Comment définiriez-vous aujourd’hui le projet du Train Bleu ?
Aurélien Rondeau : Le Train Bleu, ce n’est pas qu’un théâtre de festival. C’est une structure permanente. Un lieu ouvert onze mois sur douze, où l’on accompagne, où l’on accueille et où on fabrique du lien. On pourrait croire qu’on hiberne entre deux éditions de juillet, mais en réalité, on travaille dix mois pour un mois de visibilité. Le reste, c’est de l’ombre, de l’écoute, de l’attention.

Charles Petit : L’ombre, mais pas l’oubli. On commence à être identifiés à force de résister. Résister au modèle dominant, à la simple logique locative. Ici, on n’ouvre pas une salle de plus, on propose un récit. Une ligne. Une charte graphique, une parole, un regard. Et puis on prend soin des artistes. On accompagne certains d’entre eux sur trois ans, dans leur structuration, leur production, leur communication, leurs résidences. Ça ne se voit pas, mais c’est là, partout.
Vous parlez beaucoup d’accompagnement. Comment cela s’incarne-t-il concrètement ?
Aurélien Rondeau : Ce qui nous intéresse, ce sont les trajectoires. On a toujours refusé d’être dans une programmation figée ou dans l’appel à candidatures. Il n’y a pas de formulaire à remplir pour jouer chez nous. Il y a des rencontres. Des discussions qui durent parfois trois mois, parfois dix-huit. Ce sont des artistes qu’on croise, qu’on suit, qu’on accompagne parce qu’ils déplacent quelque chose, que ce soit une forme, une pensée ou un rapport au public.
Charles Petit : Et il y a ce que tu appelles souvent le double mouvement. D’un côté, le travail en profondeur avec les structures sociales du territoire, comme les centres sociaux de Saint-Chamand, de La Barbière, la mission locale, les lycées. De l’autre, un rayonnement inter-régional et international. Nous nous déplaçons beaucoup en Suisse, en Belgique, au Québec. Nous faisons une veille permanente de la création contemporaine et émergente. On repère, parfois, on coproduit. Ce va-et-vient permanent, ce lien avec les artistes, ce goût de la découverte, cette curiosité, c’est notre force.
Vous êtes une structure privée, mais très investie dans des missions de service public. C’est un paradoxe ?

Aurélien Rondeau : C’est notre singularité. On est les seuls privés dans certains dispositifs comme La Croisée. Et pourtant, on fonctionne exactement comme une scène conventionnée. On est en lien avec les réseaux, on parle le même langage que les CDN. On accompagne, on coproduit, on diffuse, mais nous ne disposons pas des mêmes moyens.
Charles Petit : La grande différence, c’est que l’association qui gère le Train Bleu est en permanence dans une grande précarité financière. Le festival est déficitaire, les résidences ne rapportent rien, bien au contraire. Alors, on a inventé OnTrack, notre pôle de diffusion. On coproduit. On suit des projets dans le temps. Léo Cohen-Paperman, par exemple, on l’accompagne depuis son spectacle sur Chirac. Cet été, il joue Mitterrand et VGE, et l’an prochain Sarkozy-Hollande. On ne fabrique pas un catalogue, on suit des écritures.
En sept ans, comment avez-vous vu évoluer votre manière de programmer ?
Aurélien Rondeau : Ce qui a le plus évolué, je crois, c’est notre regard. On voit deux cents spectacles par an. Cela forge un goût, une exigence, une manière de lire les projets. Aujourd’hui, on sait ce qu’on cherche. Pas forcément quelque chose de parfait, mais plutôt des objets singuliers. Du trouble. De la pensée. Une forme en mouvement. On programme peu, mais on programme juste – enfin, on essaie.
Charles Petit : On essaie surtout de ne pas faire de crash. Avignon, c’est un accélérateur, mais ça peut aussi fracasser. On met en place des parachutes, comme des aides, des mises en lien, de l’accompagnement en communication, des résidences. On joue les courtiers, parfois. On oriente les compagnies pour les aider à faire le choix en fonction des projets. Tous n’ont pas vocation à venir à Avignon. Il faut que cela ait du sens pour le Festival. Venez, on vous suit. Mais à la fin, c’est l’artiste qui décide.
Revenons au tout début. Quelle a été la Genèse du Train Bleu ?

Aurélien Rondeau : On est arrivés sans y être préparés. Je n’avais jamais dirigé de lieu. Ce n’était pas un rêve de gosse. Mais très vite, on a été pris par la main par des gens formidables – La Magnanerie, la Manekine, Lucas Bonnifait. Ils ont compris notre projet, ils nous ont aidés à l’affiner, à le formuler.
Charles Petit : Aujourd’hui, on sait où on va. On sait avec qui on travaille, et pourquoi. On s’est affranchis des modèles. On a notre méthodologie, notre langage. Et surtout, on a trouvé notre place. Pas centrale, mais utile. On ne veut pas grossir pour grossir. Ce qu’on cherche, c’est de rester mobiles, disponibles, précis.
Quelle est la suite pour le Train Bleu ? Quelle ambition à long terme ?
Aurélien Rondeau : Continuer à tisser, à accompagner et faire circuler les œuvres, les paroles, les artistes. Travailler finement à l’échelle du Vaucluse, tout en restant ouverts à l’hémisphère francophone. C’est notre manière de penser l’échelle, de jouer sur les amplitudes.
Charles Petit : Et surtout, rester fidèle à ce qui nous anime. C’est-à-dire être un lieu d’accueil, de confiance, de frottement des formes. Ce qu’on fabrique ici, ce n’est pas seulement du théâtre. C’est du lien. Et ça, on veut continuer à le défendre.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Théâtre du Train Bleu
40 rue Paul Saïn
84000 Avignon