Boris Charmatz © Sébastien Dolidon
© Sébastien Dolidon

Boris Charmatz : « Ce qui m’intéresse c’est de construire au-delà des frontières ».

À l’Opéra de Lille en décembre, puis au Châtelet en avril, Boris Charmatz présente "Liberté cathédrale", sa première création pour le Wuppertal Tanztheater. rencontre avec un artiste hors-norme.

Il reste un des piliers de la danse contemporaine, celui qui faisait frissonner le public avec ses projets fous dans les années 90, qui a dirigé le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne de 2009 à 2018, qui a créé « Terrain » une compagnie qui redéfinit les rapports entre spectateurs et artistes. Aujourd’hui il dirige le Tanztheater de Wuppertal, la compagnie de Pina Bausch. Encore un défi ! 

Liberté cathédrale de Boris Charmatz - Wuppertal Tanztheater © Blandine Soulage
© Blandine Soulage

Boris Charmatz : Je suis directeur artistique et « intendant », un poste que l’on trouve dans les théâtres allemands. Je co-dirige avec le directeur administratif et financier mais bien sûr si la compagnie a un problème financier, ce sera aussi ma responsabilité. Nous travaillons beaucoup avec la Fondation Pina Bausch, mais nous sommes indépendants.

Boris Charmatz : J’ai commencé par refuser pendant assez longtemps. Beaucoup de raisons m’y poussaient : diriger après Pina, ça paraissait impossible. 
Contrairement à d’autres chorégraphes qui avaient déjà été invités à travailler avec la compagnie comme François Chaignaud ou Dimitri Papaioannou, je ne l’avais jamais fait. Je voyais bien que le Tanztheater cherchait une direction, pas seulement une personne mais un sens. Cinq directeurs s’étaient succédés avant que j’arrive.
Il y avait aussi des raisons qui me poussaient à dire oui : j’adore l’Allemagne, j’aime parler allemand, ma mère a été professeur d’allemand, je suis d’origine juive … J’aime aussi bien sûr l’histoire et la mémoire. 

Boris Charmatz : Au bout d’un temps, j’ai proposé des voies possibles pour la compagnie. Tout le monde, les danseurs, Salomon Bausch, le scénographe Peter Pabst, les politiques de la ville qu’on sentait très engagés, tous voulaient un(e) chorégraphe qui, aurait un regard d’artiste sur le répertoire de Pina et qui créerait le plus possible pour la compagnie. L’attente était intense, les gens étaient très impliqués, le contexte de travail était incroyable et aussi… 

Liberté cathédrale de Boris Charmatz - Wuppertal Tanztheater © Uwe stratmann
© Uwe stratmann

Boris Charmatz : Ce n’était pas une compagnie fermée et je pouvais faire un projet de « terrain », un projet franco-allemand. Et je ne serai pas obligé de me séparer des danseurs avec qui je travaillais. Finalement, j’ai dit oui et je me suis installé à Wuppertal même si ça n’était pas facile. 

Boris Charmatz : Je sentais qu’elle avait besoin qu’on ouvre tout, les portes, les fenêtres, qu’on sorte des théâtres !  Et ce qui m’intéresse, en plus de créer avec eux, c’est justement d’ouvrir, de construire par-delà les frontières. J’adore le paysage de Wuppertal qui rappelle celui des Hauts-de-France. Le charbon, l’acier, le textile, les crises, la transition écologique…Il y a une faille géologique du charbon qui part de Manchester, jusqu’à Lens, Valenciennes qui passe à Charleroi en Belgique, pour arriver près de Wuppertal. Cette faille me « parle », j’ai envie d’explorer tout cela. À Wuppertal, je peux faire cela. Nous préparons un spectacle Club amour qui réunira Café Müller et une de mes anciennes pièces Aatt enen tionon que l’on présentera prochainement à Valenciennes.

Boris Charmatz : La compagnie compte une trentaine de danseurs et assure 80 représentations par an, c’est le maximum. En tant que directeur, je peux décider de cette répartition et le tout est de trouver un équilibre viable. Il faut que le patrimoine soit préservé, remonté, revivifié avec des projets particuliers. Les pièces de Pina demandent beaucoup de travail lorsqu’on les reprend. Mais la compagnie continue, comme au temps de Pina, d’être une compagnie de créations : c’est la volonté de tous. On essaie de danser au moins cinquante fois les pièces de Pina par an. Le répertoire est d’ailleurs dansé beaucoup plus qu’avant dans le monde, avec les pièces qui s’inscrivent dans la programmation des grandes scènes et opéras. Pina aujourd’hui est plus dansée que de son vivant ! 

Liberté cathédrale de Boris Charmatz - Wuppertal Tanztheater © Laszlo Szito
© Laszlo Szito

Boris Charmatz : Oui bien sûr ! D’ailleurs ce que j’ai réalisé avec « Wundertal » en mai dernier : 6000 personnes dans les rues de Wuppertal pendant des heures !  182 danseurs dont une vingtaine du Tanztheater mais aussi des étudiants, des amateurs, des gens qui n’avaient jamais dansé… ont évolué sous le métro suspendu, le fameux métro de Wuppertal. Il ne faut pas oublier tout ce que Pina a apporté « du dehors » dans ses pièces, combien la nature était présente, les arbres, les fleurs, la forêt… Son film « La plainte de l’impératrice » que j’aime beaucoup et qui compte énormément pour moi montrait cela, ce lien avec le paysage, la force d’un lieu naturel, tournée près de Wuppertal. Elle nous a indiqué la voie et j’ai envie de cela moi aussi. Ce n’est pas pour rien que j’ai nommé mon association « Terrain » : explorer le voisinage, s’exposer aux évènements… J’aime beaucoup le Lichburg (l’ancien cinéma, la « ville lumière ») le studio historique de Pina, sans fenêtres, mais je le répète, il faut ouvrir la porte. 
Au fond, à Wuppertal, je crois que tous avaient envie d’un « amateur », au sens amoureux du mot, je suis un « amateur » de Pina, un amateur professionnel certes, quelqu’un qui vient avec d’autres désirs… Le fait que je travaille avec des amateurs change le rapport à la danse et je crois que cet aspect-là a eu son importance dans le fait qu’ils m’aient choisi.

Boris Charmatz : C’était tout-à-fait un autre projet. Chaillot exige un autre type de travail avec une énorme programmation alors qu’à Wuppertal, je suis artiste à 120% ! Et je suis quand même en France grâce à la coopération avec les Hauts de France. Liberté Cathédrale est l’image de ce partenariat très fort.

Boris Charmatz : Nous l’avons créée dans une église. «Liberté » évoque aussi les limites de l’église qui a souvent condamné la danse comme un péché. Quelle est la place de la danse aujourd’hui ? Cette compagnie vit avec le poids de l’histoire, des chefs d’œuvre et je me suis dit : « il faut qu’on soit libres, qu’on fasse autre chose et que cet autre chose nourrisse en retour ce qu’on a. » Certains danseurs de la pièce ont connu Pina et donc font partie de la compagnie de Pina depuis plus de quatorze ans. D’autres sont là depuis neuf ans. Il y a aussi des interprètes qui travaillent avec moi depuis longtemps. 

Liberté cathédrale de Boris Charmatz - Wuppertal Tanztheater © Uwe stratmann
© Uwe stratmann

Boris Charmatz : C’est une version « chantée » du deuxième mouvement de la dernière sonate pour piano Opus 111 de Beethoven, et ça ne se chante pas. C’est une transcription que j’ai voulue chantée à l’unisson et portée par le souffle, ce qui la déstructure beaucoup.

Boris Charmatz : On la chante jusqu’à ce qu’on n’ait plus de souffle, tout en bougeant comme des fous, donc on ne respecte pas du tout le tempo de la sonate. Je suis fanatique de ce mouvement de Beethoven. Dans mon solo « Somnole », je siffle en inspirant et en expirant, en faisant une sorte de souffle continu. La voix ne peut pas faire cela mais j’avais envie de faire une pièce où l’on ne bouge que si l’on chante et si on est au bout du souffle, sans voix, on s’arrête. 

Boris Charmatz : Les cloches de la deuxième partie symbolisent plus la joie et je voulais aussi le silence, ce qui est le cas dans la troisième partie. Les textes que disent les danseurs sont ceux de la chanson des Peaches, Fuck the pain away. Il y a aussi un poème de John Done, magnifique qui dit « personne n’est une île, chacun est une partie d’un continent et quand le glas sonne, il sonne pour tout le monde. »

Boris Charmatz : C’est une pièce sombre, c’est vrai mais l’époque l’est aussi. 


Liberté Cathédrale de Boris Charmatz – Wuppertal Tanztheater
terrain – Boris Charmatz
réation le 8 septembre 2023 à l’Eglise du Mariendom de Neviges / Wuppertal

Tournée
Du 14 au 19 décembre – Opéra de Lille à Lille (France)
Du 7 au 18 avril 2024 – Théâtre du Châtelet à Paris (France)


Chorégraphie de Boris Charmatz
Organiste – Jean-Baptiste Monnot
Assistante chorégraphique – Magali Caillet Gajan
Lumières  d’Yves Godin
Costumes de Florence Samain
Matériaux sonores – Olivier Renouf, Phill Niblock, Ludwig van Beethoven …
Travail vocal  – Dalila Khatir
Avec l’Ensemble du Tanztheater Wuppertal [terrain] & invités* : Regis Badel*, Emma Barrowman, Andrey Berezin, Dean Biosca, Naomi Brito, Emily Castelli*, Ashley Chen*, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Çağdaş Ermiş, Julien Ferranti*, Julien Gallee Ferre*, Letizia Galloni, Silvia Farias Heredia , Ditta Miranda Jasjfi, Tatiana Julien*, Milan Nowoitnick Kampfer, Barbara Kaufmann, Nayoung Kim, Simon Le Borgne, Reginald Lefebvre, Johanna Elisa Lemke*, Alexander Lopez Guerra, Nicholas Losada, Eddie Martinez, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Christopher Tandy, Tsai-Wei Tien, Aida Vainieri, Solene Wachter*, Frank Willens*, Tsai-Chin Yu

Danses gâchées dans l’herbe – Boris Charmatz
FRAC SUD

20 boulevard Dunkerque
13000 Marseille
du 9 décembre au 24 mars 2024

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