Après le podcast, vous avez choisi de porter cette histoire sur scène. Pourquoi le théâtre ?
Caroline Gillet : Pour plusieurs raisons. D’abord, je voulais prolonger l’expérience des auditeurs et leur donner à voir cette tragédie que vivent les Afghanes. Assister à un spectacle, c’est partager un espace, vivre une expérience collective. À l’inverse, la radio s’écoute souvent en solitaire. Avec Kubra (Khademi), nous avons voulu créer une immersion, faire ressentir de l’intérieur ce que vivent ces femmes.

Cela passe par des déplacements dans l’espace, des fenêtres ouvertes sur l’extérieur, des sons captés en Afghanistan, de véritables notes vocales envoyées par celles qui y vivent encore. L’objectif n’est évidemment pas de prétendre faire vivre au public la réalité afghane, ce serait indécent. Mais cela permet d’en saisir des fragments, des résonances, et d’approcher autrement ces trajectoires, comme celle de Raha, que l’on suivait déjà dans le podcast.
Votre dispositif reste centré sur l’espace domestique. Pourquoi ce choix de rester exclusivement à l’intérieur ?
Kubra Khademi : Parce que c’est là que tout se joue. En Afghanistan, les femmes sont contraintes de rester chez elles. Le foyer devient à la fois une prison et un espace de résistance. Je suis moi-même afghane, je suis toujours en contact avec des femmes qui vivent là-bas. Partout, dans presque chaque rue, il existe des écoles clandestines où de petites filles poursuivent leur scolarité en secret.
Les enseignants, souvent privés de travail officiel, continuent malgré tout de transmettre. Le besoin d’éducation est immense. Montrer ces intérieurs, c’est donner à voir cette réalité, particulièrement celle des femmes et des enfants.
Comment représente-t-on un intérieur où, a priori, il ne se passe rien ?
Kubra Khademi : C’est justement et paradoxalement toute la force de ces lieux. Ils sont à la fois oppressants et chaleureux. Pour traduire cette ambivalence, j’ai fabriqué de nombreuses assiettes en céramique qui ornent le décor, en référence à notre culture de l’hospitalité. Malgré la violence extérieure, il y a une vraie beauté dans ces foyers.
Comment raconter une histoire quand le quotidien semble figé ?

Caroline Gillet : C’est un son qui a été le point de départ du projet. En novembre 2022, les talibans avaient déjà repris le pouvoir depuis plus d’un an. Peu à peu, tous les lieux publics fermaient, que ce soiet les bains, les parcs, les lieux de travail pour les femmes… Raha, mon interlocutrice dans le podcast, avait de moins en moins de choses à raconter parce que sa vie se réduisait. Je lui ai demandé de me décrire une journée type.
Elle m’a alors parlé de ses tâches ménagères : laver le miroir, dépoussiérer la lampe, astiquer la table de nuit… C’était une manière de reprendre possession du temps et de l’espace. Ces gestes simples, apparemment anodins, disent pourtant beaucoup de ce que vivent les femmes là-bas. Et c’est justement ce quotidien, difficile à imaginer depuis la France, que nous avons voulu restituer.
Le spectacle s’appuie aussi sur des sons et des images captées en Afghanistan…
Caroline Gillet : Oui, l’idée est de faire voir, depuis l’intérieur, ce qui se passe dehors, à travers les fenêtres. C’est aussi une façon de donner la parole à celles et ceux qui sont encore sur place, et de ne pas parler à leur place. Quand c’est possible, il est essentiel d’entendre directement celles et ceux qui, là-bas, continuent de filmer, d’enregistrer, de témoigner.
Kubra Khademi : Les vidéastes qui ont capté ces images ont pris de grands risques. Tout a été filmé en caméra cachée. Pour les protéger, leurs noms n’apparaissent pas dans les crédits. S’ils étaient identifiés, ils pourraient être arrêtés, torturés. Malgré cela, ils ont choisi de participer au projet. Nous ne les oublions pas.
Vous faites aussi référence à la célèbre Chambre à soi de Virginia Woolf. Pourquoi ce clin d’œil ?
Kubra Khademi : Parce que c’est un livre extrêmement lu en Afghanistan. C’était important de rendre hommage à ce que ces femmes lisent et aiment. Ce symbole est fort : il montre que, même lorsque la chambre devient prison, le foyer peut malgré tout rester un espace de création et d’expression.
One’s own room Inside Kaboul, de Caroline Gillet, Kubra Khademi et Samaia Sediqi
Salle des Colloques au Cloître Saint-Louis – Festival d’Avignon
Du 16 au 24 juillet 2025
durée 1h
Texte et son de Sumaia Sediqi (Raha)
Mise en scène de Caroline Gillet et Kubra Khademi
Récit sonore de Caroline Gillet accompagnée de Anna Buy
Voix off en français – Sofia Lesaffre
Scénographie de Kubra Khademi
Vidéo artiste et techniciens – anonymes à Kaboul
Lumière de Juliette Delfosse
Mixage de Frédéric Changenet – Radio France et sons additionnels depuis Kaboul Benazer
Régie générale de François Lewyllie