Les débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
Je devais avoir 11 ans, c’était Dom Juan de Molière au théâtre de Chartres. Je me souviens, quand, à la fin de la pièce, le personnage est amené aux enfers par le commandeur, il y avait de la pyrotechnie, du feu sur scène. Médée aussi, quelques mois plus tard. Je revois les mains de la comédienne pleines de sang. Le sang, le feu, cela avait laissé des souvenirs très vifs en moi !

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
J’ai senti que ma vie était liée au théâtre à l’âge de huit ans. J’étais une petite fille très sage et inhibée. Il y avait un stage de théâtre proposé à l’école. Le metteur en scène qui intervenait nous a dit de choisir une émotion et de venir la jouer. J’ai choisi la colère. Je suis entrée en transe, d’un coup. Le plateau me permettait quelque chose que je ne connaissais pas… Je me suis retrouvée toute rouge, hurlant et frappant par terre. Le metteur en scène m’a dit : « toi, ce serait bien que tu fasses du théâtre ». Et depuis ça n’a pas quitté ma vie, ça m’a aidé à vivre.
Qu’est-ce qui vous a guidé vers cette spécialisation ?
D’abord, je voulais être comédienne… Mais j’avais aussi un rapport très fort à l’écriture, à la philo, à la littérature en général… À dix-huit ans, j’ai fait un stage de mise en scène avec Célie Pauthe. J’ai adoré guider mes camarades, encore plus que d’être moi guidée… Il y avait quelque chose à cette place-là, un peu dans l’ombre, dans l’endroit de passage entre les comédiens et l’écriture, où je me sentais à une place juste.

Racontez-nous le tout premier spectacle auquel vous avez participé ?
En tant que comédienne, c’était à quinze ans, dans le cours de théâtre de Ludovic Houvet. On avait monté Roberto Zucco cette année-là, dans une ancienne chapelle. Je jouais La Gamine. Jonathan Genet, qui est devenu un acteur génial avec lequel je travaille aujourd’hui, jouait Zucco. Le spectacle, mis en scène par notre prof, était vraiment beau, au-delà du plaisir que j’y avais pris. J’en ai un souvenir très fort.
En tant que metteuse en scène, c’était à vingt ans. Baptiste Dezerces, un autre camarade des cours de théâtre qui avait 17 ans et qui était extrêmement doué en tant que comédien, est venu me demander si je voulais le mettre en scène dans La Nuit juste avant les forêts (encore Koltés). J’ai dit oui direct. On a travaillé comme des fous, en répétant dans des parkings, dans les rues, où on pouvait… On a fini par monter un spectacle qui a eu sa vie, et on a créé notre première compagnie.
Passions et inspirations
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’en ai plein et malheureusement, je ne vais pas pouvoir tout citer… Kean ou désordre et génie de Franz Castorf, Rwanda 94 du Groupov, la mise en scène de Hamlet par Arpad Shilling, Notre Terreur de Creuzevault, Ça ira fin de Louis de Joël Pommerat que j’ai vu dix fois… et en général le travail de Joël Pommerat qui m’inspire énormément… J’ai couru comme dans un rêve d’Igor Mendjisky. Et puis, Peter Brook…

Quels artistes ont marqué votre parcours ?
Question difficile ! Je ne vais pas m’aventurer à citer des noms sinon j’aurais peur d’être injuste et d’oublier quelqu’un de très important… !
Pour ce qui est du théâtre : les personnes avec lesquelles j’ai partagé l’aventure incroyable qu’est la création d’un spectacle… Autour de moi il y a des gens qui sont là depuis longtemps. On a grandi ensemble. La compagnie, c’est comme une famille.
Où puisez-vous votre énergie créative ?
J’ai pu créer à partir de pièces, de contes (Loin dans la mer, Les femmes de Barbe Bleue), de romans, de témoignages (Psychodrame), des cours de Louis Jouvet (On ne sera jamais Alceste)… Un sujet est un bon sujet de création pour moi quand je sens que je n’en aurais jamais fini avec lui, qu’il y a quelque chose dans le sujet, ou dans le texte, après lequel je n’en aurais jamais fini de courir, parce que c’est complexe, contradictoire, vertigineux, que ça active de la pensée.
En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Déjà, je ne sais rien faire d’autre ! Je suis une monomaniaque du théâtre. C’est le centre de tout pour moi… Donc si on m’enlevait ça, ce serait comme m’enlever les jambes !
Ensuite, ça me permet d’affronter ce que je trouve irrespirable dans le monde, d’explorer ce que je ne comprends pas, de mettre à distance qui me blesse… La catharsis quoi. Je crois profondément que le théâtre est thérapeutique.
L’art et le corps
Que représente la scène pour vous ?
En répétition, le plateau c’est un endroit protégé. C’est un endroit de tentative, de recherche, d’invention pure. De camaraderie aussi. D’empathie. De réflexion.
Quand les spectateurs arrivent, ça devient une surface d’exhibition de nos rêveries, de nos fils les plus intimes, ceux avec lesquels on a tissé le spectacle. Et donc, le plateau devient un peu comme une falaise escarpée, on ressent une énorme adrénaline et un énorme vertige en même temps. Le supplice du metteur en scène qui est chassé du plateau à une première et qui ne peut que regarder. Regarder le spectacle, regarder ceux qui regardent. L’euphorie aussi… Ce sont les montagnes russes, il faut avoir le cœur bien accroché.
Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Les yeux, sans hésiter.
Rêves et projets

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’ai eu la chance de collaborer sur une petite forme avec le chef d’orchestre Laurent Cuniot et son ensemble TM +, j’ai été fascinée par sa façon de faire naître, scintiller le son. Moi je me sens ignorante en musique, tous les musiciens m’émerveillent.
J’ai adoré voir Reda Kateb et Casey dans Par les Villages mis en scène par Sébastien Kheroufi au TQI, ce sont des artistes merveilleux qui portent avec force ce grand texte. Ils se plongent totalement dedans avec une générosité extraordinaire…
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Mettre en scène un spectacle avec une cinquantaine de personnes au plateau…
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Les mille et une nuits. « Il était une fois la fille du grand vizir, Shéhérazade, qui toutes qui toutes les nuits, racontait au prince une nouvelle histoire pour garder la vie sauve. »
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Les femmes de Barbe Bleue de Lisa Guez
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris
Du 5 au 29 mars 2025
Durée 1h25