Sati Veyrunes © DR
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Sati Veyrunes, artiste hypnotique

Dans le cadre du Festival Everybody, qui se tient au Carreau du Temple du 9 au 13 février 2024, la danseuse et performeuse se livre corps et âme dans un solo, imaginé par Benjamin Kahn. 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Si je suis vraiment honnête, très jeune, petite enfant, je me rappelle voir mes parents sur scène et ne pas comprendre pourquoi, pendant la durée du spectacle, on ne pouvait pas se parler comme à la maison ! Ce quatrième mur, cette frontière, m’intriguait beaucoup. Ce monde construit m’intimidait. 

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le spectacle vivant ?
Je ne crois pas qu’il y ait eu un seul déclencheur. Il y a eu tellement d’étapes, de rencontres, de moments de doutes et de désirs, de concours de circonstances. C’est un long processus, très vivant, toujours en question. La danse contemporaine est très présente dans ma famille. Danser a d’abord été une manière d’être en communication avec elle. En voyant mes parents, Marieke De Koning et François Veyrunes, sur scène, très tôt, j’ai voulu danser à mon tour, d’abord à l’école du quartier, à Grenoble. Ce n’était peut-être pas encore un choix pleinement conscient. Puis il y a eu un moment de bascule. Je me souviens précisément de la sensation physique qu’a suscité en moi la pièce Do you Remember No I Don’t de Francois Verret. J’avais quatorze ans. Je me souviens précisément dans ce spectacle du cri de Dorothée Munyaneza. Son chant m’a hanté pendant des années ! Elle évoquait la relation à la mémoire, à l’oubli, à nos propres subjectivités. Son cri m’ouvrait soudainement au souvenir lointain d’un état du monde possible, au souvenir d’un état de présence souhaitable. Sans pouvoir le nommer, cette pièce me remémorait un état d’écoute. C’était déchirant. Quelque chose brûlait et se réunifiait à la fois en moi. Sa voix m’apparaissait comme une promesse. Elle me délivrait une sensation rare, une sensation intime de « possible », de « possibilité », celle déjà d’une prise de parole. J’ai continué à suivre le travail de François Verret. Nous nous sommes rencontrés trois ans plus tard pour un laboratoire de recherche, puis il m’a laissé ouverte la porte de son studio de répétition pour que je puisse venir les voir travailler, notamment avec Charline Grand. Nous avons échangé pendant plusieurs années sur le travail de mise en scène, sur l’état de présence au plateau. Il a ouvert ma compréhension de ce que peut être la danse, en m’encourageant à développer une pensée incluante, en me guidant dans ma découverte de la littérature, du cinéma, de la peinture, de la politique. Son engagement citoyen, notamment lors du siège de Sarajevo, son entièreté, son authenticité artistique m’inspire beaucoup. Il m’a initié à porter un regard curieux et exigeant sur le geste artistique, et m’a beaucoup soutenu dans mon choix de danser. 

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseuse ?
Il y a eu différentes étapes. Je cherchais les endroits de manifestations sensibles d’une épreuve du réel. Adolescente, je découvre le travail d’Angelica Liddell, les pièces pluridisciplinaires de Maguy Marin, Out of context– For Pina d’Alain Platel, La Maison des Cerfs de Jan Lauwers. J’entends différentes langues sur scène, des prises de parole joyeuses et transgressives, je découvre le plateau comme un endroit de vie, de joyeux bazar, où chaque élément — le son, le texte, le corps — font dramaturgie pour inventer une langue, et cela se vit au présent. D’autres travaux très différents me touchaient aussi beaucoup, comme celui de Nacera Belaza, qui me mettait face à autre chose, d’aussi intrigant : la pause, le silence, dans un rapport dilaté, et ouvert, au temps. Un sentiment de solitude et de communion à la fois. Vers quinze ans, je commençais à collecter dans un carnet toutes mes sensations. Et c’est avec le corps que j’ai choisi de continuer. Je cherchais la dépense physique, à sortir du mental. C’est la danse qui me permet de donner forme à l’intensité physique de ce que je ressens et de ce que je souhaite exprimer. Je suis partie de l’Album Cie, une compagnie d’adolescents, à Grenoble, où j’avais commencé la danse contemporaine, pour le conservatoire de Grenoble, puis de Lyon, avant de rentrer a SEAD (Salzburg Experimental Academy of Dance). C’est par la rencontre, et dans le travail, que le désir de danser se renouvelle toujours. 

Le premier spectacle auquel vous avez participé, et quel souvenir en retenez-vous ?
J’avais neuf ans, pour Entropie, chorégraphié par mon père. Je me souviens d’un espace où je pouvais respirer.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
C’est une question difficile car il y en a eu beaucoup, de très importantes, alors je vais choisir ! C’est justement la rencontre artistique, amicale, amoureuse, qui me met en mouvement et me déplace profondément. Les personnes que je vais citer sont artistiques et déterminantes dans la durée, où s’est joué un autre niveau de rencontre, très intime. Bien sûr, il y a eu François Verret, dont j’ai déjà parlé. Erna Ómarsdóttir, avec qui j’ai travaillé pour ma fin d’études, en 2019, et que je suis allée rencontrer en Islande, m’a fait comprendre que l’ensemble de mon corps, dont mon visage, et ma voix, font partie intégrante de ma danse. Elle a élargi ma compréhension de la danse, en m’apprenant à changer rapidement d’état physique tout en restant profondément en relation au vide, intérieur et extérieur. Tout en me faisant travailler l’impact, tout en travaillant une forme très contenue, elle me reliait à des espaces beaucoup plus vastes, celui du silence, et du cri. La rencontre avec Oona Doherty est elle aussi fondamentale. Nous nous sommes rencontrées en 2019, pour l’audition de la reprise de rôle de son solo Hope Hunt, et j’ai ressenti immédiatement un désir viscéral, la nécessité d’entrer sa langue chorégraphique. Elle m’ouvre une langue où les différentes présences qui me traversent peuvent co-exister, et je me sens exister dans ma multiplicité. Elle me transmet la danse comme une pratique concrète d’amour. Erna Ómarsdóttir et Oona Doherty m’ont amenée dans des endroits singuliers, à Belfast, en Islande, et m’ont permis de ressentir à quel point la création vient aussi d’un territoire dans toute sa dimension géologique, sociale, géographique, et politique. Avec elles, le cri répondait à un besoin d’articulation. Ces deux solos sont comme une tentative d’arriver à articuler quelque chose, jusqu’à ce que le cri sorte. Avec Benjamin Kahn, qui m’a écrit en 2023 le solo Bless the sound that saved a witch like me, j’explore une autre relation au cri. Nous avons créé la pièce à un moment de ma vie où c’était la seule façon de recollecter, de réunifier quelque chose en moi. Il m’apprend à entrer une figure, et à en sortir, continuellement, tout au long de la pièce. Ce solo est une traversée. Je continue avec lui à travailler la contradiction, une circulation continue entre l’intérieur et l’extérieur, une qualité de présence a la fois alerte et ouverte. Je pense à mes ami.es danseur.euses de SEAD avec qui nous avons beaucoup exploré, notamment collectivement, des formes performatives en espaces publics. Nous tissions par ailleurs des liens entre différentes scènes artistiques, c’était un moment d’une grande ouverture internationale. Je pense à Jakob Jautz, Camilo Mejia Cortés, Eftychia Stefanou, et Maté Asbót. De la même façon, en ce moment, a Marseille, c’est avec Nach et Flora Detraz que nous avons ces rencontres exploratoires, informelles et régulières dans l’espace public, qui sont sources d’inspiration pour nous trois. 

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Être à l’écoute de la vie qui surgit, quelle que soit la forme qu’elle prend. Nous sommes faits de chair et nos êtres contiennent des mémoires, il faut les aider à raconter. 

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
La scène est un espace très particulier. Cette question est intéressante parce qu’elle questionne qui ou quoi fait la scène. Est-ce un endroit préétabli, préexistant dans lequel l’artiste est invité, ou est-ce que c’est l’artiste qui peut faire de tout lieu une scène ? Je pense que la responsabilité de l’artiste est de donner vie à une relation entre un espace et des individus. Pour ça, l’artiste entre avec tout son être dans une expérience de vie partagée. 

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Dans le bassin. C’est la que je situe mon intuition, ma puissance et ma vulnérabilité. 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Certainement pas Gérard Depardieu !

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
S’ils sont fous, c’est que je n’y ai pas encore pensé. Mes rêves me le diront. 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Je serai une œuvre de la nature et du vivant, où cohabitent à la fois volcan, glacier, océan, le soleil et la lune, les animaux et le vent.


Bless the sound that saved a witch like me – cri(s)… de Benjamin Kahn 
Présenté le 10 juin 2023 au Festival d’Uzès
Reprise au Festival Everybody
Le Carreau du temple
2 Rue Perrée
75003 Paris
les 12 et 13 février 2024

Création, interprétation de Sati Veyrunes 
Création musicale de Lucia Ross
Création lumière de Nils Doucet 
Création costume de Carolin Herzberg
Assistant dramaturgie – Théo Aucremanne
Textes de Benjamin Kahn inspiré directement par Pier Paolo Pasolini, Death Grips, Derek Jarman, MAVI 

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