Christophe Lidon - DR, Cado d'Orléans
© DR, Cado d'Orléans

Christophe Lidon : Le théâtre comme un CADO

En habitué du Festival d’Avignon, le metteur en scène et directeur du CADO, Centre national de création Orléans-Loiret, débarque, pour l’édition 2025, aux Gémeaux Avignon, avec deux spectacles : une création, « Le roi se meurt » de Ionesco, et la reprise des « Collectionnistes » de François Barluet qui a connu un grand succès à Paris. L’occasion de tracer le portrait de ce bel artiste.

Nous nous retrouvons devant le théâtre Montparnasse, où Christophe Lidon a signé seize mises en scène en vingt ans, comme L’Évangile selon Pilate avec Jacques Weber, Ma vie avec Mozart avec Didier Sandre, Le diable rouge avec Claude Rich, L’Alouette avec Sarah Giraudeau, La colère du tigre avec le duo Brasseur-Aumont, entre autres. « Tous ces spectacles m’ont aussi permis de faire travailler plus de soixante comédiens et comédiennes ».

Par accident et par bonheur
Les Collectionnistes - Barluet - Lidon © Fabienne Rappeneau
Christelle Reboul et Christophe de Mareuil dans Les Collectionnistes de François Barluet © Fabienne Rappeneau

Le théâtre est venu à lui, comme un pansement. « Je faisais du hockey sur glace et j’ai eu un accident. J’avais 13 ans et ne plus pouvoir poursuivre cette activité m’a beaucoup troublé. »

Son grand-père, très « intuitif », pour canaliser son hyperactivité, l’inscrit à son insu au conservatoire municipal, en section théâtre. Il l’avoue, « j’y suis allé un peu en traînant les pieds et puis j’ai adoré ça. » Il retrouvait, comme dans le sport, « l’esprit d’un groupe de personnes réunies autour d’une passion. En revanche c’est l’accès à la littérature, aux livres, à l’écriture qui m’ont, par la suite, le plus rempli d’enthousiasme, tout comme la découverte d’univers, de dramaturges différents ainsi que le plaisir de l’entreprise, de la construction d’un projet. »

Son grand-père n’avait pas prévu qu’il en ferait son métier. « Un peu avant le bac, je lui annonce que je n’irai pas plus loin et que je vais étudier le théâtre. » N’ayant aucun moyen pour se payer des cours, ce grand débrouillard squatte les cours Simon, Florent, l’EDA d’Yves Pignot. « Jusqu’au moment où on me virait, faute de paiement… » En quelque sorte, il a mis en place ses propres classes libres, sous le regard bienveillant des directeurs.

Pour ne pas chômer
Christophe Lidon - MCN
En 1997 au Festival de Sarlat © MCN

En travaillant pour Jean-Paul Roussillon, qui lui permet de gagner sa vie à la Comédie-Française (Brindavoine dans L’Avare), il rencontre des metteurs en scène comme Antoine Vitez, Jacques Lassalle, Jean-Luc Boutté. Il va y faire ses classes, s’imprégnant de « tout ce qu’il fallait savoir d’un théâtre idéal en ordre de marche, avec les habilleurs, les coiffeurs, les machinistes et les régisseurs ».

Alors que personne n’avait le droit d’assister aux répétitions de La trilogie de la Villégiature par Giorgio Strehler, il se glissait au poulailler pour regarder travailler le grand Maître italien. « J’ai découvert un certain sacré du théâtre, un sacré profane, évidemment, quelque chose qui me remplissait. ». Ce lieu d’inspiration lui a très vite donné l’envie de travailler en compagnie. Il a compris qu’être metteur en scène, « c’est être entrepreneur. J’ai besoin de travailler sur du long terme, sur une esthétique, sur une proposition, sur l’utilisation du plateau, sur le corps des acteurs ».

C’est par le biais de l’ANPE Spectacle qu’il va aborder la mise en scène. Pour faire descendre le quota des chômeurs, l’administration avait alors mis en place des stages de formation qui s’appelaient « Carte blanche ». L’idée était bonne, mais les intervenants ont brillé par leur absence. Pour combler cela, Lidon commence à faire travailler des scènes à ses camarades. Il se prend tellement au jeu qu’il décide de monter un Marivaux, La Fausse suivante, et crée sa compagnie.

Sous les auspices du XVIIIe siècle
Christophe Lidon - Claude Brasseur
Avec Claude Brasseur sur la scène du Montparnasse, lors de La Colère du tigre (2014) © JME, collection privée

En 1992, il croise la route du conservateur du Musée Cognac-Jay qui lui propose de mettre en place une saison théâtrale sous les combles de l’hôtel particulier qui abrite le musée. « Il nous a confié les clés du musée. On passait la nuit à répéter dans le lieu. C’était léger et formidable. » Après Marivaux, il y monte un cycle Crébillon fils, avec, entre autres, La nuit et le moment, qui donnera le nom de sa compagnie. Avec ce spectacle, il fait son premier Festival Off d’Avignon, puis le Lucernaire, dirigé par le très inspiré Christian Le Guillochet. Sa carrière est lancée.

L’année suivante, le revoilà au Lucernaire, avec La Locandiera de Goldoni. Très vite, à une époque sans réseaux sociaux, le bouche-à-oreille fait son office. Il fallait aller voir cette jeune compagnie. « Goldoni ne pouvait trouver meilleur serviteur », avais-je alors écrit pour Pariscope. Ce jeune metteur en scène, « le plus intéressant du moment », enchaîne les spectacles, Andromaque, Le songe d’une nuit d’été, Marie Tudor

Un univers très vite repérable
Le Cado d'Orléans - Christophe Lidon
L’esplanade du CADO d’Orléans © DR

Chez cet artiste très inspiré, on aime sa vision esthétique, son intelligence du texte et sa manière subtile et précise de diriger les acteurs. Il s’est vite entouré de ce qu’il nomme « une chouette bande de comédiens, copains avec qui je travaillais depuis longtemps. Ce n’était pas une troupe parce que je ne pouvais pas les engager à l’année. C’était un compagnonnage artistique, aussi important avec les créateurs (lumière, décor, costume). C’était une belle fidélité avec différents artistes. »

À l’époque, il multiplie les programmations dans les théâtres de Paris. « Il y avait alors des lieux, comme Le Lucernaire, le théâtre 13, le théâtre 14, le Mouffetard, le Silvia Monfort, qui permettaient aux jeunes compagnies de présenter leur travail. J’ai aussi eu la chance d’être très vite accompagné par la presse. Je me souviens d’un magnifique papier de Michel Cournot dans le Monde pour La Mouette, qui a fait exploser la fréquentation. Les réseaux n’avaient pas encore dilué le pouvoir de la presse. »

La difficulté, lorsqu’on est une jeune compagnie, c’est d’avoir un nom connu sur l’affiche. En 1998, il monte à La Criée de Marseille, La Mouette de Tchekhov. Son directeur Gildas Bourdet lui demande de prendre une actrice célèbre pour interpréter Arkadina. « J’ai contacté Danièle Lebrun. Elle a accepté, m’offrant ainsi une certaine légitimité. Depuis, elle est devenue mon amie. J’aime bien la fidélité. Cela signifie qu’il faut se renouveler pour ne pas s’user et il faut aussi croire en l’autre autant qu’en soi-même. »

Le refus d’être enfermé dans des cases
Le cercle Cado - Christophe Lidon - JME
Un rendez vous du « Cercle » autour de la presse et de la critique © JME

Après avoir été associé aux classiques et au XVIIIe siècle, lorsque Jean-Pierre Miquel, alors Administrateur de la Comédie-Française, lui commande une mise en scène pour le Studio, il s’empresse de choisir un auteur contemporain, Xavier Durringer et sa Nuit à l’envers. Ensuite, à la demande d’Eric Ruf pour le Vieux Colombier, ce sera La visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt. Avec une toute nouvelle pensionnaire du Français : Danièle Lebrun.

Il sait faire de grands écarts artistiques, comme en 2002, avec Bye Bye Prospero au Centre National des Arts du cirque à Châlons-en-Champagne, dirigé par Bernard Turin, et Oscar et la Dame Rose d’Éric-Emmanuel Schmitt avec Danielle Darrieux à la Comédie des Champs-Elysées. Ce spectacle lui ouvre les portes des grands privés (l’Hébertot avec Robert Hirsch, l’Atelier avec Brasseur et Alexandra Lamy, le Marigny avec Virginie Efira… Ce qui ne l’empêche pas de faire une mise en scène à l’Opéra Bastille, tout en œuvrant d’abord en région (Valenciennes) puis en banlieue (Champigny). Cette diversité, on la retrouve également dans le choix de ses auteurs, Jean-Claude Brisville, Gérald Sibleyras, Christian Simeon, David Lodge, et des compagnonnages, comme avec Baricco, Schmitt, Antoine Rault ou Michael Stampe… « Je n’ai jamais voulu choisir mon clocher. »

Le CADO en cadeau
Christophe Lidon - Le roi se meurt - Ionesco © B. Buchemann
Chloé Berthier, Thomas Cousseau, Vincent Lorimy et Valérie Alane dans Le roi se meurt d’Eugène Ionesco © B. Buchemann

Lorsqu’en janvier 2015, Jean-Claude Houdinière et le regretté Loïc Volard quittent la direction du CADO d’Orléans, ces derniers proposent aux tutelles la nomination de Christophe Lidon. Il va s’y révéler. « L’aventure du CADO, c’est surtout l’aventure d’un public. Il y a 10 000 abonnés, des gens qui ont besoin qu’on les accompagne. » Il a donc repris le flambeau d’un théâtre où « populaire » rime avec exigence et qualité, et le fait rayonner sur tout le département du Loiret.

À travers « Le Cercle », il a mis en place une école du spectateur. Ces animations, rencontres, débats, spectacles surprises, ce suivi du processus de création, permettent de tisser un lien « presque affectif entre les artistes et le public, pour que le théâtre ne soit pas juste un endroit où l’on va de temps en temps. » Cette fidélité a ainsi amené deux cents Orléanais à Paris pour assister à la couturière des Collectionnistes ! « Les portes du théâtre aujourd’hui sont difficiles à pousser si l’on ne vous a pas expliqué que c’est le meilleur lieu de rencontres du monde, que le spectacle vivant sera toujours une sensation incroyablement plus riche que la contemplation de sa télé ou de son portable. Je suis sans doute un doux rêveur, mais je veux croire que l’humanité va faire des efforts d’échange et de générosité. »

Au service du texte

Cette année, il arrive au Festival Off Avignon avec la création du Roi se meurt d’Eugène Ionesco. « C’est une pièce qui parle de nous, qui parle d’une société qui va mourir, de quelqu’un qui ne fait pas attention au monde qui l’entoure, d’un despote qui tyrannise son entourage, mais cela parle aussi d’une fin de cycle. Je me suis dit que j’avais mon mot à dire sur ce texte, peut-être pour le faire entendre un peu différemment », après Michel Aumont, ou Michel Bouquet qui l’a joué 800 fois.

La scénographie fait partie intégrante de la mise en scène. Il la signe et s’entoure d’une équipe fidèle et solide, Cyril Manetta aux lumières, Cyril Giroux à la musique, onard aux vidéos et Mia Koumpan à l’assistanat. À part Nathalie Lucas, pour qui ce sera une première, tous les autres sur le plateau, Valérie Alane, Chloé Berthier, Thomas Cousseau, Armand Eloi et Vincent Lorimy ont déjà joué sous sa direction. À ce moment de notre entretien, un gémissement bien particulier se fait entendre sous la table. C’est Guitry, son border terrier, qui se manifeste, il est temps d’aller rejoindre à la maison le chat Sacha !


Le CADO Centre National de Création Orléans-Loiret
Saison 2025-2026


Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco
Théâtre des Gémeaux AvignonFestival Off Avignon
Du 5 au 29 juillet 2025 (sf mercredi) à 18h10
Durée 1h25.

Mise en scène et scénographie de Christophe Lidon,
assisté de Mia Koumpan
Avec Valérie Alane, Chloé Berthier, Thomas Cousseau, Armand Eloi, Vincent Lorimy, Nathalie Lucas
Lumière de Cyril Manetta
Musique de Cyril Giroux
Vidéo de Léonard
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Les collectionnistes de François Barluet
Théâtre des Gémeaux AvignonFestival Off Avignon
Du 5 au 29 juillet 2025 (sf mercredi) à 16h20
Durée 1H15.

Mise en scène et scénographie de Christophe Lidon
assisté de Mia Koumpan
Avec Christelle Reboul, Christophe De Mareuil, Frederic Imberty, Victor Bourigault
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz
Lumières de Moïse Hill
Vidéo de Léonard.
Musique de Cyril Giroux

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