Vos débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
Quand je suis montée à Paris après mon bac, je suis beaucoup allée au théâtre, notamment à la Comédie-Française. J’y ai vu Andromaque mis en scène par Daniel Mesguich. C’était la première fois que j’entendais des alexandrins au théâtre. Et ce soir-là, je comprenais tout. Les alexandrins me percutaient, la langue de Racine me traversait. J’étais émue, transportée. J’ai pleuré tellement c’était fort et bouleversant, en entendant les acteurs et en voyant cette mise en scène.
Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
Quand j’étais enfant, j’étais d’une timidité maladive. Mes parents m’ont inscrite, avec mon frère jumeau, à un cours de théâtre à Avignon, au Théâtre Tremplin. C’était un cours dirigé par Chantal Lebert et Thierry Salvetti. Un cocon théâtral qui m’a fait énormément de bien. Et là, sur le plateau, j’ai ressenti une grande joie, une confiance nouvelle et je me suis dit, à l’âge de 10 ans, que c’est cela que je voulais faire : devenir comédienne. Je ne me ressentais plus comme quelqu’un de transparent, on me voyait enfin !
Pourquoi ce métier ?
Je suis comédienne depuis plus d’une quinzaine d’années dans différentes compagnies de théâtre et j’ai toujours voulu faire de la mise en scène. Raconter des histoires, créer des sensations, du visuel, c’était en moi depuis si longtemps. Il m’a fallu 20 ans pour m’autoriser à passer ce cap de la légitimité. Je devais trouver un sujet personnel, intime, pour prendre ma casquette d’autrice et de metteuse en scène. J’ai donc écrit et mis en scène La fille qui a tout mangé et autres petits camarades. Un spectacle qui parle de l’enfance, des injonctions, de l’imaginaire puissant de l’enfance et de comment on grandit…
Racontez-nous le tout premier spectacle auquel vous avez participé ?
Il y a 20 ans, je faisais mon premier Festival d’Avignon au Théâtre de l’Alibi dans une adaptation de pièces de Tchekhov qui s’appelait Autour tout est calme. C’était fou, je me disais que les gens qui étaient dans la salle payaient leur place pour venir nous voir. Dans la pièce, j’interprétais Ania de La Cerisaie qui n’arrivait pas à s’exprimer. Il y avait une accordéoniste avec nous, on chantait et je devais, vers la fin de la pièce, chanter Donna Donna a cappella… J’étais sur un fil sensible, mais pas toujours juste, on va dire ! Ce qui est marrant, c’est que ma première participation en tant que comédienne au Festival d’Avignon était en 2005 et que ma première en tant que metteuse en scène est en 2025 ! En 2045, je pense que ce sera…
Passions et inspirations
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
En tant que comédienne, c’est l’aventure du Retour de Richard 3 par le train de 9h24, un rôle complexe écrit par Gilles Dyrek, mis en scène par Éric Bu. Une aventure incroyable qui a commencé par un long métrage adapté au théâtre avec les mêmes comédiens. Chaque comédien avait une couleur très particulière, un talent immense et on s’entendait tous admirablement. Nous avons fait deux Festivals d’Avignon au Théâtre du Roi René, une exploitation parisienne au Théâtre Actuel La Bruyère et une tournée. Nous sommes même allés aux Molières nommés en tant que Comédie. Une grande aventure artistique et humaine !
Sinon, pour les coups de cœur scéniques en tant que spectatrice, c’est compliqué de répondre. Il y a beaucoup de spectacles qui m’ont marquée. Je citerai Les femmes de Barbe Bleue et le travail de Lisa Guez, les spectacles de Rodrigo Garcia, Misericordia d’Emma Dante, Phèdre de Patrice Chéreau, Purifiés de Sarah Kane mis en scène par Krzysztof Warlikowski. Des propositions fortes, visuelles et physiques… Et d’autres que j’oublie, mais qui sont à l’intérieur de moi !
Quelles belles rencontres ont marqué votre parcours ?
C’est d’abord la rencontre, à huit ans, du Théâtre Tremplin à Avignon. Celles qui ont suivi avec les compagnies avec lesquelles j’ai travaillé longtemps. Car j’aime la création collective et la continuité. Je pense aux interventions clownesques dans l’espace public et les lieux non dédiés avec la cie Arzapar. Amener l’art et le théâtre dans le quotidien des gens, c’est très important. J’ai beaucoup appris en abordant différentes disciplines du spectacle vivant avec Flavia Lorenzi, Victor Quezada-Perez, Orazio Massaro, ou la méthode Roy Hart qui permet une approche de la danse butô. J’aime rechercher, mélanger les arts, que ce soit physique, corporel, organique. Éric Bu a bien évidemment marqué mon parcours de femme, puisqu’il est mon mari (!) et de comédienne. Avec lui, j’ai redécouvert le plaisir du jeu, la détente, la précision, la joie de créer.
Où puisez-vous votre énergie créative ?
Dans les sensations, les ressentis enfouis tout au fond de moi qui ressortent, par l’écriture, par le corps en tant que comédienne, par la lecture, dans l’observation, dans des blessures… Ces choses que je n’ai pas osé aborder et qu’aujourd’hui, je me sens la force et la joie de sortir.
En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
J’apprends en ce moment à rendre ma vie pleine dans la famille autant que sur mes envies artistiques. Mon équilibre en ce moment, c’est d’être devenue créatrice, de mettre mes mots au plateau, de diriger des comédiens. Ça me met en joie de les diriger, de créer les images que j’ai dans la tête, de chercher, de me tromper, de sortir le rythme que j’ai en moi, le travail sur les sensations. Depuis, je me sens dans une complémentarité : interprète, metteuse en scène, autrice et aussi maman, épouse, camarade, amie…
L’art et le corps
Que représente la scène pour vous ?
En tant que comédienne : une grande envie et une grande peur. Une grande promesse.
En tant que metteuse en scène : un univers à déployer.
Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
C’est le ventre et le cœur qui chauffent et brûlent. C’est un cri qui veut sortir.
Rêves et projets
Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Plein ! Des artistes avec qui j’ai fait des stages très courts comme Julien Kosellek, Julie Timmerman, Frédéric Jessua, Guillaume Barbot… Puis des compagnies comme FOUIC, Les Dramaticules, Valérie Lesort et Christian Hecq.
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Je voudrais diriger un théâtre avec ma sœur Aurélie, qui est aussi dans le spectacle vivant. Elle travaille à la Verrerie d’Alès au Cirque Portatif. Ça, ce serait merveilleux ! Un des grands rêves que j’ai est de travailler en famille, avoir une ligne artistique, accueillir des artistes, dialoguer avec le public, créer des ponts artistiques. Je voudrais aussi être artiste associée à une Scène nationale en tant qu’autrice et metteuse en scène, poursuivre le sillon que je suis en train de creuser.
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Une toile qui est en train de se peindre ! Pour l’instant, il y a du bleu, du jaune, une touche de violet. Des formes commencent à se dessiner… Elle est loin d’être finie !
La fille qui a tout mangé et autres petits camarades, texte et mise en scène d’Amandine Barbotte
La Factory – Espace Roseau Teinturiers – Festival Off Avignon
Du 5 au 29 juillet 2025 à 11h20, relâche mardi.
Durée 1h15.
Avec Caroline Borderieux, Florent Chesné, Jacob Porraz et Anna Sorin.
Scénographie de Marie Hervé.
Lumières de Pascal Laajili.
Costumes de Juliette Imbert.