Bertrand Skol © Olivier Allard
© Olivier Allard

Bertrand Skol, un aquoiboniste engagé

À la Scène libre, le comédien, auréolé du Cyrano 2023 du Meilleur comédien dans un premier rôle, se glisse à merveille dans les mots de Jean-Benoît Patricot, écrits d’après une nouvelle fantastique d’Émile Zola. 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Il s’agissait de Fiasco en fleurs de Samuel Beckett, j’avais neuf ans, mon père photographe m’avait amené à la séance photo de plateau pendant les répétitions, j’étais fasciné par deux clowns blancs. J’ai compris ce jour-là que je voulais devenir comédien.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Je pense qu’il ne s’agit pas vraiment d’un évènement en particulier mais plutôt d’une succession de rencontres. Quand j’étais petit, mes grands-parents m’avaient amené voir L’Auberge du cheval blanc au théâtre Royal de Mons, ce fut une révélation, un coup de foudre pour le spectacle, les décors, les chanteurs-comédiens, la musique, tout me fascinait, je voulais les rejoindre. C’était comme rentrer dans un autre monde pour moi. Ensuite il y a eu Les Baladins du miroir, une troupe itinérante sous chapiteaux qui se produisait dans les cours de récréation des écoles de Wallonie, j’ai découvert Molière, Shakespeare, tous ces évènements, toutes ces rencontres on enrichit ma passion pour le jeu, les grands textes, les grands auteurs. Je m’imaginais vivre dans un décor fait de carton-pâte, il n’y avait rien de réel, de quotidien, avec le théâtre tout devenait possible, à portée de main, je jouais à imaginer. On ne grandit pas quand on devient comédien, il ne faut surtout pas grandir.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
J’ai presque envie de dire, que je n’ai pas vraiment choisi, mais plutôt assumé. Presque comme une différence que l’on accepte. Il n’y a rien de normal à vouloir être comédien, c’est presque un mode de vie, une attirance, parfois un conflit avec soi. On lutte contre la raison qui nous briserait en deux si elle avait le dernier mot. Je pense que dans ma vie de tous les jours et ce depuis mon enfance, l’art en général, la musique, le chant, la peinture et le théâtre par-dessus tout, m’ont permis de m’évader, de rentrer dans ce monde de l’imaginaire, ensuite on se rend compte aussi de ce que nous faisons et des conséquences que  tout cela peut avoir sur les spectateurs, on devient un vecteur d’émotions, de rejets, parfois de haine, ils rient, ils pleurent, nous nous exposons, avec nos histoires, ce que nous sommes capables de produire ou pas. Nous jouons avec notre état du moment pour servir un personnage, une situation, un texte. C’est fascinant et effrayant à la fois.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
La première fois où je suis monté sur la grande scène du théâtre de La Louvière, ma ville de naissance en Belgique. J’avais 14 ans, nous montions Le Malade imaginaire, je jouais une souris parmi les souris d’un intermède, le rêve d’Argan. Nous symbolisions les microbes qui venaient perturber l’hypocondriaque. C’était une époque merveilleuse, un énorme projet où tout un chacun s’investissait avec passion et envie, il y avait un véritable esprit de troupe, c’est dans cette période que j’ai rencontré mes amis, ma famille d’adoption, et quelques rides plus tard nous nous voyons encore très souvent. Des amis à vie…

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Des gros coups de cœur, j’en ai eu souvent. Je suis très sensible. Mais pour moi la réussite d’un spectacle est un ensemble, qui va du texte évidemment à l’interprétation, la scénographie. J’ai besoin d’images, de chocs visuels mais surtout et pour moi c’est l’essentiel : De l’émotion, j’aime l’impudeur, j’aime quand les comédiens ouvrent la brèche de l’émotion et que plus rien ne les retient. J’aime l’incarnation. Les émotions en demi-teinte ne me touchent pas. Il n’y a que la vérité qui compte, la sincérité.Sinon pour parler spectacles je citerais, Oublie-moi qui m’a totalement retourné émotionnellement, Le Tartuffe de Michel Fau, Bien au-dessus du silence de Violaine Arsac cet été à Avignon, Darius de Jean-Benoît Patricot.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Qu’est-ce qu’une belle rencontre ? je dirais probablement Claude Perron quand nous jouions Brûlez-là au théâtre du Rond-Point mais aussi Salomé Villiers, Jeannine Horion sans qui L’Aquoiboniste n’aurait pas vu le jour, Jean-Benoît Patricot avec qui j’ai pu avancer tant au niveau artistique qu’humain. Jérôme Paquatte et Amants à mi-temps. Et puis surtout l’amour de ma vie qui m’a permis de me relever après ces noirs années. Bref ils sont nombreux et nombreuses, se sont des rencontres que l’on n’oublie pas.

En quoi votre métier est-il essentiel à votre équilibre ? 
Je dirais qu’il est essentiel à mon déséquilibre. Je ne pense pas que nous puissions exercer notre passion sans un certain déséquilibre. Tel un funambule. Je serais probablement plus équilibré si j’exerçais une profession « normale » mais je m’ennuierais. Mon « métier » ne donne pas un sens à ma vie mais il donne un sens à la vie.

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Tout ce qui me touche l’âme, me heurte ou me rassure, me blesse ou me cicatrice, me réconcilie ou me révolte. Tout ce qui de près ou de loin me permet de prendre conscience que je suis bel et bien vivant.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Oserais-je dire vital ? 

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Partout de la tête au pied, de ma peau ou plus profond de mes entrailles, et en passant pas le sexe aussi…

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Tous ceux qui ont un goût prononcé pour le beau, le grand, le puissant. Un goût pour les grands textes, les émotions sincères et fortes. Je ne suis pas du genre fanatique, j’admire le travail de beaucoup d’artistes mais modestement je ne me vois pas les approcher, j’attends et je fais mon petit parcours, en espérant, un jour peut-être.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
J’adorerais jouer le Chapelier fou dans Alice au Pays des Merveilles

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Toutes les œuvres de Jérôme Bosch, j’adore tout ce qui effraie et repousse, c’est mystique, c’est puissant… on ne se lasse jamais. Je pense que ma vie ressemble un peu à tout ça, en tout cas ce qui me fascine.


L’Aquoiboniste de Jean-Benoît Patricot
création 7 juillet 2022 au théâtre Épiscène, Festival OFF d’Avignon 
La scène Libre
4 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Du 1er février au 24 mars 2024

Durée 1h15

Mise en scène de Jean-Benoît Patricot
avec Bertrand Skol
Création musicale d’Olivier Mellano

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