© Serge Gutwirth

Baptiste Zsilina : « Chaque spectacle est peut-être le premier de tout le monde »

Membre cofondateur de la compagnie DERAÏDENZ à Avignon, le metteur en scène et compositeur est à l’origine du spectacle Le Dernier jour de Pierre, à voir au Train Bleu durant le Festival OFF Avignon.
28 juin 2025
Quelle est l’histoire de la compagnie DERAÏDENZ ?

Baptiste Zsilina : Léa Guillec, Sarah Rieu, Coline Agard et moi nous sommes rencontrés au Conservatoire de théâtre d’Avignon, vers 2015. C’est là que commence l’histoire de la compagnie, avec pour premier chapitre Les Souffrances de Job de Hanokh Levin. Ce projet fondateur contient déjà tous les ingrédients que l’on retrouvera par la suite. C’est-à-dire une dimension à la fois poétique, sombre, caustique, et une réflexion profonde sur les grandes questions de l’existence. Nos débuts étaient étroitement liés au fonctionnement associatif et à l’expérience collective, une dynamique qui perdure encore aujourd’hui. Nous avons pleinement embrassé cet esprit de groupe, en organisant de belles parades dans la rue pendant le festival, et en présentant le spectacle à des publics très variés.

Le deuxième chapitre s’est ouvert avec notre local de compagnie, boulevard Saint-Lazare, juste à côté des remparts. C’est là qu’a eu lieu notre premier atelier. Nous y avons développé d’autres projets de spectacles, comme Nyctalopes, autour du thème du cauchemar. Nous y avons aussi vécu le début de la crise du Covid, période durant laquelle nous avons réalisé de nombreux courts-métrages d’animation.

Aujourd’hui, nous en sommes au troisième chapitre, avec le Pôle théâtre et marionnettes installé sur l’île de la Barthelasse. Nous avons monté une SCI avec les membres fondateurs pour acheter ce lieu, affirmer notre ancrage territorial et porter haut notre volonté de construire quelque chose de durable. Dès le départ, nous avions en tête cette idée d’ouverture au public : faire de ce lieu un espace idéal de partage et de mutualisation.

De fait, le festival fait partie de votre histoire. Vous y jouerez cet été avec Le Dernier jour de Pierre. Que pouvez-vous en dire ?
© Serge Gutwirth

Baptiste Zsilina : L’envie a été de proposer un spectacle d’une grande expérience visuelle, esthétique et complète. Comme les autres spectacles de la compagnie, mais uniquement avec de la marionnette. Une aventure comme une plongée dans un film d’animation, mais sur scène. Ça, c’est du point de vue formel, dans une recherche d’une beauté visuelle et d’un charme. Il y avait d’emblée l’envie d’une création contemporaine, mais avec une approche qui ne se résout pas à des impératifs esthétiques modernes. Ce qui plaît à nous comme aux gens. Ça veut dire que le spectacle emploie volontairement une esthétique qui pourrait paraître datée. L’envie formelle, c’est de donner un spectacle de marionnettes avec de la magie, de la machinerie, du décor. L’amour de l’art plastique sur scène est pour moi fondamental dans la marionnette.


C’est une envie joyeuse, mais fortement teintée de questionnements et de doutes sur l’espoir. L’envie d’aller gratter à un endroit qui nous touche intimement, et collectivement. La plupart de nos spectacles sont traversés par une forme d’amertume, mais aussi par des éclaircies possibles. Avec Pierre, c’est comme un cauchemar tellement atroce qu’il nous réveille. Le goût qui reste en bouche à la fin du spectacle est profondément doux-amer. On pourrait parler de mélancolie, parce qu’elle contient déjà toutes ces notions d’opacité, d’ambivalence. Mais en tout cas, on reste sur une note triste et charmante, qui ne cherche évidemment pas à plomber le moral des gens. C’est un voyage en eaux troubles. Une prise de risque — comme l’est toute tragédie.

Comment défendez-vous un pari aussi risqué, notamment auprès des professionnels qui peuvent se montrer frileux au vu du contexte ?

Baptiste Zsilina : Il y a le fait qu’il y a un public pour ça, c’est réel. Ce n’est pas nous qui nous inventons un attrait, des niches ou quoi que ce soit. C’est pour ça qu’on explore la rue aussi, et que l’esthétique qui traverse nos différents spectacles est présente partout. Il faut donner aux gens la possibilité de découvrir et d’apprécier. On a bientôt dix ans de compagnie et avec les années, on a de l’assurance. On a joué le spectacle assez de fois, devant des publics très variés, dont des scolaires, pour valider et être rassurés sur le fait que tout le monde est capable d’apprécier, indépendamment d’une habitude théâtrale ou de prérequis. Ce n’est absolument pas une proposition élitiste.

Chaque spectacle est peut-être le premier de tout le monde. La marionnette, dans son potentiel d’émerveillement, qu’il soit sombre ou heureux, est une entrée très joyeuse et excitante. Quelle que soit l’esthétique, si tant est qu’il y a une proposition un peu dense, c’est toujours une invitation souhaitable au public.

Votre pièce présente une autre difficulté de taille dans le cadre du Off d’Avignon : le temps de montage et de démontage. Mais vous avez trouvé une solution avec le Théâtre du Train Bleu, comment ça s’est passé ?
© Serge Gutwirth

Baptiste Zsilina : On savait dès le départ qu’on ne pourrait pas monter dans les conditions du festival, ce qu’on a fait avec tous les autres spectacles jusqu’à présent. Mais celui-ci, c’était impossible. Donc, il y a eu une attention supplémentaire de la part du Train Bleu. Notre partenariat est premièrement sur la programmation au festival, et deuxièmement parce qu’on fait partie des trois compagnies du territoire accompagnées par l’association du théâtre. On a ainsi pu, ensemble, trouver les bonnes conditions pour le festival.

La troisième chose très importante, c’est que nous jouerons au pôle culturel de Sauveterre. On a déjà tissé des relations partenariales avec ce théâtre. C’est une salle très bien équipée qui correspond au spectacle. Il y avait cette possibilité-là, avec le principe de la navette qui est déjà connu, de pouvoir se mettre hors-les-murs et donc de faire cette collaboration. Nous serons la seule compagnie à jouer dans cette salle, avec une installation optimale pour une version qui ne sera pas amoindrie, ce qui se fait souvent pour le festival du fait des contraintes techniques.

Malgré cela, le festival reste un gros engagement financier pour la compagnie ?

Baptiste Zsilina : Chaque aventure de festival est très coûteuse, particulièrement avec des équipes qui défendent plusieurs personnes au plateau. En l’occurrence, on est huit. Il faut ça pour actionner un spectacle pareil. C’est un besoin et une envie artistiques. C’est aussi un engagement culturel pour défendre l’existence de la compagnie au sens de l’expérience collective. La location reste extrêmement onéreuse dans quasiment toutes les salles. On est très satisfait du partenariat avec le Train Bleu, mais il ne s’agit pas de co-réalisation. Ça reste un échange aux risques et périls des compagnies. On en a conscience chaque année.

En même temps, on ne va pas bouder le festival dans la ville dans laquelle on est implanté. On s’y investit grandement, dans le sens où on crée aussi des parades, qui sont elles-mêmes des formes artistiques propres, pour pouvoir communiquer sur le spectacle. C’est aussi complètement aux frais de la compagnie. Ce sont des budgets énormes. On a une cagnotte pour nous soutenir, parce qu’il n’y a quasiment aucune aide au sein de la région PACA. Les collectivités considèrent que le festival est une démarche commerciale de la part des compagnies. Ce qui est en partie vrai, mais c’est aussi une opportunité de jouer tout court, tandis que les dates se vendent souvent à l’unité par-ci par-là.


Le Dernier jour de Pierre de Baptiste Zsilina – Compagnie DERAÏDENZ
Création 2024

Tournée
Du 5 au 19 juillet 2025 à 10h20 au Pôle culture Jean Ferrat à Sauveterre (30), avec la programmation du Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival Off Avignon
(relâche le dimanche)

Dramaturgie, conception et mise en scène – Baptiste Zsilina
En collaboration avec Léa Guillec
Marionnettistes – Coline Agard, Léa Guillec, Hanna Malhas et Marion Piro
Régie plateau et manipulations – Églantine Remblier et Luce Causin
Régie Générale et création lumière – Loris Lallouette
Castelet et machineries – Nicolas Pautrat, Thierry Hett et Coline Agard
Construction Marionnettes et décors – Baptiste Zsilina, Eglantine Remblier, Marion Piro avec l’aide de Sarah Rieu et Nora Laamari
Composition musicale – Baptiste Zsilina
Mixage et création sonore – Arthur Bohl

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