À quelques pas de Bastille, à la terrasse d’un café ombragé, Nicolas Barry s’installe. Sous la lumière crue de ce début d’été, son regard bleu lagon pétille, le geste est vif. Il y a chez lui quelque chose de l’enfant joueur : une gourmandise intacte pour les histoires, les idées, les corps en mouvement. « J’ai toujours été curieux de ce que le plateau pouvait inventer », confie-t-il.
“Je ne voulais pas faire d’anglais renforcé”
La vocation théâtrale de Nicolas Barry tient au hasard. « Je ne m’étais pas inscrit en anglais renforcé avant les vacances d’été. En rentrant, il ne restait que l’option théâtre. C’était la seule qu’on pouvait prendre sans l’accord du conseil de classe. J’ai coché la case sans réfléchir. » Le hasard devient vite passion.
Au lycée, il croise la route d’un professeur de lettres flamboyant qui devient une figure marquante. « C’était un homme impressionnant, hyper passionnant, qui est devenu assez rapidement une forme de modèle. » Sous sa houlette, il découvre les Pièces de guerre d’Edward Bond et son célèbre “monstre”. « J’ai eu une passion pour Bond, pour mon prof et pour le groupe d’amis que formait l’option. C’était mon refuge, là où je me sentais à ma place. »
Le bac en poche, il tente un temps le droit, jusqu’à cet examen de droit matrimonial qui provoque la rupture. « Le droit du mariage… non, vraiment, ce n’est pas pour moi. » Direction Paris, où il s’inscrit à l’école Claude Mathieu, avant d’intégrer en 2015 l’ENSATT à Lyon. Rapidement, le désir de jouer cède la place à celui d’écrire et de mettre en scène. « Mes rêves d’acteur ont laissé place à d’autres désirs. »
« L’écriture, c’est devenu constant »
L’ENSATT est aussi le lieu de rencontres fondatrices. « Mathilde Soulheban, camarade de promotion, a bouleversé mon rapport à l’écriture. Son intensité littéraire m’a marqué durablement. » Autre choc pour l’artiste en devenir, la découverte au Théâtre du Châtelet à Paris d’Einstein on the Beach de Bob Wilson et Philip Glass. « Voir coexister tous ces modes d’écriture simultanément m’a ouvert un champ de possibles. »
Désormais, plus une journée ne passe sans qu’il couche des notes, des mots sur le papier. « Il n’y a plus de moment où je n’écris pas. » Scène, danse, film, roman… Les supports varient, mais les obsessions demeurent. « Les questions politiques nourrissent souvent la forme. Comment un sujet invente-t-il sa forme scénique ou littéraire ? C’est le point de départ. » Ses premières pièces interrogent la société de surveillance (Pas de Danse), le cri sous toutes ses formes (Grand Crié) ou la demande d’asile. Mais un thème revient toujours : l’amour. « La question de l’amour revient sans qu’on lui demande. »
« Le corps a décoincé mon écriture »
C’est en travaillant avec des danseuses et des danseurs sur Pas de danse que son écriture trouve sa pleine mesure. « Mes textes manquaient de corps. La danse les a incarnés. » Dorénavant, il revendique une écriture charnelle, physique. « Je suis proche du clown, d’une présence organique plus que virtuose. »
Et pourtant, même s’il revendique volontiers qu’il n’est « pas comédien », Nicolas Barry n’hésite pas à porter lui-même ses textes sur scène lorsque les circonstances l’y amènent. « J’ai fait une école de théâtre pendant trois ans, donc j’ai des techniques, je sais porter la voix. Je dis que je ne suis pas comédien, mais j’ai joué dans plusieurs spectacles. Disons plutôt que je ne me sens pas comédiable par les autres. Même si cela arrive », sourit-il.
Avec La Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui, présenté cet été au jardin du Carmel à Avignon dans le cadre du Train Bleu, il pousse plus loin ses recherches. La pièce est le premier volet d’un triptyque intitulé La Paix dans le Monde, une exploration de dramaturgies sans conflit. « On sur-représente les dramaturgies de la guerre au théâtre. Peu de textes parlent de paix, de rapports apaisés. Je voulais explorer ce qu’une fiction sans opposition frontale pouvait produire. »
« Quarante minutes de texte appris par cœur »
Ce qui devait être un simple prologue devient une longue tirade amoureuse, vertigineuse, que l’auteur a d’abord portée lui-même sur scène dans le cadre du festival où on lui avait demandé de faire une lecture. « Quarante minutes de texte appris par cœur, en criant, sur une plage en Normandie, avec les lumières du port du Havre en toile de fond. C’était magique. »
Depuis, le texte n’a cessé d’évoluer. Après une version épurée présentée l’an dernier dans le cadre du Rainbow Day & Night — une initiative de La Magnanerie destinée à faire rayonner les écritures plurielles — il connaît aujourd’hui une nouvelle incarnation. Grâce au soutien du Bivouac des comités de lecture à la Chartreuse, le texte est désormais porté sur scène – le 19 et 22 juillet en parallèle des représentations au Train Bleu – par Jules Turlet, chansigneur, qui en propose une traduction en LSF chansignée. « Le chansigne, c’est une forme à la frontière entre la langue des signes et la danse. C’est particulièrement beau pour une déclaration d’amour. Et très cohérent avec cette écriture charnelle. » Sur scène, Nicolas Barry s’efface. « Je dis le texte, mais c’est Jules qui le joue. »
Demain, d’autres rituels
En attendant de finaliser son triptyque avec Have I ever told you how I feel about Rocks Falling, le deuxième volet — qui raconte la résurrection d’une personne suicidée grâce à l’amitié et à un rituel chorégraphique — Nicolas Barry s’attèle aussi à finir son premier roman, Pauvres Fleurs.
Cet été, en fin d’après-midi, c’est à l’ombre des platanes, protection naturelle contre la chaleur avignonnaise, qu’il jouera à ciel ouvert. « J’aurais aimé, confie-t-il, pouvoir présenter ce monologue au coucher du soleil, et ainsi voir apparaître progressivement l’image de la plage en toile de fond. Le créneau était pris. Cela m’oblige à m’adapter, me réinventer et à trouver d’autres moyens d’apporter de la poésie au-delà des mots. C’est vivant et passionnant ! »
La Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui de Nicolas Barry
Théâtre du Train Bleu – Festival Off Avignon
du 6 au 24 juillet – les jours pairs
à 18h15
Durée 45 min
Mise en scène et interprétation – Nicolas Barry
La Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui de Nicolas Barry – version chansignée
La Chartreuse – CNES – Villeneuve-les-Avignon dans la cadre de Déranger l’écriture #1
les 19 et 22 juillet 2025
à 10h
Texte Lauréat du Bivouac des comités de lecture 2024 ;
Traduction – Jules Turlet, assisté de Sylvie Ghailly et Victoria Patricot
Interprétation – Jules Turlet et Nicolas Barry