Othello de Shakespeare, mise en scène de Jean-François Sivadier © Jean-Louis Fernandez
Othello de Shakespeare, mise en scène de Jean-François Sivadier © Jean-Louis Fernandez

Le sombre Iago et le lumineux Othello de Jean-François Sivadier

L'Othello de Shakespeare, mis en scène par Jean-François Sivadier, est sublimé par le duo Nicolas Bouchaud - Adama Diop.

Othello © Jean-Louis Fernandez

Avant de s’installer à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, Jean-François Sivadier a posé son Othello, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne. La tragédie de Shakespeare, par l’interprétation sans faille d’une troupe à l’unisson, prend des accents tragi-comiques qui en disent long sur l’âme humaine.

Été 2007, au festival Paris Quartier d’été (devenu depuis Paris l’été), j’ai découvert à l’Opéra-Comique, son Italienne avec orchestre. Depuis, je suis devenue une inconditionnelle du travail de Jean-François Sivadier, qui pose sur les œuvres qu’il traite un regard intelligent, pertinent, empreint d’un humour subtil. Que ce soit sur Shakespeare (Le roi Lear), Bertolt Brecht (La vie de Galilée), Feydeau (La dame de chez Maxim) ou Molière (Le Misanthrope), il sait toucher et nous offrir de grands moments de bonheur. C’est donc avec une certaine impatience et une gourmandise que j’allais aborder sa proposition sur Othello. Et j’ai été comblée.

Quoi de neuf ? Shakespeare
Othello © Jean-Louis Fernandez

Chez Shakespeare, le théâtre est toujours à la fête. Il est même le centre de son œuvre, car la vie est une pièce que l’on interprète comme on peut. Rappelons que la devise inscrite au Shakespeare’s Globe Theater est « le monde entier est un théâtre ». Et que ce dernier est composé par les complexités de l’être humain. Othello, Desdémone, Iago, Cassio, Rodrigo, Émilia et Bianca en sont la preuve. La jalousie, la rancœur, la vengeance, l’aveuglement font ici bon ménage pour détruire la pureté, la loyauté, la tendresse et l’amour. Le metteur en scène, avec ce fameux trait d’humour qui lui est propre, fait entendre merveilleusement la tragédie.

Qui est Othello ? Un étranger. Sa couleur de peau accentue cette différence. Mais il est avant tout un brave, un soldat et homme de devoir. La cité de Venise l’a élevé au rang de héros. Ce qui ne fait pas l’unanimité dans la ville des Doges. Il y a le père de Desdémone, qui l’accepte en tant que valeureux mais pas en tant que gendre. Et il y a surtout Iago ! Ce serpent crachant son poison va mettre en place une terrible machination qui emportera tout sur son passage. Il est le personnage central ! On se demande même pourquoi la pièce ne porte pas son nom !

Ce traître de Iago

Qui dit pièce de Sivadier, dit Nicolas Bouchaud. Il est le comédien fétiche du metteur en scène. Leur association est des plus réjouissantes. Il a été un Alceste prodigieux, un Galilée exceptionnel, un Lear émouvant, un Petypon extraordinaire. C’est avec une extrême adresse qu’il s’est glissé dans les méandres des pensées tordues de Iago. Vicieux, pervers, mielleux, portant un sourire proche de celui du Joker Joker, vilain personnage de Batman, le personnage distille son venin, manipule les uns et les autres. Ce grand lâche, se pensant supérieur, saccage tout ce qui peut y avoir de beau et de noble chez les autres. Il fait pitié tant sa cruauté frise la bêtise des imbéciles. Tout dans son jeu, surtout les ruptures de ton et de style, nous a emballés.

Othello © Jean-Louis Fernandez
Le Maure de Venise

Dans le rôle phare d’Othello, on retrouve Adama Diop, un comédien au jeu subtil. Il est le Maure qui mord la vie à pleines dents, solaire et insolent. Pourtant celui qui fut enlevé aux siens, enfant pour devenir esclave n’oublie rien de son passé. Il apprend sa langue à Desdémone, évoque les contes de son pays. Puis, grâce à ce cher Iago, il perd pied et laisse les doutes puis la haine l’envahir. Les deux versants du personnage, le jeune chef d’armée à qui tout réussi et le mari dévoré par la jalousie, sont exécutés avec une belle adresse. Cet Othello est un homme de notre époque qui a du mal à trouver sa place et ses droits.

Une belle troupe

Stephan Butel est un Cassio surprenant. Ce grand guerrier a des fragilités d’homme bien séduisantes. Avec sa longue silhouette et son autorité naturelle, Cyril Bothorel incarne plusieurs rôles, dont celui du père intraitable de Desdémone. Cette jeune fille tombée éperdument amoureuse d’un héros. Émilie Lehuraux est une jeune première très moderne, la malice et la fragilité de l’enfance sont encore accrochées à ses regards. Elle est tout aussi épatante dans le rôle de la prostituée Bianca. Le choix de Jisca Kalvanda pour Émilia, l’épouse de Iago, est très judicieux. Rappelant ainsi, que la couleur ne fait pas le personnage. Son interprétation du dévouement et de la bonté d’âme est impeccable. Dans ce pauvre Rodrigo qui se fait broyer par une histoire qui le dépasse, on découvre un jeune comédien appelé à un bel avenir, Gulliver Hecq. Il est brillant.

S’appuyant sur une scénographie qui aime les espaces vides et sait les remplir, Sivadier mène sa troupe de main de maître. Jouant sur les codes, celui du théâtre de la cruauté, de la comédie, de la tragédie, du musical (avec des chansons de Queen où de Dalida), du grand guignol, il fait résonner Shakespeare dans cette intemporalité qui fait que de son lointain passé, ce grand auteur, parle encore à notre présent. À ne pas manquer !

Marie-Céline Nivière

Othello de William Shakespeare.
TNP de Villeurbanne
8 place du Dr Lazare Goujon
69100 Lyon.
Jusqu’au 4 février 2023.
Du mardi au samedi à 19h30, sauf jeudi à 19h, dimanche à 15h30.
Durée 3h40 avec entracte.

Tournée :
Les 8 et 9 février au Bateau-Feu, scène nationale de Dunkerque.
Les 15 et 16 février au Théâtre de l’Archipel, scène nationale de Perpignan.
Du 22 au 25 février au TnBA, Bordeaux.
Du 1er au 4 mars à La Comédie de Saint-Étienne.
Du 18 mars au 22 avril au Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris.
Du 26 au 28 avril à la MC2 Grenoble.
Du 4 au 6 mai à Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon.
Du 10 au 13 mai au Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie.
Les 24 et 25 mai à L’Azimut, Antony/Châtenay-Malabry.

Traduction de Jean-Michel Déprats.mise en scène de Jean-François Sivadier.
Collaboration artistique de Nicolas Bouchaud et Véronique Timsit.
Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda et Émilie Lehuraux.
Avec la participation de Christian Tirole et Julien Le Moal.
Scénographie de Jean-François Sivadier, Christian Tirole et Virginie Gervaise.
Lumière de Philippe Berthomé et Jean-Jacques Beaudouin.
son d’Ève-Anne Joalland.
Costumes de Virginie Gervaise.

Crédit photos © Jean-Louis Fernandez.

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