La Tempête © Fabienne Rappeneau

Une belle Tempête agite le théâtre de la Huchette

Dans cette version écourtée, mais pas moins intense, d’Emmanuel Besnault, les mots de Shakespeare soufflent un air vivifiant qui rappelle que le théâtre n’a pas forcément besoin de gros navires pour bien voguer. Un bon capitaine à la barre et d’excellents marins sur le pont suffisent pour nous embarquer.

Qu’il est beau, le travail d’Emmanuel Besnault ! On savait ce jeune homme doué. Sa précédente mise en scène pop-rock du Fantasio d’Alfred de Musset, au Lucernaire, nous avait déjà emballés. Dans un univers poétique, jouant avec les masques de la commedia dell’arte, déployant son talent, laissant frémir dans les cintres l’esprit de Peter Brook, le jeune metteur en scène aborde sans anicroche la pièce de Shakespeare.

La poésie est cette musique que tout homme porte en soi
La Tempête © Fabienne Rappeneau

La Tempête comporte normalement cinq actes, un long fleuve. Dans cette version musicalisée, la pièce à rebondissements du dramaturge anglais ne dure qu’une heure quinze. Il y a eu des coupes dans le texte et dans les personnages, mais comme c’est fort bien exécuté, cela n’entache en rien le récit. Signalons l’excellente traduction d’Éric Sarner, qui allie poésie et modernité. Ainsi, les chansons, tels des sonnets, trouvent une grâce à nos oreilles et à notre entendement. Quant à la musique, œuvre de Jean Galmiche, construite de plages sonores électroacoustiques, elle se propage comme une brise sur cette histoire qui se situe hors du temps et de la réalité.

L’amour ne se voit pas avec les yeux, mais avec l’âme

Ce conte fantastique autant que philosophique parle de liberté, de barbarie, de dépendance, de manipulation, d’usurpation de pouvoir et de vengeance. C’est la lutte du bien contre le mal. C’est une histoire de pouvoir, de sagesse — et d’amour, quand même ! Il est aussi question de rapports père-fille, traités ici avec une délicatesse bien tendre qui touche notre cœur. La Tempête est la dernière œuvre de l’auteur, presque testamentaire. Et plus que jamais, Shakespeare rappelle que le théâtre est le lieu de tous les possibles et que l’homme joue sa propre comédie. « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves ».

La Tempête © Fabienne Rappeneau
Pardonner est une action plus noble et plus rare que celle de se venger

L’histoire débute sur une mer agitée et un naufrage. Emmanuel Besnault déploie sa toile et fait tanguer le navire dans une scénographie de toute beauté. L’intrigue se passe sur une île perdue, avec ses plages et la mystérieuse grotte de Prospero. Là encore, le metteur en scène déploie son formidable sens des images. Dans un jeu de perspectives, le petit plateau de la Huchette se transforme en infiniment grand. Et le Soleil peut briller de mille feux lors du dénouement, qui voit la rédemption de Prospero, la chute de Caliban, l’envol d’Ariel, et l’épanouissement de l’amour entre Miranda et Ferdinand.

Le monde entier est un théâtre…

L’interprétation magistrale des trois comédiens apporte de belles tonalités. Quel bonheur de retrouver sur scène Jérôme Pradon, un des rares comédiens-chanteurs que les Anglais nous envient. L’acteur est un des plus beaux Prospero que j’aie eu l’occasion d’applaudir. Il lui apporte une humanité bouleversante. Marion Préïté, découverte dans Comédiens !, n’a cessé de nous émerveiller. Elle incarne avec charme, malignité et grand talent, à la fois la délicate Miranda, l’espiègle Ariel et cet ivrogne de Stephano. Passant de Ferdinand à Caliban, Ethan Oliel, qui fut un si bouleversant Colin dans L’écume des jours, démontre à nouveau qu’il a un bel avenir devant lui. Toutes les bonnes conditions étant réunies, courez donc affronter cette très belle tempête.

Marie-Céline Nivière

La Tempête de Shakespeare
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette
75005 Paris.
Jusqu’au 20 mai 2023.
Du mardi au samedi à 21h10.
Durée 1h15.

Adaptation, mise en scène et scénographie d’Emmanuel Besnault.
Avec Jérôme Pradon, Marion Préïté̈, Ethan Oliel.
Composition et création sonore de Jean Galmiche.
Nouvelle traduction d’Éric Sarner.
Lumières de Cyril Manetta.
Costumes de Magdaléna Calloc’h.
Accessoires de Juliette Paul.
Maquillages de Valentin Perrin.
Assistante mise en scène Cindy Briand.

Crédit photos © Fabienne Rappeneau

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