzee Rock ?
Olga Dukhovna : Je connaissais peu l’univers du breakdance, mais j’ai immédiatement imaginé que la rencontre entre ces deux mondes pourrait produire quelque chose d’intéressant. J’ai découvert Uzee Rock sur les réseaux, où il est très actif. Nous avons beaucoup échangé, et je l’ai poussé vers des états de corps qu’il n’imaginait pas. Les appuis sont très différents entre le breakdance et les danses traditionnelles.
Et puis, il y a une grande part d’improvisation dans le breakdance, alors que dans ce solo, tout est très écrit. Il a dû trouver de nouvelles stratégies, apprendre la phrase dansée par cœur jusqu’à atteindre un automatisme tel qu’il y prenne du plaisir. Je me suis beaucoup excusée à chaque répétition (rires). Au final, chacun a fait un pas vers l’autre pour trouver une forme de compromis entre les deux univers.
Quel bilan faites-vous de votre collaboration avec le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France ?
Olga Dukhovna : J’ai eu beaucoup de chance : cette proposition est venue très tôt dans ma carrière de chorégraphe, après avoir été interprète pendant longtemps. Quand je me suis lancée avec mes propres pièces, Swan Lake a été accueilli à la Belle Scène Saint-Denis en juillet 2022. Emmanuelle Jouan, la directrice du Théâtre Louis Aragon, m’a alors proposé de devenir artiste associée. Cela m’a énormément aidée à avancer, à expérimenter des projets que je n’aurais jamais pu imaginer en étant simplement une compagnie indépendante. J’ai toujours rêvé grand. Très vite, j’ai eu envie de travailler pour la ville, pour le territoire, dans un projet plus global impliquant les citoyens. Les équipes m’ont beaucoup soutenue, elles ont été très à l’écoute. Cette présence à Avignon constitue en quelque sorte la clôture de ce partenariat.
Un spectacle que la loi considérera comme mien d’Olga Dukhovna
Vive le sujet ! Tentatives – série 1
Jardin de la Vierge du Lycée St-Joseph – Festival d’Avignon
du 9 juillet au 12 juillet 2025
à 10h30 et 18h.
Durée : 1h30
Tournée
20 et 21 septembre 2025, Maison Germaine Tillion, Plouhinec.
Conception et interprétation : Olga Dukhovna
Conseils juridiques et interprétation : Pauline Léger
Composition sonore et performance : Mackenzy Bergile
Dramaturgie : Simon Hatab
Crawl d’Olga Dukhovna
La Belle Scène Saint-Denis, La Parenthèse à Avignon. Programme #1 – Festival Off Avignon
Du 9 au 13 juillet à 10h
Chorégraphe d’Olga Dukhovna
Avec Bboy Uzee Rock
Composition musicale de Mackenzy Bergile
Designeuse costumes – Soraya MoBé
Dramaturgie de Simon Hatab
Régisseur général – Denis Malard
Lumières d’Érik Houllier