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Lamine Diagne © Julie Caught
Lamine Diagne © Julie Caught

Lamine Diagne, l’art à fleur de récits

Musicien, conteur et performeur, Lamine Diagne reprend Françé au Théâtre des Halles à Avignon. Un duo créé avec Raymond Dikoumé, à la croisée des histoires intimes et de la mémoire coloniale. Entretien à Marseille, où il vit et travaille.

Le rendez-vous a lieu sur la Canebière, l’artère centrale de Marseille qu’il connaît par cœur. Un quartier en constant mouvement, où le bruit de la ville ressemble à un ronronnement permanent. Lamine Diagne s’y promène comme dans une scène de théâtre à ciel ouvert, attentif à ce qui vibre, ce qui déborde.

Françé © Éric Massua
© Éric Massua

« J’ai toujours raconté », dit-il en souriant. « C’est un prolongement de l’enfance. Le jeu, les mondes imaginaires, les enjeux de vie ou de mort… » Dès l’adolescence, il s’exprime par le dessin, la bande dessinée et le saxophone. Aux Arts déco de Strasbourg, il réalise un moyen métrage, Le Nombril, sorte de manifeste inaugural, tourné dans les sous-sols de la ville avec une troupe d’étudiants aujourd’hui dans le cinéma.

Mais c’est dans la rue qu’il se forme. Il devient musicien nomade, joue de ville en ville avec un saxophoniste américain, se nourrit de rencontres et d’improvisations. Une vie en mouvement, en parallèle d’un premier voyage marquant au Sénégal, sur les traces de son père et de sa lignée paternelle.

L’enfance fragmentée, entre Lyon et l’ailleurs

Avant ce goût du mouvement, il y a l’enfance, morcelée, parfois rude. Né à Lyon, Lamine grandit jusqu’à ses onze ans à Vaulx-en-Velin, dans une cité HLM marquée par la violence sociale. « C’est là qu’ils ont brûlé le centre commercial. Moi, j’en garde une empreinte particulière d’un lieu qui n’était pas du tout sécurisant. » 

À onze ans, il quitte la ville avec sa mère, dans une forme de fuite. Le père reste derrière. Commence alors une série de déménagements : le Sud-Ouest, la Bretagne, l’Ardèche, Uzès. Une géographie éclatée, qui devient vite une manière d’être au monde. « J’ai pris le pli. Je n’ai pas arrêté de bouger. » Cette errance devient matrice, et nourrit chez lui une attention sensible aux récits de l’exil et aux filiations invisibles.

Créer à partir du dedans
© Éric Massua
© Éric Massua

En 2003, de retour du Sénégal, il crée Asaman conte conté à raconter, un récit initiatique qu’il écrit, incarne et joue. Faute de moyens, il devient conteur presque par nécessité. Mais ce premier Avignon, malgré l’austérité de l’année, déclenche l’élan. La compagnie est lancée. « J’avais vu au Sénégal comment les gens se débrouillaient. Je me suis structuré, j’ai pris les choses en main. »

Les années suivantes, il croise plusieurs figures structurantes. Yannick Jaulin, d’abord, qui l’accompagne sur des projets mêlant récit contemporain et improvisation. Il l’enferme même volontairement pour qu’il accouche du Livre muet, spectacle puissant, né d’une écriture quasi automatique autour de secrets familiaux longtemps tus. « J’ai vraiment fouillé à l’intérieur. C’était à la fois fabuleux et douloureux. »

Autre rencontre décisive, celle avec François Cervantès. « Il m’a accueilli dans un atelier avec des comédiens professionnels. Moi, je n’ai pas de formation classique, mais je me suis senti à ma place. » Avec le metteur en scène basé à Marseille et sa complice de toujours, Catherine Germain, il découvre « la Balance », un travail de présence hérité du théâtre de recherche que lui a transmis l’Américain Eugène Lion, lors de leur rencontre au Canada, qui irrigue depuis toutes ses créations.

Et puis il y a la cité phocéenne. Ses ateliers, son collectif d’artistes pluridisciplinaires, et la porosité entre scène et vie. « Ce qui m’émeut le plus, c’est quand je rencontre les gens. Je mène des collectages, des cercles de récits. Ce qui se dit là, parfois, c’est de l’écriture brute. »

Françé, la mémoire au présent
© Éric Massua
© Éric Massua

Avec Françé, créé avec Raymond Dikoumé, il convoque cette matière brûlante qu’est le passé colonial, les mémoires métissées, la chanson de Sardou sur le temps bénis des colonies, les silences de famille. Le duo est né d’un jam de jazz, nourri de désaccords artistiques, puis transformé en écriture à deux voix. « Ce n’est pas un règlement de comptes. C’est une tentative de déballer ensemble un héritage commun. On n’a pas les mêmes douleurs, mais on a grandi avec les mêmes narratifs biaisés. »

Sur scène, les frontières se brouillent entre récit, musique, rituel et fiction. Avec le chorégraphe Zora Snake, ils travaillent à une présence organique, sans folklore ni posture. « C’est dans le corps, dans le souffle, dans l’instant. »

Quels autres récits traversés ? 

Et après Françé ? Lamine n’annonce pas de rupture, plutôt une suite naturelle. Il veut continuer à tricoter les récits des autres avec les siens. « J’aimerais que le prochain spectacle soit écrit à partir de ce qu’on a entendu, collecté. Il y a une telle puissance dans la parole partagée. »

Puis Jazz&Rap, spectacle jeune public qu’il a écrit avec le rappeur Ilan Couartou, sera programmé à la Philharmonie de Paris en février 2026. Les lignes bougent, les portes s’ouvrent…

Avant de repartir, il glisse une dernière idée : Kay, lettre à un poète disparu, un hommage à Claude McKay, poète jamaïcain oublié, redécouvert à Marseille. « Il parlait des gens. Et moi, c’est ce que j’essaie de faire aussi. » À sa manière,  avec des histoires à hauteur d’homme, des gestes qui relient, et un saxophone à portée de mains.


Francé de Lamine Diagne et Raymond Dikoumé
L’Énelle – Compagnie Lamine Diagne
Théâtre des Halles Festival OFF Avignon
5 au 26 juillet 2025 – relâches les mercredis 9, 16 et 23 juillet 2025
à 11h
Durée 1H15


avec Lamine Diagne et Raymond Dikoumé
Mise en scène de Jessica Dalle
Aide à la dramaturgie – Éric Maniengui 
Son, vidéo et sound design – Éric Massua
Lumière de Thibault Gaigneux
ressources archives – Matthieu Verdeil et Emmanuelle Yacoubi

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