Bless the sound that sav ed a witch like me - cri(s)... de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa
Bless the sound that sav ed a witch like me - cri(s)... de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa

Festival d’Uzès, des soli en cascade

Au Festival d'Uzès, Émilie Peluchon invite à un parcours dans la ville, qui se joue du temps, des espaces, et fait la part belle aux interprètes féminines.

Bless the sound that sav ed a witch like me - cri(s)... de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa

À Uzès, pour sa première programmation du festival de danse qui fête ses 28 ans, Émilie Peluchon, nouvelle directrice de La Maison – Danse, invite à un parcours dans la ville, qui se joue du temps, des espaces, et fait la part belle aux interprètes féminines.

© Sandy Korzekwa

Le ciel gris, menaçant, contraste avec le jaune, l’ocre des maisons. Le temps est à l’orage. Quelques épisodes cévenols sont annoncés. « Rien d’inquiétant, on a tout prévu », nous rassure la directrice du festival, qui nous entraîne dans les dédales des rues de la ville vers le tout premier spectacle d’un marathon chorégraphique qui va nous emmener jusqu’au bout de la nuit. C’est dans la petite salle de l’Ombrière, le centre culturel et de congrès de la communauté de communes Pays d’Uzès, flambant neuf et parfaitement équipé, que commence ce périple à travers des univers et des esthétiques très variés. 

Strike a pose
Magdaléna de Chloé Zamboni © Sandy Krozekwa
Magdaléna de Chloé Zamboni© Sandy Korzekwa

Le noir envahit l’espace scénique. Seule la flamme d’une bougie vacille, côté jardin. Tout autour du tapis clair, qui délimite le plateau, des ombres semblent danser. Les minutes s’égrènent permettant aux yeux de s’adapter à la pénombre. Au loin, des frémissements de tissus se font entendre. De l’arrière des gradins, deux silhouettes féminines se glissent dans la lumière. Vêtues de noir, telles deux sœurs siamoises, elles entremêlent leurs corps, prennent la pause. Le temps se fige, avant de reprendre sa course lente. Les deux artistes se meuvent imperceptiblement avant de s’immobilisent à nouveau. Ainsi de suite, elles multiplient les arrêts sur image, invitant ainsi à feuilleter un album photo vivant de famille. Se dégage de ces moments étirés, une forme d’étrangeté qui hypnotise. Pris dans les rets de leur filet, les spectateurs se laissent emporter dans une torpeur. L’écriture de Chloé Zamboni est sensible, minimaliste. Elle ne cherche pas l’exploit mais plutôt une manière d’embarquer le public dans un monde au ralenti, loin de sa course folle. L’effet magnétique de cet objet singulier est garanti, quitte à plonger dans une sorte de somnolence agréable et ouatée. Magdaléna, qui sera présenté en extérieur cet été à Avignon, dans le cadre de la programmation de la Belle Scène Saint-Denissurprend, détonne ou invite aux songes, mais clairement ne laisse pas de marbre ! 

Ode à la beauté du geste
G r oo v e de Soa Ratsifandrihana © Sandy Krozekwa
G r oo v e de Soa Ratsifandrihana © Sandy Korzekwa

Au cœur de l’ancienne cité ducale, dans le jardin du temple, la danseuse et chorégraphe franco-malgache, Soa Ratsifandrihana attend à l’abri de la pluie une éclaircie. Les gouttes tombent drues, puis plus espacées. L’averse est passée. Le spectacle peut commencer. Adaptant son spectacle né dans l’obscurité d’une boîte noire, l’artiste, dont nous avions pu découvrir cette première pièce l’an passé à l’occasion de l’ouverture du Kraken des Subs de Lyon, pénètre sur l’estrade à pas feutrés. Visage fermé, elle se concentre sur chaque mouvement qu’elle exécute avec une lenteur mesurée. Tout est millimétré, rien ne dépasse. Elle arpente la scène de long en large, en habite les moindres recoins. Questionnant la notion du temps, la performeuse installe peu à peu son propos, son style où se conjugue différentes grammaires chorégraphiques contemporaines. Avec G R OO V E, sorte de balade dansé, ce n’est pas tant son écriture, bien que ciselée, qui attrape le regard et envoûte, mais bien sa présence irradiante. Il suffit de voir son sourire, illuminée son visage, pour être totalement séduit. Jouant avec la pluie qui s’invite à nouveau au plateau, elle fait preuve d’une belle inventivité. C’est debout que les festivaliers salueront sa performance. 

Dans les coulisses d’un concert 
For you / Not for you de Soléne Wachter © Sandy Korzekwa
For you / Not for you de Soléne Wachter © Sandy Korzekwa

C’est sous une ondée modérée, que se prolonge le parcours à travers la ville. Dans la grande salle de l’Ombrière, Soléne Wachter ménage une surprise. Grâce à un dispositif bi-frontal, elle propose de confronter les regards, de jouer sur les éclairages pour proposer deux visions de son solo. Que l’on soit à cour ou à jardin, puisque c’est sur la scène, que les gradins qui se font face sont installés, c’est deux spectacles très différents auxquels nous allons assister. Alors que la performeuse fait son entrée, rien n’est prêt. Au sol de grandes barres de métal sont posées en croix. Elle s’en empare et les place l’une après l’autre devant chaque groupe de spectateurs. Munies de leds, elles vont permettre de jouer avec les espaces et ainsi déplacer le point de vue du public, qui sera tour à tour, tout en en restant immobile, tantôt dans les coulisses, tantôt dans la salle d’un concert imaginaire. 

Avec humour, l’artiste originaire des Hautes-Pyrénées, formée au Conservatoire National Supérieur de Paris (CNSMDP) puis à l’école P.A.R.T.S., déploie une écriture qui mime différents métiers du monde du spectacle. Se glissant tour à tour dans la peau d’un technicien lumière, d’une danseuse ou d’une pop star, elle multiplie les perspectives, s’amuse en un clin d’œil à varier nos perceptions. Véritable tourbillon scénique porté par une bande-son pulsée à peine suggérée, ce For You / Not For You déménage. C’est comme acclamée par une foule chimérique, que la performeuse sort de scène. Le décalage est total. L’artiste a réussi son pari, faire tourner la tête au public, qui a perdu le temps d’un spectacle ovniesque ses repères. 

Le cri sidérant de Sati Veyrunes
Bless the sound that sav ed a witch like me - cri(s)... de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa
Bless the sound that sav ed a witch like me – cri(s)… de Benjamin Kahn © Sandy Korzekwa

La folle soirée continue. Cette fois c’est dans la cour de l’ancien évêché que le prochain et dernier spectacle de la journée a lieu. Au pied d’un immense mur ocre, une scène blanche est installée. Assise sur un immense bloc noir, installé côté jardin, Sati Veyrunes plasmodie quelques incompréhensibles litanies. Elle ne semble pas s’être aperçue, qu’enroulés dans des plaids en laine polaire aux multiples couleurs, les festivaliers l’observent. Vêtue d’une veste de jogging, d’un jean noir, elle échauffe sa voix, prépare son corps à réagir à l’hostile environnement qui l’entoure. En état d’urgence, la jeune femme sent du fond de ses entrailles naître un cri de révolte, un rugissement de désespoir. Face à un monde, une perdition, elle a le besoin viscéral de laisser son cœur, son âme s’exprimer. Guidée par Benjamin Kahn, elle s’empare du plateau, tournoie, hurle, s’offre entière aux éléments et aux regards du public. 

Plus qu’une trans, la danse de Sati Veyrunes est un appel de détresse. Lentilles bleu clair, lui donnant des airs d’une étrange créature, venue d’ailleurs, elle attrape le public, le secoue, le remue, le happe et l’entraîne dans sa course folle, son geste furieux, frénétique. Immense interprète, elle ne fait qu’un avec l’écriture sensible et concrète du chorégraphe quarantenaire. Malgré la pluie de plus en plus intense qui s’abat sur le plateau, elle poursuit sa folle embardée. L’instant est surréaliste, unique. Incroyable, vibrante, elle porte son cri presque sur-humain au-delà de l’audible, jusqu’au silence, comme si elle savait qu’il était déjà trop tard. Avec Bless the sound that saved a witch like me – cri(s), qui sera présenté dans la foulée au Théâtre de l’Échangeur de Bagnolet dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, puis au Festival De Marseille, Benjamin Kahn continue à explorer les individualités, à les porter au plateau avec intensité. 

La nuit fut courte, diluvienne. Au petit matin, les stigmates de l’orage ne sont plus visibles. Le marché a envahi les rues de la ville. Avant de quitter les lieux, un dernier solo nous attend. Dans la cour de la mairie, alors que le soleil entame sa course vers son zénith, Delphine Mothes propose de plonger dans ses obsessions gestuelles et invite avec Pieces of my heart à une danse inspirée d’une série de mouvements nés d’une collection d’images, d’objets, de sons qui vont vibrer son cœur. L’instant est suspendu, son interprétation ciselée. Le rêve s’achève, il est temps de partir vers d’autres horizons. La rêverie proposée par Émilie Peluchon a été comme un doux rêve, fait de contrastes, de songes enchantés. La découverte était au rendez-vous, la promesse de renouveler le festival largement honorée… 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Uzés

Festival de la Maison – Danse – CNDC Uzès Gard Occitanie
du 6 au 11 juin 2023
30700 Uzès

Magdaléna de Chloé Zamboni
Collectif La Ronde 
Écriture en collaboration étroite avec Marie Viennot 
Avec Marie Viennot et Chloé́ Zamboni 
Composition musicale d’Arthur Vonfelt
Création lumière de Thibaut Fack
Regard extérieur Joachim Maudet et Pauline Bigot 

Tournée 
le 22 juin 2023 à Mouvement sur la ville, Montpellier / plateforme professionnelle
DU 13 au 17 juillet 2023 à La Parenthèse, Avignon – La Belle Seine Saint-Denis – Théâtre Louis Aragon 
les 25 & 26 octobre 2023 au P.S.O La Comédie de Clermont-Ferrand
les 28 & 29 novembre 2023 au Festival Danse Dense Paris – Théâtre de Vanves
26 mars 2024 à l’Étoile du Nord – Paris Immersion Danse 

G r oo v e de Soa Ratsifandrihana 
Création musicale de Sylvain Darrifourcq et Alban Murenzi Création costumes Coco Petitpierre
Assistanat costumes – Anne Tesson 
Création lumières de Marie-Christine Soma
Régie lumières de Suzanna Bauer ou Diane Guérin
Régie son de Guilhem Angot ou Jean-Louis Waflart
Archives et regard extérieur Valérianne Poidevin
Regard extérieur Thi-Mai Nguyen

Tournée
le 14 juin 2023 au CCN Normandie Caen
27 juin 2023 au Festival Latitudes contemporaines 10 septembre 2023 – Plastic Dance Flore, Versailles
le 22 septembre 2023 à Danse à tous les étages ! Rennes 8 octobre 2023 – CCN de Tours
les 4 et 5 décembre 2023 à Dance collection (Japan)
du 6 au 8 février 2024 aux 2 scènes – scène nationale de Besançon 

du 1er au 5 avril 2024 – T2G, Genevilliers 

For you / Not for you de Soléne Wachter
BleuPrintemps 
Regards extérieurs – Némo Flouret, Margarida Marques Ramalhete, Bryana Fritz et Georges Labbat 
Création costume de Carles Urraca Serra
Création lumière de Max Adams
Régie lumière de Matthieu Marques
Régie et création sonore de Rémy Ebras
Aide à la création sonore Olivier Renouf
Photographies de David Leborgne

Tournée
le 11 juin 2023 au Festival Nomadanse Rennes
du 23 au 25 novembre 2023 à La Ménagerie de Verre et Danse Dense , Paris 
les 23 et 24 janvier .2024 – Pôle-Sud CDCN de Strasbourg
le 31 janvier 2024 – La Place de la danse CDCN et le Théâtre Garonne , Toulouse 
le 23 mars 2024 – L’Étoile du Nord, Paris
le 23 mai 2024 – Le Manège Scène nationale, Reims 

Bless the sound that saved a witch like me – cri(s)… de Benjamin Kahn 
Création, interprétation de Sati Veyrunes 
Création musicale de Lucia Ross
Création lumière de Nils Doucet 
Création costume de Carolin Herzberg
Assistant dramaturgie – Théo Aucremanne
Textes de Benjamin Kahn inspiré directement par Pier Paolo Pasolini, Death Grips, Derek Jarman, MAVI 

Tournée
le 13 juin 2023 – Théâtre de l’Échangeur, Bagnolet
le 30 juin 2023 – Festival de Marseille 

Pieces of my heart de Delphine Mothes 
compagnie phaenomenon 

Création sonore et interprétation de DJ Mayday 
Création lumière de Delphine Thomas 
Collaboration chorégraphique de Thaïs Weishaupt 

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