Le silence, des cintres emplis de rouleaux de tissus aux mille couleurs prêts à être déroulés, la première image attise la curiosité. Puis deux danseurs aux mains de porcelaine, blanches, pures, s’acroupissent au-devant de la scène. Ils se défient dans un jeu enfantin. Leurs doigts s’effleurent, s’évitent, se frôlent avant de se heurter. Le premier choc est déjà là. C’est la fin de l’innocence, les prémices d’un monde qui vacille, d’un univers qui se fissure sous le poids du tumulte qui se fait entendre au loin. Le geste est beau, ténu, presque suspendu. Il dit, en silence, la violence à venir.
Du bruit et de la couleur

Très vite, la scène se transforme en champs de bataille mentale. Dans un vacarme assourdissant, les tissus jaillissent, roulent, s’envolent, s’effondrent. Ils tombent des cintres, surgissent des blousons, s’étendent jusqu’aux gradins, avalent les corps qui s’y fondent. On pense aux bombes, aux cendres, aux feux d’artifice. Chaque geste devient percussion. Le bruit court, les images s’entrechoquent. Les pensées, chez Miet Warlop, sont matières mouvantes, grondantes, indomptables, déconcertantes.
Et pourtant… à mesure que les tissus s’empilent, s’enroulent, le souffle s’émousse. À force d’explorer toutes les variations possibles sur le même motif – tirer, lancer, replier, engloutir – la création semble tourner en boucle. Le geste, bien que plastiquement maîtrisé, finit par se diluer. On cherche la faille, l’émotion, le vertige. Mais le récit s’étire. Le temps, parfois, paraît bien long. L’ivresse des premières images cède peu à peu à une sorte de torpeur.
Un geste beau, mais un peu vain

Après son très puissant One song, Miet Warlop évoque dans Inhale Delirium Exhale, ce moment où « tout se bouscule dans un crâne ». Elle le montre avec force, sans doute, mais au risque d’épuiser elle-même son propre chaos. La boucle devient rituelle, puis répétition. La beauté indéniable de certaines scènes – un corps qui s’évanouit dans le tissu, une marée de soie ondulant comme une vague – ne suffit plus à maintenir la tension.
On admire, mais on décroche. On se laisse happer, puis on résiste. Le délire, lentement, devient mécanique. Comme si, à trop vouloir saisir l’insaisissable, le spectacle finissait par se perdre dans ses propres volutes.
Reste le geste. Audacieux, généreux, souvent sublime. Mais qui, malgré la somptuosité des visions qu’il déploie, reste un peu vain !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bruxelles
Inhale Delirium Exhale de Miet Warlop
Création
Kunstenfestivalsdesarts
Les Halles de Schaerbeek
Rue Royale-Sainte-Marie 22a
1030 Schaerbeek, Belgique
du 18 au 21 mai 2025
durée 1H10 environ
Tournée
27 et 28 mai 2025 au Tandem – Scène Nationale, Hippodrome de Douai
Concept et mise en scène de Miet Warlop
Musique en collaboration avec DEEWEE
Avec Milan Schudel, Emiel Vandenberghe, Margarida Ramalhete, Lara Chedraoui, Mattis Clement, Elias Demuynck
Scénographie de Miet Warlop en collaboration avec Mattis Clement
Costumes de Miet Warlop en collaboration avec Elias Demuynck supervisé·es par Tom Van Der Borght
Création lumières d’Henri Emmanuel Doublier
Lumières de Pieter Kinoli | Son : Ditten Lerooij
Assistant mise en scène : Marius Lefevre