À l’autre bout du fil, sa voix est vive et chaleureuse. On y devine parfois un accent discret, une nuance du sud, comme une résonance de ses Pyrénées natales. Elle précise d’emblée, « je viens de Bagnères-de-Bigorre », comme on revient à une source. Fille d’artistes – mère danseuse, père organiste, tante violoncelliste –, Solène Wachter grandit entourée de musique, de mouvement, de scène. « Chez nous, on chantait, on jouait, on dansait. La pratique de l’art était là, tout simplement. » Elle commence par la pratique, bien avant d’être spectatrice, comme une évidence. « J’ai toujours eu besoin de bouger, de chanter. C’était naturel, comme un prolongement de moi. »
Un corps qui pense

Très jeune, elle entre au Conservatoire National Supérieur de Paris, à seulement seize ans. Elle y découvre la rigueur technique. « C’était une formation très physique, très codée, qui m’a permis d’acquérir des outils solides en tant que danseuse et interprète. » Puis, elle poursuit à P.A.R.T.S., à Bruxelles et s’ouvre à un autre monde. « J’ai découvert des formes très diverses de danse contemporaine, une pensée du mouvement. Cette formation étant plus accès sur la chorégraphie et la composition, cela m’a permis de m’ouvrir de manière plus large au milieu culturel actuel. » C’est à ce moment qu’elle commence à écrire, à réfléchir au langage de la scène, à l’adresse au public. « J’ai eu besoin de poser un regard, de penser à ce que je faisais. J’avais envie d’être autrice autant qu’interprète. »
Ce besoin se précise par les spectacles qu’elle voit, les rencontres qu’elle fait. « Il y a eu un moment où le corps et l’esprit se sont vraiment connectés. Où l’envie d’inventer, de chercher, de déconstruire est devenue centrale. »
Le choc des rencontres
D’abord, il y a Boris Charmatz, qui la fait entrer dans 10 000 gestes en 2018. « C’étaient mes premiers pas dans le monde professionnel. Avec Boris, le mouvement part d’une nécessité, d’un élan vital. Il place l’interprète comme un·e artiste à part entière. » Depuis, elle continue à travailler avec lui, dernièrement dans Liberté Cathédrale ou Cercle.
Autre lien essentiel pour la jeune chorégraphe, celui qu’elle a construit sur les bancs du Conservatoire à Paris puis à P.A.R.T.S avec Némo Flouret, chorégraphe et compagnon de route. Elle cite aussi d’autres artistes et ami.e.s de sa génération qui au travers de discussion, d’échanges d’outils ou d’idées créent un terrain propice à la création. Cette énergie collective la porte, tout comme sa collaboration avec Margaux Roy, qui l’accompagne dans la structuration de son travail. « Elle a cru en moi en tant qu’autrice. Elle m’aide à affiner ma vision, à formuler les choses et à les rendre concrètes. C’est précieux. »
Des formes qui déplacent
En 2022, elle signe For You / Not For You, un solo percutant présenté au Festival d’Uzès. Le point de départ est « un solo à deux lectures possibles, pensé du point de vue du spectateur. » Le public est divisé en deux, installé face à face, chacun voyant un spectacle différent. Sur scène, elle incarne tour à tour la technicienne, la diva, la danseuse en plein doute. Avec humour, elle déjoue les attentes, renverse les perspectives. « Je voulais révéler les coulisses du divertissement, faire bouger les lignes entre ce qui est montré et ce qui est caché. »
La pièce fait sensation. À la Ménagerie de Verre, Joris Lacoste la découvre, revient plusieurs fois, puis l’invite à collaborer sur Nexus de l’adoration. Elle y intervient comme aide au mouvement. « Il y avait beaucoup d’acteurs non-danseurs. Mon rôle, c’était d’amener des outils de composition, de créer des partitions gestuelles simples. C’était passionnant de naviguer dans un univers déjà très écrit, très textuel. »
Une artiste à suivre
Dans le cadre de Vive le sujet !, elle retrouve la performeuse américaine Bryana Fritz pour logbook, une création à quatre mains. « On s’est rencontrées sur 10 000 gestes, puis on s’est suivies comme spectatrices du travail de l’autre. Cette invitation à Avignon était l’occasion rêvée pour une collaboration. » cette performance est pensée comme un terrain de jeu, une tentative sans hiérarchie. « On est venues avec nos sacs à dos pleins de désirs, d’idées, d’objets qui n’avaient jamais trouvé leur place ailleurs. On les a jetés au plateau. »
À l’horizon, Machine à Spectacle s’annonce pour mars 2026 au CNDC d’Angers. Une création nourrie lors d’une résidence à la Villa Médicis, autour de la figure des cascadeuses. « Elles sont virtuoses, mais invisibles. Toujours en train de tomber, de mourir à répétition, mais on ne voit jamais leur visage. C’est une pratique cousine de la danse, dans la précision, le risque, mais c’est aussi un métier de l’ombre. Ce paradoxe m’inspire. » Elle évoque aussi les questions de point de vue, de machinerie, de technique, qui prolongent les fils de For You / Not For You. « Il y a toujours ce désir de désosser les rouages du spectacle. De voir ce que produit le cadrage, ce qu’il cache. »
L’avenir au pluriel
Aujourd’hui, à tout juste vingt-neuf ans, Solène Wachter est à la fois sur scène, dans les coulisses, dans les textes, dans les gestes. Elle garde un pied dans l’interprétation — avec Boris Charmatz ou Némo Flouret — mais consacre de plus en plus de temps à son écriture. « C’est là que je me sens en lien, en vie. Créer, c’est accepter de ne pas tout savoir. Il y a du doute, du vertige, mais c’est pour ça qu’on fait du spectacle vivant. »
Elle revendique une forme d’artisanat, un goût pour l’imprévu. « Je remplis un sac à dos de références, de rêves, de bouts de scénographie ou de sons. Puis j’entre en studio et je vois où ça nous mène. Je ne veux pas de méthode figée. Chaque création est un saut. » Elle aime aussi cette lente digestion de l’œuvre, parfois postérieure à la première. « Je comprends souvent une pièce après l’avoir jouée. C’est en la traversant qu’elle se révèle. »
La signature Wachter est là, dans une lucidité joyeuse, une pensée en mouvement, un désir obstiné de rendre visible ce qui, d’ordinaire, reste dans l’ombre.
Logbook de Solène Wachter et Bryana Fritz
Vive le Sujet ! Tentatives – Série 3 – Festival d’Avignon
du 23 au 26 juillet 2025
Nexus de l’adoration de Joris Lacoste
Gymnase du lycée Aubanel – Festival d’Avignon
du 6 au 9 juillet 2025
durée 2h30
Conception, musique et mise en scène de Joris Lacoste
Avec Daphné Biiga Nwanak, Camille Dagen, Flora Duverger, Jade Emmanuel, Thomas Gonzalez, Léo Libanga, Ghita Serraj, Tamar Shelef, Lucas Van Poucke
Scénographie et lumière de Florian Leduc
Collaboration à la chorégraphie – Solène Wachter
Collaboration musicale et sonore – Léo Libanga
Costumes de Carles Urraca
Son de Florian Monchatre
Assistanat à la mise en scène – Léo Libanga
Derniers feux de Némo Flouret
Cour du lycée Saint-Joseph – Festival d’Avignon
19 au 25 juillet 2025
durée 1h20
Conception de Némo Flouret
Avec Calvin Carrier, Némo Flouret, Rafa Galdino, Tessa Hall, Philomène Jander, Per-Anders Kraudy Solli, Jean Lemersre, Rubén Orio, Susana Santos Silva, Sophie Sénécaut, Wan-Lun Yu
Scénographie de Némo Flouret & Philippe Quesne
Costumes de Satoshi Kondo pour ISSEY MIYAKE
Collaboration musicale – Calvin Carrier, Rubén Orio, Per-Anders Kraudy Solli, Susana Santos Silva
Pyrotechnie de Joseph Couturier
Collaboration à la dramaturgie – Emma Lewis-Jones
Collaboration à la recherche – Tessa Hall
Conseils artistiques – Bryana Fritz, Camille Legrand, Margaux Roy, Solène Wachter
Direction technique – Fabrice Le Fur
Régie plateau et coordination pyrotechnie – Rémy Ebras , Régie son – Mikaël Plunian, Régie lumière Nicolas Marc
Renfort construction Max Potiron