Le grand jour © Antoine Agoudjian

Le grand jour, un règlement de compte familial aux petits oignons

Frédérique Voruz continue son exploration sur la famille. Avec Le Grand jour,l ’autrice-metteuse en scène démontre qu’il n’y a rien de tel qu’un enterrement pour laver son linge sale en famille et trouver le chemin d'une réconciliation.

Dans Lalalangue, solo joué en novembre dernier au Théâtre du Rond-Point, Frédérique Voruz dévoilait, dans une « confession héroïque » et non dénuée d’humour, son enfance dans le milieu hostile de sa famille. Au centre de son histoire, il y avait sa mère, laquelle, après un accident de montagne, avait perdu une jambe et les jumeaux qu’elle attendait. Cette femme brisée avait eu à son réveil ces mots : « Je me vengerai sur les enfants ». Et elle avait tenu sa parole.

Le grand jour © Antoine Agoudjian
© Antoine Agoudjian
Les maux dits

Même si l’on trouve certaines allusions au précédent spectacle, que son inspiration a été nourrie de son propre vécu et qu’ici aussi la mère est amputée, Le grand jour n’est pas une suite du précédent. L’autrice se promène dans le « chant » plus vaste et universel de la disparition de la matrice. La mort d’une mère, qu’elle soit affectueuse ou mal aimante, provoque toujours des remous, certains personnels et d’autres collectifs. La confrontation de ces éléments émotionnels forme automatiquement des secousses qui ébranlent et bouleversent l’ordre des choses. C’est le cœur de la pièce.

Un bon savon fait une bonne lessive

Ils sont cinq petits poussins déboussolés. Ils viennent d’enterrer leur mère. Celle qui, par son propre malheur, les a transformés en vilains petits canards. Chez ces gens-là, comme le chantait Brel, il y a avant tout l’aînée (Frédérique Voruz). Celle qui a pris son rôle de protectrice très au sérieux. Fermée à toutes émotions, elle commande, régence et ordonne. La grande a toujours eu peur que la mère fasse encore plus de dégâts sur les petits, les deux frères devenus ennemis (Emmanuel Besnault et Victor Fradet) et les deux sœurs fragilisées (Aurore Frémont et Rafaela Jirkovsky). À fleur de peau, ils vont alors se dire des vérités, laisser leurs paroles dépasser leurs pensées, exprimer leurs regrets et leurs désirs, découvrir des secrets de famille. Mais surtout apprendre à faire leur deuil et leurs premiers pas vers l’apaisement.

Les pièces rapportées ont aussi leurs mots à dire

Nous ne verrons jamais les autres, les oncles, tantes, cousins, cousines… Tout tourne autour de la fratrie. Seules les pièces rapportées s’y agrègent. La compagne de la cadette (Anaïs Ancel), trop souvent prise pour une potiche, et le compagnon compréhensif et attentif de la benjamine (Éliot Maurel). Tout en sachant qu’il est difficile de trouver sa place dans le clan, ils arbitrent comme ils peuvent les échanges. Il y a bien sûr Monsieur le Curé, qui a force de trop boire ne sait plus contenir son chagrin. L’âme de la mère est encore bien présente. Sylvain Jailloux interprète très finement ces deux personnages.

Le grand jour © Antoine Agoudjian
© Antoine Agoudjian
Cuisine et dépendances

Ce règlement de comptes se passe dans la cuisine, représentée uniquement par une table et des chaises, posées sur un carré de linoléum. Cet axe central est l’aire de jeu dans laquelle Frédérique Voruz fait évoluer son histoire. Notre attention est focalisée sur ce lieu. Ce symbole des rassemblements, des confessions, des disputes, des amusements, des réconciliations, des larmes et des rires. Toutefois, nous ne sommes pas enfermés. Aucun mur ne le délimite et quand un personnage en sort, c’est pour aller s’installer sur un des bancs situés à cour ou à jardin. Ainsi, les personnages peuvent circuler tout à leur aise, selon leurs ressentis, leurs colères ou leurs silences. À noter le très beau travail des lumières de Geoffroy Adragna, qui évolue selon le temps qui passe dans la journée et selon les émotions qui traversent les protagonistes.

Une belle unité de jeu

Nous avons sur le plateau une belle équipe qui maîtrise le jeu choral. Les acteurs et actrices qui la composent sont issus de la grande famille du Soleil, celle de Mnouchkine et celle de Simon Abkarian (Électre des bas-fonds), voire des deux — hormis Emmanuel Besnault, que l’on connaît plus en tant que metteur en scène (Fantasio, La tempête), et qui se trouve à son aise dans cet esprit de troupe. Que ce soit dans l’ensemble ou le particulier, ces artistes doués incarnent avec beaucoup de justesse et de sincérité leur personnage. Frédérique Voruz réveille en nous souvenirs et émotions. Un beau spectacle qui nous rappelle que la vie est faite d’autant de larmes que de rires.

Marie-Céline Nivière

Le grand jour, texte et mise en scène de Frédérique Voruz.
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris.
Du 4 au 26 février 2024.
Durée 1h20.


Théâtre du Soleil
Cartoucherie – Route du champ-de-manœuvres
75012 Paris.
Du 15 février au 5 mars 2023.
Du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30.
Durée 1h20.

Avec Anaïs Ancel, Emmanuel Besnault, Victor Fradet, Aurore Frémont, Sylvain Jailloux, Rafaela Jirkovsky, Éliot Maurel, Frédérique Voruz.
Conseil artistique de Franck Pendino et Joséphine Supe.
Scénographie de Frédérique Voruz et Geoffroy Adragna.
Conception décors de Geoffroy Adragna.
Création lumière de Geoffroy Adragna.Création son de Benoît Déchaut.

Teaser Le Grand jour © Frédérique Voruz
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