Les Serpents de Marie Ndiaye. mise en scène de Jacques Vincey. avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. Théâtre Olympia. © Christophe Raynaud de Lage

Jacques Vincey réveille les sombres Serpents de Marie Ndiaye

Au théâtre Olympia, Jacques Vincey ouvre sa saison en adaptant à la scène, Les Serpents, l’âpre roman de Marie Ndiaye.

Au Théâtre Olympia de Tours, Jacques Vincey ouvre sa saison en adaptant à la scène, l’âpre roman de Marie Ndiaye. Plongeant dans les racines du mâle, il signe un spectacle fort qui dénonce avec une violence toute retenue la domination masculine. Portés par trois comédiennes talentueuses, Ces serpents-là n’ont pas fini de siffler à nos oreilles. 

La scène est nue. Des coulisses, une silhouette apparait, celle d’une femme d’un certain âge, encore belle. C’est Madame Diss (extraordinaire Hélène Alexandridis). Dans un ensemble crème, élégant, elle fait le pied de grue devant la maison de son fils. Il lui refuse obstinément l’entrée. On est le 14 juillet, il fait épouvantablement chaud. Placide, flegmatique, elle prend son mal en patience. Non qu’elle l’aime ou qu’elle ait quelques compassions pour son unique enfant, elle souhaite juste lui emprunter une certaine somme d’argent. Bien qu’aisée, elle a contracté quelques dettes, qu’il est temps de solder. 

Face à un mur 
Les Serpents de Marie Ndiaye. mise en scène de Jacques Vincey. avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. Théâtre Olympia. © Christophe Raynaud de Lage

De l’intérieur de l’inquiétante demeure s’échappent des sons étranges, des borborygmes sourds. De quoi rebuter n’importe qui, sauf Madame Diss, cette femme, à la langue acérée, du tempérament. Elle est de la trempe des coriaces, des vainqueurs. Rien n’y fait, se dérobant à toute confrontation, le fils envoie comme émissaire, France (étonnante Tiphaine Raffier), sa jeune et candide épouse. Touchante, naïve, compréhensible, elle se fait inflexible quand il s’agit d’obéir à son mari. Nul ne franchira le seuil du foyer familial. Nul ne sera ce qui se trame derrière les hauts et sombres murs. 

Fantôme(s) du passé
Les Serpents de Marie Ndiaye. mise en scène de Jacques Vincey. avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. Théâtre Olympia. © Christophe Raynaud de Lage

Cachant derrière une certaine hardiesse ses fêlures, Nelly (lumineuse Bénédicte Cerutti), la première belle-fille de Madame Diss, rejoint le duo. Elle veut revoir son ex-époux, régler leurs différends, aborder la disparition de leur fils unique. Tel un funeste corbeau, l’ombre de l’enfant plane au-dessus des maïs qui encerclent la propriété. Mort trop tôt dans des circonstances troubles, il veut son dû, sa vengeance. 

Une écriture acérée, rugueuse

Sans vraiment jamais dire les choses, Marie Ndiaye n’a pas son pareil pour décrire un malaise, un mal être, un fait divers. Derrière les apparences, qu’elles soient sarcastiques, méchantes, ingénues ou sophistiquées, elle laisse entrevoir la peur d’ombre, d’horreur. Transformant en gardiennes des secrets, de la forteresse du mâle diabolique, ces trois femmes qui n’ont en commun que l’amour du même homme, l’auteure pithivérienne s’attaque avec une lucidité féroce, aux mécanismes de domination masculine. Glacial, le texte répand insidieusement son venin en chacun d’entre nous pour mieux faire éclater l’innommable crime.  

Une mise en scène travaillée au corps 
Les Serpents de Marie Ndiaye. mise en scène de Jacques Vincey. avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. Théâtre Olympia. © Christophe Raynaud de Lage

S’emparant avec épure et retenue, du roman Les serpents, sorti en 2004 aux Éditions de MinuitJacques Vincey ne cherche pas à surcharger l’espace scénique bien au contraire. Le texte et le jeu touchant fin des comédiennes  se suffisent à eux-mêmes. S’appuyant sur le talent inventif de son scénographe, Mathieu Lorry-Dupuy, avec lequel il a déjà travaillé sur UND et L’île aux esclaves, il imagine un lieu hostile, vide où nul ne peut échapper à sa conscience. Transformant la maison en un immense mur de baffles, il s’amuse des sons, leur donne le rôle principal. Grondants, sordides, effrayants, les hurlements des uns, les sifflements des autres, déroutent et détruisent à petits feux les dernières forces de notre trio féminin. Cruelle, terrible, la vérité éclate n’épargnant rien, n’y personne. Tapis dans l’ombre, l’ogre dévore tout. Un dernier round, une dernière bataille, le public, ébranlé dans ses certitudes, sort K.O. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Tours 

Les Serpents de Marie Ndiaye – Publié aux Editions de Minuit
Théâtre Olympia – CDN de Tours
7 Rue de Lucé
37000 Tours
Jusqu’au 8 octobre 2020
Durée 1h45 environ

Tournée 
Du 13 au 16 octobre 2020 au ThéâtredelaCité – CDN de Toulouse
Du 17 au 19 novembre 2020 au CDN Besançon Franche-Comté
Du 25 novembre au 4 décembre 2020 Théâtre National de Strasbourg
Du 11 au 13 décembre 2020 au Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne
Du 2 au 26 février 2021 au Théâtre du Rond-Point – Paris
Du 16 au 19 mars 2021 au TnBA – Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine

mise en scène de Jacques Vincey 
avec Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier
dramaturgie de Pierre Lesquelen
scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy
lumières de Marie-Christine Soma, assistée de Juliette Besançon 
son et musique d’Alexandre Meyer et Fréderic Minière
costumes d’Olga Karpinsky
perruques et maquillage de Cécile Kretschmar

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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