Comment le théâtre est-il entré dans vos vies ?
Agathe Mazouin : Tout a commencé dans un atelier théâtre au collège, à Montpellier, où j’ai grandi. J’ai eu assez vite la sensation d’être au bon endroit. Puis au lycée, j’ai continué à jouer, tout en allant au Printemps des comédiens chaque année avec mes profs de français. C’est là que j’ai vu mes premières pièces. J’étais sidérée. Le théâtre créait une forme de suspension du temps. Cette sensation, je ne l’ai jamais retrouvée ailleurs.
Guillaume Morel : De mon côté, c’était presque un acte de survie. À seize ans, j’étais enfermé dans une timidité maladive. Je dessinais, je voulais faire de la BD, mais la solitude du trait me rendait fou. Le théâtre m’a offert un espace collectif, un endroit où l’on est regardé autrement. Et surtout, j’ai rencontré une prof au lycée — une pédagogue géniale — qui m’a donné le goût de transmettre.
Et ensuite ?
Guillaume Morel : J’ai tâtonné. J’ai commencé dans une petite école aux Lilas, très hétéroclite. Puis dans un conservatoire d’arrondissement, pour me préparer au concours d’entrée des grandes écoles… où je me sabotais sans cesse. Finalement, j’ai co-fondé une compagnie, monté une pièce avec les moyens du bord, et créé un festival en Picardie. Mais après un choc personnel, j’ai ressenti le besoin de reprendre ma formation. C’est à cette période que j’ai réussi le concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et j’ai rencontré Agathe.
Agathe Mazouin : Après des études en sciences politiques pour rassurer mes parents, je suis venue à Paris pour tenter les conservatoires. J’ai été admise dans le 14e arrondissement, puis au CNSAD. C’est là que j’ai compris que la mise en scène, ce n’était pas réservée qu’aux autres. À force d’observer mes camarades, j’ai compris que ce dialogue avec les interprètes, cette manière de construire une scène, de faire image, me passionnait.
Comment s’est imposée l’envie de travailler ensemble ?
Agathe Mazouin : Dès la première année, on a senti un coup de foudre artistique. Guillaume m’a impressionnée comme comédien. Je crois que j’ai aussi compté pour lui, comme partenaire de jeu. Très vite, on a commencé à rêver d’un théâtre commun : exigeant, accessible, généreux. Ni l’un ni l’autre, nous ne venons d’un milieu artistique, mais nous partageons un même désir de théâtre pour tous. Et sans doute pour nos parents aussi.
Guillaume Morel : On s’est testés sur des formes libres, des stages où les élèves dirigeaient. Pendant le confinement, on a même bricolé un film ensemble, avec des piles de livres en guise de trépied. On a cherché, tâtonné, inventé une manière de travailler à deux. Puis est venue l’idée de monter Le Conte d’hiver.
Pourquoi cette pièce précisément ?
Guillaume Morel : Elle est peu montée et pourtant, c’est une bombe. Il y a du suspense, du mystère, un souffle romanesque. La traduction de Koltès est d’une puissance rare — on dirait qu’elle a été écrite pour des acteurs d’aujourd’hui. Elle nous a donné envie de la dire tout de suite à voix haute. Et puis cette pièce parle du deuil, des fantômes qu’on porte en soi. Elle résonne fortement pour moi.
Agathe Mazouin : Elle permet une liberté folle. C’est une tragi-comédie, entre le rêve et la réalité, entre la Sicile et la Bohême. On passe du politique au fantastique, du grotesque au poétique. Et surtout, elle parle du féminicide, de la violence faite aux femmes. Hermione et Paulina sont parmi les figures féminines les plus fortes de Shakespeare. Certains monologues pourraient avoir été écrits hier.
Des influences, des artistes qui vous ont marqué ?
Guillaume Morel : Peter Brook, sans hésiter. Sa clarté, son humilité, son esprit de recherche m’accompagnent toujours. J’ai aussi été très influencé par Alexandre Barry, qui a longtemps collaboré avec Claude Régy, et Simon Falguières. Tous deux m’ont transmis cette idée d’un théâtre de troupe, d’un engagement profond au plateau.
Agathe Mazouin : Julie Deliquet. J’ai vu Fanny et Alexandre à la Comédie-Française, puis Welfare : des claques. Elle capte quelque chose entre le réel et la fiction, une vérité presque invisible. J’ai eu la chance de faire un stage Afdas avec elle, ce furent deux semaines qui ont changé ma manière de concevoir le théâtre. Et puis il y a Joël Pommerat, bien sûr. Ça ira (1) Fin de Louis, que j’ai découvert à l’amphithéâtre du domaine d’O à Montpellier, m’a bouleversée. Ce mélange de politique, de groupe, de scénographie… une révélation.
Vous parlez souvent de troupe, de collectif. C’est essentiel pour vous ?
Agathe Mazouin : Oui. On voulait un spectacle choral, où chacun trouve sa place. Le Conte d’hiver, c’est aussi une aventure humaine. On a fondé une compagnie pour ça, pour continuer à travailler ensemble, à chercher, à inventer.
Guillaume Morel : On a une sorte de grammaire commune, une poésie à deux. Moi, je suis nourri par la simplicité de Brook, Agathe par l’absurde de Philippe Quesne. Ça se rencontre, ça se frictionne, ça s’enrichit. Ce projet, c’est un mélange de nos mondes.
Prochaine étape ?
Agathe Mazouin : La création au TGP, puis on verra. Mais on sait une chose : on veut continuer à faire du théâtre ensemble. Le plus longtemps possible.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le conte d’hiver de William Shakespeare
TGP – Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules-Guesde
93 207 Saint-Denis Cedex
du 21 au 25 mai 2025
Durée estimée 2h20
Mise en scène d’Agathe Mazouin et Guillaume Morel
Avec Louis Battistelli, Myriam Fichter, Joaquim Fossi, Mohamed Guerbi, Olenka Ilunga, Eva Lallier Juan, Julie Tedesco, Zoé Van Herck, Padrig Vion, Clyde Yeguete, Léo Zagagnoni, Mathias Zakhar
Traduction de Bernard-Marie Koltès
Scénographie d’Andrea Baglione
Lumière de Lucien Vallé
Musique deJohn Kaced
Vidéo de Camille Berthelot
Costumes de Lucie Duranteau
Le Conte d’hiver est publié aux éditions de Minuit