Les festivaliers ne sont pas encore tous installés qu’un performeur, en jupe blanche et débardeur noir laissant entrevoir une musculature parfaite, apparaît. Il est dément. Son déhanché fascine, hypnotise. Un petit tour autour de structures métalliques blanches, évoquant autant des cages que les vestiaires d’un stade de foot, et il disparaît dans les entrailles de pierre du Palais des Papes. Les applaudissements fusent. Ce prélude est plus que prometteur et laisse présager le meilleur…
Grotesque en majesté
Noir. Silence. Un autre interprète (Joãozinho da Costa) entre en scène. Il se plante devant un micro, mime un discours cartoonesque. Ses grimaces sont impayables. La patte de Marlene Monteiro Freitas est déjà là, dans chaque élément du décor, dans chaque geste – le noir des vêtements rappelle Mal, les mouvements ceux de Canine jaunâtre. Le grand-guignolesque et le burlesque s’invitent sur l’immense plateau. Ils formeront la base même de toute la performance.
Mais chez la Capverdienne, rien n’est évident. C’est ailleurs que sa créativité se déploie : dans le décalé, le trash, le laid.
Sheherazade démultipliée
Grimée en Shéhérazade, à l’autre bout du plateau, une silhouette féminine apparaît. Elle avance à petits pas, gémissant à chacun de ses gestes. Tout couine, tout grince. C’est le début de la dégringolade, la fin de l’innocence. Les Mille et Une Nuits, prétexte initial, s’envolent pour laisser place à une fable noire et contemporaine. Chacun à leur tour, les huit interprètes se glisseront dans la peau de la conteuse.
À l’heure de l’ intimité surexposée, de l’horreur de la guerre, de la monstruosité du monde livrée en continu sur les réseaux sociaux, Marlène Monteiro Freitas vomit tout sur scène et confronte le spectateur à ses propres contradictions. Empruntant à son aînée hispanique Angélica Liddell le goût de la provocation – sans en atteindre l’éclatante fulgurance ni la justesse – elle propose un spectacle fantasmagorique, faussement trash, et terriblement creux.
Corps performants, dramaturgie absente
Pourtant, les images ne manquent pas. Les huit performeurs excellent. La musique jouée en live, les corps disloqués ou mutilés — extraordinaire Mariana Tembe — marquent les esprits. Mais cela ne suffit pas à habiter la Cour, ni à lui insuffler l’épopée des contes arabes d’origine persane, nés au Xe siècle.
Déroutant, dérangeant, excessif, le spectacle l’est sans aucun doute. Mais il mène ailleurs. Dans le rire gêné, l’agacement, l’affreux, le grotesque, mais aussi parfois vers le sublime. Marlène Monteiro Freitas mélange tout. Elle ne cherche pas à plaire, mais à mettre le spectateur face à lui-même, face à un monde au bord du chaos.
Un chaos qui peine à faire sens
Malgré les cris, les déflagrations, les échos de guerre amenés sur scène au plus près de chacun, quelque chose résiste par l’absence d’une dramaturgie tenue. La puissance narrative de l’œuvre originelle se dissout dans un enchaînement de saynètes éclatées. À droite, à gauche, tout se joue simultanément. On ne sait plus où regarder. On s’épuise.
La musique, elle, impressionne. De Prince à Nick Cave, en passant par Les Noces de Stravinsky, jouées en live sur des caisses claires, elle transforme la scène en champ de bataille. Le sang, par touches discrètes, rappelle les drames d’hier et d’aujourd’hui.
Ce déroutant, Nôt de Marlene Monteiro Freitas dérange, agace ou touche au sublime parfois, mais n’atteint pas son but, interroger le spectateur sur l’espoir, vain peut-être, de sauver le monde – et notre humanité.
Nôt de Marlene Monteiro Freitas
Cour d’honneur du Palais des papes – Festival d’Avignon
du 5 au 11 juillet 2025
durée 1h20 environ.
Tournée
6 au 9 août 2025 à l’International Summer Festival Kampnagel (Hambourg)
14 et 15 août 2025 au Berliner Festpiele / Tanz in August (Berlin)
28 et 29 août 2025 à La Bâtie – Festival de Genève
11 au 14 septembre 2025 au Culturgest (Lisbonne)
19 et 20 septembre 2025 au Rivoli, Teatro Municipal do Porto
6 au 8 février 2026 à l’Onassis Stegi (Athènes)
20 et 21 février 2026 au PACT Zollverein (Essen)
4 et 5 mars 2026 au Quartz (Brest)
25 au 28 mars 2026 à La Villette, en partenariat avec Chaillot – Théâtre national de la danse (Paris)
22 et 23 avril 2026 à La Comédie (Clermont-Ferrand)
28 et 29 avril 2026 à la MC2 (Grenoble)
6 et 7 mai 2026 à la Maison de la Danse (Lyon)
14 au 17 mai 2026 Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles).
Chorégraphie deMarlene Monteiro Freitas assistée de Francisco Rolo
Avec Marie Albert, Joãozinho da Costa, Miguel Filipe, Ben Green, Henri « Cookie » Lesguillier, Tomás Moital, Rui Paixão, Mariana Tembe
Conseil artistique – João Figueira, Martin Valdés-Stauber
Scénographie d’Yannick Fouassier, Marlene Monteiro Freita
Lumières et direction technique d’Yannick Fouassier
Costumes de Marlene Monteiro Freitas, Marisa Escaleira
Son de Rui Antunes
Régie générale – Ana Luísa Novais
Accessoire scénique spécial – Cláudio Silva
Stagiaire scénographie – Emma Ait-Kaci.