Nicolas Barry © Guillaume Beleveze
Nicolas Barry © Guillaume Beleveze

Nicolas Barry : l’amour, le corps et les mots

Découvert aux Subs en 2022 avec Grand Crié, une pièce chorégraphique sur le cri dans toutes ses formes l’auteur et chorégraphe lillois investit cet été le jardin de l'ancien Carmel à Avignon pour y présenter La Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui. Une plongée poétique sur la carte de Tendre. Rencontre.

À quelques pas de Bastille, à la terrasse d’un café ombragé, Nicolas Barry s’installe. Sous la lumière crue de ce début d’été, son regard bleu lagon pétille, le geste est vif. Il y a chez lui quelque chose de l’enfant joueur : une gourmandise intacte pour les histoires, les idées, les corps en mouvement. « Jai toujours été curieux de ce que le plateau pouvait inventer », confie-t-il.

“Je ne voulais pas faire d’anglais renforcé”

La vocation théâtrale de Nicolas Barry tient au hasard. « Je ne m’étais pas inscrit en anglais renforcé avant les vacances d’été. En rentrant, il ne restait que loption théâtre. C’était la seule quon pouvait prendre sans laccord du conseil de classe. Jai coché la case sans réfléchir. » Le hasard devient vite passion.

Pas de danse  de Nicolas Barry © Nicolas Barry
Pas de danse de Nicolas Barry © Nicolas Barry

Au lycée, il croise la route d’un professeur de lettres flamboyant qui devient une figure marquante. « C’était un homme impressionnant, hyper passionnant, qui est devenu assez rapidement une forme de modèle. » Sous sa houlette, il découvre les Pièces de guerre d’Edward Bond et son célèbre “monstre”. « Jai eu une passion pour Bond, pour mon prof et pour le groupe damis que formait loption. C’était mon refuge, là où je me sentais à ma place. »

Le bac en poche, il tente un temps le droit, jusqu’à cet examen de droit matrimonial qui provoque la rupture. « Le droit du mariage… non, vraiment, ce nest pas pour moi. » Direction Paris, où il s’inscrit à l’école Claude Mathieu, avant d’intégrer en 2015 l’ENSATT à Lyon. Rapidement, le désir de jouer cède la place à celui d’écrire et de mettre en scène. « Mes rêves dacteur ont laissé place à dautres désirs. »

« L’écriture, c’est devenu constant »

L’ENSATT est aussi le lieu de rencontres fondatrices. « Mathilde Soulheban, camarade de promotion, a bouleversé mon rapport à l’écriture. Son intensité littéraire ma marqué durablement. » Autre choc pour l’artiste en devenir, la découverte au Théâtre du Châtelet à Paris d’Einstein on the Beach de Bob Wilson et Philip Glass. « Voir coexister tous ces modes d’écriture simultanément ma ouvert un champ de possibles. »

Désormais, plus une journée ne passe sans qu’il couche des notes, des mots sur le papier. « Il n’y a plus de moment où je n’écris pas. » Scène, danse, film, roman… Les supports varient, mais les obsessions demeurent. « Les questions politiques nourrissent souvent la forme. Comment un sujet invente-t-il sa forme scénique ou littéraire ? Cest le point de départ. » Ses premières pièces interrogent la société de surveillance (Pas de Danse), le cri sous toutes ses formes (Grand Crié) ou la demande d’asile. Mais un thème revient toujours : l’amour. « La question de lamour revient sans quon lui demande. »

« Le corps a décoincé mon écriture »

C’est en travaillant avec des danseuses et des danseurs sur Pas de danse que son écriture trouve sa pleine mesure. « Mes textes manquaient de corps. La danse les a incarnés. » Dorénavant, il revendique une écriture charnelle, physique. « Je suis proche du clown, dune présence organique plus que virtuose. »

Grand crié de Nicolas Barry © Guillaume Belvèze
Grand crié de Nicolas Barry © Guillaume Belvèze

Et pourtant, même s’il revendique volontiers qu’il n’est « pas comédien », Nicolas Barry n’hésite pas à porter lui-même ses textes sur scène lorsque les circonstances l’y amènent. « Jai fait une école de théâtre pendant trois ans, donc jai des techniques, je sais porter la voix. Je dis que je ne suis pas comédien, mais jai joué dans plusieurs spectacles. Disons plutôt que je ne me sens pas comédiable par les autres. Même si cela arrive », sourit-il.

Avec La Déclaration damour de Louis Hee à John Ah-Oui, présenté cet été au jardin du Carmel à Avignon dans le cadre du Train Bleu, il pousse plus loin ses recherches. La pièce est le premier volet d’un triptyque intitulé La Paix dans le Monde, une exploration de dramaturgies sans conflit. « On sur-représente les dramaturgies de la guerre au théâtre. Peu de textes parlent de paix, de rapports apaisés. Je voulais explorer ce qu’une fiction sans opposition frontale pouvait produire. »

« Quarante minutes de texte appris par cœur »

Ce qui devait être un simple prologue devient une longue tirade amoureuse, vertigineuse, que l’auteur a d’abord portée lui-même sur scène dans le cadre du festival où on lui avait demandé de faire une lecture. « Quarante minutes de texte appris par cœur, en criant, sur une plage en Normandie, avec les lumières du port du Havre en toile de fond. C’était magique. »

Depuis, le texte n’a cessé d’évoluer. Après une version épurée présentée l’an dernier dans le cadre du Rainbow Day & Night — une initiative de La Magnanerie destinée à faire rayonner les écritures plurielles — il connaît aujourd’hui une nouvelle incarnation. Grâce au soutien du Bivouac des comités de lecture à la Chartreuse, le texte est désormais porté sur scène – le 19 et 22 juillet en parallèle des représentations au Train Bleu – par Jules Turlet, chansigneur, qui en propose une traduction en LSF chansignée. « Le chansigne, cest une forme à la frontière entre la langue des signes et la danse. Cest particulièrement beau pour une déclaration damour. Et très cohérent avec cette écriture charnelle. » Sur scène, Nicolas Barry s’efface. « Je dis le texte, mais cest Jules qui le joue. »

Demain, d’autres rituels
Pas de danse © Fanny Vandecandelaere
Pas de danse © Fanny Vandecandelaere

En attendant de finaliser son triptyque avec Have I ever told you how I feel about Rocks Falling, le deuxième volet — qui raconte la résurrection d’une personne suicidée grâce à l’amitié et à un rituel chorégraphique — Nicolas Barry s’attèle aussi à finir son premier roman, Pauvres Fleurs.

Cet été, en fin d’après-midi, c’est à l’ombre des platanes, protection naturelle contre la chaleur avignonnaise, qu’il jouera à ciel ouvert. « Jaurais aimé, confie-t-il, pouvoir présenter ce monologue au coucher du soleil, et ainsi voir apparaître progressivement limage de la plage en toile de fond. Le créneau était pris. Cela moblige à m’adapter, me réinventer et à trouver dautres moyens dapporter de la poésie au-delà des mots. Cest vivant et passionnant ! »


La Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui de Nicolas Barry
Théâtre du Train Bleu Festival Off Avignon
du 6 au 24 juillet – les jours pairs
à 18h15
Durée 45 min

Mise en scène et interprétation – Nicolas Barry


La Déclaration d’amour de Louis Hee à John Ah-Oui de Nicolas Barry – version chansignée
La Chartreuse – CNES – Villeneuve-les-Avignon dans la cadre de Déranger l’écriture #1
les 19 et 22 juillet 2025
à 10h

Texte Lauréat du Bivouac des comités de lecture 2024 ;
Traduction – Jules Turlet, assisté de Sylvie Ghailly et Victoria Patricot
Interprétation – Jules Turlet et Nicolas Barry

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