Couv_brulez-la_Michel_fau_claude_Perron_3_Rond-Point_©Philippe Savoir_@loeilodliv

Brûlez-la ou Zelda Fitzgerald follement réinventée

Avec Brûlez-la, mis en scène par Michel Fau, une folie douce, caustique, s'installe pour notre plus grand plaisir dans la salle Jean Tardieu du théâtre du Rond-Point.

Hypnotique, enivrante, Claude Perron se glisse avec gourmandise dans la peau de Zelda Fitzgerald. Pas la belle et jeune sudiste, mais la veuve de Scott, devenue folle et internée dans un sanatorium loin du monde et de ses paillettes. Hystérique, ensorceleuse et charismatique, l’incandescente Zelda se plonge dans ses souvenirs, racontant sa vie entre fable burlesque et sombre tragédie. Mise en scène avec humour et finesse par Michel Fau, la comédienne virtuose esquisse un portrait bouleversant et troublant de l’égérie littéraire des années 1920… à voir sans tarder.

Alors que la salle est plongée dans l’obscurité la plus totale, le lourd rideau noir s’ouvre et laisse entrevoir un étrange et minimaliste décor en carton-pâte. Une sorte d’immense maison de poupée, aux vitres occultées par du papier blanc opaque est éclairée d’une lumière rasante. Comme dans une boîte à musique dont on soulèverait le couvercle, une ballerine au costume suranné, au tutu défraîchi, en émerge. Les cheveux bruns enserrés d’une couronne de fleurs blanches, fanées, Zelda (magistrale Claude Perron) est emprisonnée jusqu’à la taille par cette structure représentant le sanatorium où elle est internée.

brulez-la_Michel_fau_claude_Perron_4_Rond-Point_©Stephane_trapier_Atalante_@loeilodliv

Libre, se moquant des règles, La belle sudiste ne cesse de s’évader mentalement de cet univers médical, mais carcéral. Elle boit en cachette, fume soudoyant le personnel de service pour obtenir de petits privilèges. Espiègle, malicieuse, charmeuse, elle enjôle son entourage. Prise au piège entre quatre murs gris, fades, Zelda se réinvente un monde, celui dont elle fut la reine incontestée. Elle plonge dans ses souvenirs. Elle raconte sa vie de cadette d’une famille honorable et éminente de l’Alabama. Joli trublion en jupons, elle abuse de ses charmes et ne cesse de saper l’autorité paternelle. Elle conte ses aventures amoureuses, ses sorties nocturnes jusqu’à la rencontre qui changera le cour de son existence, qui l’emmènera loin de cette vie terne et provinciale. En épousant le jeune et fringant sous-lieutenant Francis Scott Fitzgerald (fantomatique et caustique Bertrand Schol), prometteur auteur à succès, l’excentrique jeune fille entre de plain-pied dans un monde de fêtes où l’alcool coule à flot. Elle se souvient de son mariage, de la naissance de leur fille Scottie, des tromperies, des cours de danse pris sur le tard, de sa rivalité, de son exécration passionnelle pour Ernest Hemingway. Entrecoupant son récit mémoriel de quelques anecdotes de sa vie au sanatorium, elle dépeint un monde fantasmagorique qui oscille entre clownerie et tragédie.

S’appuyant sur le texte drôle et ciselé de Christian Siméon, Michel Fau signe une mise en scène décalée et sensible. Il prend à bras le corps la personnalité trouble, ensorceleuse et amusante de Zelda pour en esquisser un portrait émouvant et cocasse. Seule ombre à ce tableau particulièrement réussi, la présence visible de l’émanation fantasmée de Scott Fitzgerald. Si cette entité masculine ponctue avec drôlerie le discours enflammée de l’incandescente danseuse et l’ancre dans une réalité réinventée, elle semble parfois superflue. Fantomatique dans son costume blanc, coincé dans l’irréalité de son personnage et du parti pris scénique, Bertrand Schol bien qu’intense a bien du mal à déployer les palettes de son talent, sa voix rauque et caustique s’accordant pourtant parfaitement avec celle changeante de Claude Perron.

brulez-la_Michel_fau_claude_Perron_Rond-Point_©Philippe_Savoir_@loeilodliv

Zelda ne serra pas aussi virevoltante et intense dans la présence lumineuse et passionnée de la malicieuse Claude Perron. Avec humour et dérision, elle campe les différents personnages de son récit. Elle les croque de sa langue acérée, vive. Elle s’amuse des situations. Elle grimace, change d’expression ou de tonalité avec une fascinante virtuosité. Tour à tour psychotique ou lucide, folle à enfermer ou sarcastique, la comédienne redonne vie à cette égérie des années 1920 en lui offrant le premier rôle dans ce ballet burlesque où la vie et la mort se côtoie amicalement, dramatiquement. Zelda schizophrène reprend enfin les rênes de son existence, sa liberté de ton et son esprit acerbe et corrosif loin de l’autoritarisme de son écrivain de mari. Elle redonne à ses écrits une place de choix dans les romans de Scott Fitzgerald.

Emporté dans ce tourbillon effréné et vertigineux, le public conquis rit à gorge déployée et fait un triomphe à celle qu’Hemingway voulait brûler…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


Aff-brulez-la_Michel_fau_claude_Perron_Rond-Point_©Stephane_trapier_Atalante_@loeilodliv

Brûlez-la de Christian Siméon
Théâtre du Rond-Point – Salle Jean Tardieu
2 bis, avenue Franklin Delano Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 19 Juin 2016
du mardi au dimanche à 18H30 – relâche les lundis
Durée 1h15

texte de Christian Siméon
mise en scène de Michel Fau assisté de Jean-Philippe Marie
avec Claude Perron, Bertrand Schol
décor et peinture d’Emmanuel Charles
lumières de Joël Fabing
maquillage de Pascale Fau
construction décor : Atelier Jipanc

Crédit photos © Philippe Savoir / Crédit illustration © Stéphane Trapier

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