Vos débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
Quand j’étais petite, mes parents venaient tout juste d’acheter une télé. J’adorais regarder les humoristes : Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Fernand Raynaud, Thierry Le Luron, et surtout Raymond Devos. Un jour, j’avais environ sept ans, ma mère m’a emmenée au Théâtre des Célestins – nous vivions alors à Lyon – pour voir son spectacle. Je me souviens de mes efforts pour tout comprendre, et de l’impression que me faisait ce public qui riait aux éclats dans cette salle magnifique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
Je me souviens très précisément de notre sortie du théâtre. J’ai dit à ma mère : « Je veux faire comme lui !«
Pourquoi ce métier ?
J’ai souvent utilisé l’humour pour me faire des amis. J’étais fille unique, plutôt solitaire et introvertie, je me construisais un monde imaginaire très dense. Très tôt, j’ai commencé à écrire des nouvelles, des saynètes que je jouais seule dans ma chambre, ou que je faisais jouer par mes copains. Ça les amusait beaucoup. Mes élucubrations me sauvaient de la solitude. J’ai donc su très vite que je voulais écrire… et faire rire !
Racontez-nous le tout premier spectacle auquel vous avez participé…
Ma première scène, c’était avec l’atelier théâtre de mon école. Ma maîtresse m’avait félicitée après un rôle dans La partie de cartes de Pagnol. Elle trouvait que j’étais très à l’aise, vraiment naturelle. Et c’est vrai que je me sentais galvanisée sur scène ! J’ai continué jusqu’au bac, mais je n’ai pas osé tout de suite me lancer. J’ai d’abord fait une école d’architecture d’intérieur pendant quatre ans. Mais la scène me manquait trop.
À 23 ans, j’ai filé à Paris pour m’inscrire au cours René Simon. Ma toute première scène professionnelle : Le Satyre de la Villette de René de Obaldia. Je jouais une gamine insupportable face à un comédien de deux mètres dix. Je mesure un mètre cinquante ! Quand on a présenté notre scène en audition publique, les gens riaient déjà rien qu’en nous voyant entrer sur scène…
Je suis sortie du Cours Simon trois ans plus tard avec le Prix Marcel Achard. J’ai ensuite commencé à chanter dans les cabarets, avec un pianiste, des chansons de Boris Vian, Gainsbourg, Bobby Lapointe… et de plus en plus de créations personnelles. Mais toujours avec cette envie farouche de faire rire le public.
Passions et inspirations

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’ai vu tant de spectacles ! Surtout au Festival d’Avignon, où je vais presque chaque année depuis plus de trente ans. Mais si je dois citer un spectacle vraiment spectaculaire : The Snowshow, du clown russe Slava Polunin. Un chef-d’œuvre sans parole, époustouflant de poésie et d’humour, plein de trouvailles géniales et d’interactions avec le public. Féerique, tout simplement.
Quelles belles rencontres ont marqué votre parcours ?
J’ai eu la chance de travailler avec des personnes formidables ! D’abord Laurent Ruquier, avec qui j’ai partagé l’émission Rien à cirer sur France Inter pendant des années. Son esprit vif, sa soif d’infos, sa capacité de travail et son humour ravageur me subjuguaient.
J’ai aussi joué avec Robert Hirsch au Théâtre du Palais-Royal, dans une pièce de Guitry : une expérience inoubliable.
J’ai adoré travailler avec des metteurs en scène comme Virginie Lemoine, Anne Bourgeois ou Éric Bu. Ce dernier m’a offert un de mes plus beaux rôles : celui de Françoise Dolto, dans une pièce que nous avons jouée pendant cinq ans.
Dans le domaine de la chanson, ma rencontre avec le compositeur Antoine Sahler a été déterminante. Ensemble, nous avons fait sept albums et autant de spectacles. J’ai aussi adoré chanter avec le merveilleux Thibaud Defever. Tous deux sont restés des amis très proches.
Où puisez-vous votre énergie créative ?
Comme beaucoup d’artistes, je la puise dans la vie, dans l’observation, dans les voyages. Mes trois livres racontent des histoires vécues. Mes pièces partent souvent d’une anecdote, d’une situation que je connais. Mes chansons pour enfants étaient inspirées des questions de mes propres enfants… Je crée à partir de mes émotions, de mes rencontres, de mon ressenti.
En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Mon métier a été fondamental pour mon épanouissement. J’ai appris à mieux me connaître en affrontant le public, en écrivant. Je m’éclate à faire rire. J’aime chaque nouveau défi. J’ai fait des choix, souvent guidés par les rencontres, le hasard, des fenêtres qui s’ouvraient là où je ne les attendais pas. Je me laisse porter par l’instinct.
Je n’ai jamais eu de plan de carrière, ni même de plan de vie. Quand je sentais que c’était le bon moment, le bon endroit, j’y allais ! Quitte à me planter. Je ne veux pas avoir de regrets. J’ai fait plein de choses différentes, oui, mais toujours avec passion. Et parfois, je me lassais…
Je sais bien qu’il faut généralement enfoncer le clou au même endroit pour réussir. Moi, j’ai enfoncé plein de petits clous. Ce qui me guide avant tout, c’est la curiosité, la soif d’aventure, l’envie d’apprendre.
L’art et le corps

Que représente la scène pour vous ?
Quand je suis sur scène, plus rien ne compte à part l’instant présent.
Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Je suis dans une bulle, je vis intensément chaque seconde. Je n’ai plus d’âge, plus de douleur, plus de problèmes. Tout me paraît limpide. C’est un espace où je me recentre, un peu comme une méditation, mais tournée vers le partage.
Rêves et projets
Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Le cinéma, c’est ce qui m’a le plus manqué. Je n’ai sans doute pas fait tout ce qu’il fallait pour continuer à tourner, j’étais trop occupée ailleurs. Alors mon rêve, ce serait de recommencer. Par exemple, tourner avec Patrice Leconte, que j’admire.
Je continuerai aussi la scène et la mise en scène. On m’a confié plusieurs projets cette année, et j’ai adoré ça. J’espère que ça durera, tant que j’aurai de l’énergie ! Trente-six ans de carrière, déjà…
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Dans mes rêves les plus fous, j’écrirais des films, je jouerais dedans… et je choisirais mes réalisateurs !
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Un tableau de Monet. L’impressionnisme. Plein de petites touches, qui finissent par former un paysage. Comme mon travail : très diversifié, mais qui forme au final une image cohérente de ma carrière.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
La Valise de Sophie Forte
Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au lard
75004 Paris.
Du 2 mai au 14 juin 2025
durée 1h15.