© Frédéric Iovino

Comme tu me vois.. : Cri du cœur, cri du corps

Le comédien Grégori Miège fait sensation sur la grande scène du théâtre du Nord avec ce texte en forme de manifeste contre la grossophobie dite « ordinaire ».

Ça commence avec une avalanche de statisques. Dans le monde, nous explique une voix-off, plus de deux milliards d’adultes sont en surpoids. En France, la même réalité pourrait concerner jusqu’à 48 % des adultes, et 17 % sont en situation d’obésité. D’ici peu, si l’on en croit les prévisionnistes, plus de 20 % de la population mondiale pourrait être concerné… On ne cite ici que quelques exemples de cette liste frénétique, dont la petite musique s’étire pendant de longues minutes tandis que le corps — gros — du comédien Grégori Miège se tient sur scène, droit et fier, face au public. 

© Frédéric Iovino


Co-auteur de la pièce avec les universitaires Arnaud Alessandrin et Marielle Toulze, le comédien (vu dans le formidable Dom Juan de David Bobée) interprète un spectacle coup-de-poing, entre témoignages et fragments de fiction. Composé d’une mosaïque de récits à la première personne, Comme tu me vois met des mots — et toute la rage qu’il faut — sur une discrimination trop rarement nommée. Car les gros, nous dit-on, sont jugés coupables de leur condition. C’est là, dans ce préjugé tenace, que s’enracine la grossophobie dite « ordinaire » — qui n’a rien d’ordinaire pour ceux qui la subissent.


Les récits s’enchaînent sur un plateau nu, rythmé par les changements de lumière. Le comédien incarne tour à tour des voix multiples. Celle d’un lycéen, mis au régime par sa famille parce que jugé trop gros : « Pour mes parents, être gros est un échec. Le leur, le mien, le signe d’une déprime ou d’un mal-être », dit-il, amer. La colère affleure, mais c’est la honte qui revient sans cesse : celle « d’assumer une singularité qui dérange », celle d’un corps « dont on est peu à peu dépossédé », tant il est jugé en permanence. Elle s’écrit même en grandes lettres sur scène — des lettres roulantes que le comédien déplace lui-même pour composer le mot. Ces lettres, démesurées, disent beaucoup : plus grosses encore que le corps qu’elles désignent.

© Frédéric Iovino

D’un témoignage à l’autre, sans nom de personnage, le comédien glisse sans artifice. Peu importe qui parle : homme, femme, jeune ou vieux, les récits se rejoignent. Même moqueries, mêmes « regards appuyés » dans le bus, mêmes « régimes absurdes qui affament » prescrits par des diététicien·ne·s zélé·e·s, même impossibilité de « manger à la vue de tous sans que cela devienne un sujet ». Même vie sous surveillance : par le corps médical, les collègues, les passants, les parents.

C’est cette répétition — épuisante, violente, structurelle — qui donne chair au mot « grossophobie ». Un mot encore trop peu pris au sérieux, contrairement à d’autres formes de discrimination comme l’homophobie ou le racisme systémique. Ce terme, Grégori Miège et ses co-auteurs le font résonner à corps et à cri, avec une force salutaire.


Comme tu me vois, récits d’une grossophobie ordinaire d’Arnaud Alessandrin, Grégori Miège, Marielle Toulze
Théâtre du Nord
4 Place du Général de Gaulle
59000 Lille

Du 14 au 17 mai 2025 au Théâtre du Nord, Lille

Tournée
Du 5 au 24 juillet 2025 au théâtre Le Train Bleu, Festival OFF Avignon


Interprétation de Grégori Miège

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