Benjamin Kahn © DR

Benjamin Kahn, chorégraphe des échos du monde

Au Festival de Marseille, Benjamin Kahn présente sa trilogie de soli qui met en scène Cherish Menzo, Sati Veyrunes et Théo Aucremanne.

Benjamin Kahn © DR

Nous l’avions découvert en ange pasolinien chez Pierre Maillet, mais depuis, il parcourt le paysage chorégraphique contemporain, des galeries d’art aux festivals. Cet été, à travers trois solos présentées au festival de Marseille, l’artiste déploie l’urgence du temps présent, met en exergue les stéréotypes et invite à plonger au cœur de trois personnalités très différentes qu’il fait danser avec fièvre et intensité. 

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Dans la cité d’Uzès, les stigmates de l’orage de la nuit sont presque effacés. Ne restent, çà et là, que quelques flaques ou un peu d’eau imbibée dans des marches en ciment. C’est jour de marché. La vieille ville est envahie de stands qui s’étendent à perte de vue. Véritable institution gardoise, la manifestation attire chaque semaine locaux et touristes. Les terrasses des cafés sont prises d’assaut. Tranquillement installé à l’une d’entre elles, Benjamin Kahn, reconnaissable à sa haute stature, son teint de roux et sa casquette noire vissée sur la tête, boit un expresso avec un verre d’eau. La nuit a été courte. Après le spectacle, le chorégraphe et son équipe ont dû ranger tout le matériel malgré l’orage. « Tout était trempé, se confie-t-il, mais nous n’avions pas trop le choix. Je pars dans moins d’une heure pour l’Irlande avec deux gros sacs contenant les décors et costumes Bless the sound that saved a witch like me – cri(s)… que nous présentons dans quelques jours au théâtre de l’Échangeur à Bagnolet dans le Cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, et ceux de « Sorry But I Feel Slightly Disidentified… » que Cherish Menzo joue dans quelques jours à quelques encablures de Dublin. » 

De rencontres en solis
Bless the sound that sav ed a witch like me - cri(s)... de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa
Bless the sound that sav ed a witch like me – cri(s)… de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa

Regard perçant malgré la fatigue, sourire aux lèvres, heureux que la représentation de la veille ait pu avoir lieu malgré une météo capricieuse, il ne cache pas son excitation de reprendre la route. L’année a été prolixe. En moins de quatre mois, il aura fait naître deux créations : celle avec Sati Veyrunes qui a irradié la nuit uzétienne et dont la création a eu lieu en mars 2023 à Klap Maison pour la danse un des premiers soutiens du projet, l’autre avec Théo Aucremanne, qui verra le jour dans quelques semaines au festival de Marseille toujours à Klap Maison pour la danse. « Je ne sais pas rester en place, s’amuse-t-il à répéter. Depuis que je suis tout petit, c’est ainsi. De mes six à seize ans, j’ai été gymnaste de haut niveau. Après le bac, j’ai fait des études de droits et d’économie, mais en parallèle j’ai toujours eu besoin de me dépenser, de faire des choses physiques. Par le plus grand des hasards, un jour, je passais devant un conservatoire. Curieux je suis rentré. Il y avait une audition. J’ai tenté ma chance. J’ai été pris. Ça été le début d’une nouvelle aventure. Puis j’ai découvert le cirque. Je n’y connaissais rien, mais j’ai pris des cours à l’école de cirque de Bruxelles. Cela a été très formateur, mais ce n’était pas fait pour moi. C’est à ce moment-là que la danse est entrée dans la vie. Alors que j’ai tout appris de manière empirique en me formant sur le tas, j’ai commencé à être engagé en tant qu’interprète par quelques compagnies. Une nouvelle vie s’est ainsi ouverte devant moi. »

Touche-à-tout, passionné, investi, curieux du monde et des autres, il multiple les expériences, se forme notamment auprès de Philippe Saire, de Nicole Beutler, de Frédéric Flamand, de Maud Le Pladec ou d’Alessandro Sciaronni. Considérant la danse comme un outil hautement politique, il cherche à travers son regard, son écriture à dépasser les stéréotypes, à construire autant qu’à déconstruire nos préjugés, à voir comment l’intime vient interagir avec l’universel, les imprécations de nos sociétés formatées. 

Le pouls du monde

« Sorry, But I Feel Slightly Disidentified ...» de Benjamin Kahn © Martin Argyroglo
« Sorry, But I Feel Slightly Disidentified …» de Benjamin Kahn © Martin Argyroglo

Autour de nous, le brouhaha est total. Sa voix grave, basse, est à la limite de l’audible, mais indéniablement, il y a du feu dans ses propos. Comme tout ce qu’il a traversé dans la vie, l’écriture est venue d’un besoin vital de dire, de prendre la parole. « Je suis un hyperactif, explique-t-il, alors quand il y a cinq ou six ans j’ai fait une sorte de burn out, je n’ai pas compris tout de suite ce qu’il se passait. Je n’arrivais plus à danser, à être au service d’un chorégraphe. Je sentais en moi cette nécessité de faire autre chose, de tenter un truc. » La rencontre avec Cherish Menzo a été le déclencheur. « On avait déjà un peu travaillé ensemble, mais nous étions à une nouvelle étape de notre relation. Nous entamions une aventure amoureuse. De cette histoire, j’ai voulu me nourrir et écrire un solo pour elle. Rien n’était prévu, c’est arrivé comme ça. Je suis un homme, elle est une femme. Je suis blanc, elle est noire. J’ai eu envie de construire la pièce autour des stéréotypes, de la représentation de son corps dans notre société. Ensemble, nous avons commencé à travailler, chacun exprimant ses désirs, ses pensées. » Créée en 2020, la pièce « Sorry But I Feel Slightly Disidentified… » est le premier opus d’une trilogie, qui s’achève avec The Blue Hour, crée le 30 juin prochain au Festival de Marseille. 

Observateur, Benjamin Kahn ne cherche pas à se rapprocher de courants ou d’esthétismes. Il nourrit son écriture chorégraphique de l’autre, du personnage qu’il met au plateau. Que ce soit avec Sati Veyrunes ou avec Théo Aucremanne, il s’intéresse à leur caractère, à ce que leur corps à exprimer, à leur manière de percevoir le monde. L’une est rageuse, l’autre calme. L’une porte en elle un bouillonnement, un cri, l’autre le besoin de silence. « Je crois que pour créer, j’ai besoin de m’intéresser à des sujets qui semblent impossibles à chorégraphier. Il n’y a pas de ligne directive au-delà de la rencontre, de nos manières d’interagir. C’est toujours très différent avec Théo, tout a été très immédiat, avec Sati, il aura fallu deux ans de workshop, d’ateliers et de répétitions pour trouver le bon endroit et faire spectacle de ce que nous voulions dire ensemble. » 

Des images, des sons
The Blue Hour de Benjamin Kahn © Benjamin Kahn
The Blue Hour de Benjamin Kahn © Benjamin Kahn

Les minutes défilent. La conversation court. La foule autour a changé. Benjamin Kahn poursuit sa balade mémorielle et artistique. Les contraintes ne semblant pas être faites pour lui, il aime prendre son temps, ne pas dépendre d’un agenda. « Pour créer, j’ai besoin de me laisser porter, cela peut être autant un processus rapide que lent. Je n’aime pas l’injection de devoir faire. J’ai ma propre rythmique. Pour moi, écrire, ce n’est pas un job, c’est quelque chose d’intrinsèque. Cette année a été très intense. J’ai dû déléguer un certain nombre de postes comme les lumières, les costumes, la musique, mais je veux continuer à faire de l’artisanat. Ce qui me touche, me porte, c’est la distorsion du son, le volume. » Les yeux dans le vague, il rêve à sa prochaine création. « J’aimerais tenter autre chose, maintenant que la trilogie des soli sur la récurrence et l’apparence est terminée. Je voudrais me confronter au groupe, à des histoires chorales, à une pièce d’ensemble. Ce n’est pas pour tout de suite mais j’y pense. » 

L’heure a tourné. Chacun s’apprête à vaquer à d’autres conversations. Mais le temps suspendu de l’échange, du partage, a attisé notre appétit de découvrir les autres récits chorégraphiques de Benjamin Kahn, de nous laisser porter par sa vision du monde, sa manière de croquer le monde qui l’entoure et les gens qui ont su attirer son attention ! 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Uzès

« Sorry, But I Feel Slightly Disidentified… » de Benjamin Kahn
Festival de Marseille
La Criée – Théâtre National de Marseille
30, quai de Rive Neuve
13007 Marseille
le 17 juin 2023 à 18h
Conception, direction, chorégraphie de Benjamin Kahn
Création, interprétation de Cherish Menzo
Lumières, costumes, texte de Benjamin Kahn
Composition sonore en collaboration avec Gaggi Petrovic

Bless the sound that saved a witch like me – cri(s)… de Benjamin Kahn 
Tournée

le 13 juin 2023 – Théâtre de l’Échangeur, Bagnolet
le 30 juin et le 1er juillet 2023 – Festival de Marseille – KLAP Maison pour la Danse

durée 1h
Création, interprétation de Sati Veyrunes 
Création musicale de Lucia Ross
Création lumière de Nils Doucet 
Création costume de Carolin Herzberg
Assistant dramaturgie – Théo Aucremanne
Textes de Benjamin Kahn inspiré directement par Pier Paolo Pasolini, Death Grips, Derek Jarman, MAVI 

The Blue Hour de Benjamin Kahn
Création Festival de Marseille
KLAP Maison pour la Danse
5, avenue Rostand
13003 Marseille
Le 30 juin et 1er juillet 2023
Durée 1h
Conception, direction artistique de Benjamin Kahn
Création, interprétation de Théo Aucremanne
Dramaturgie de Youness Anzane

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