Élise Vigneron © DR

Élise Vigneron, l’âge de glace

De Marseille à Vincennes, en passant par Cavaillon, Élise Vigneron invite à plonger avec des marionnettes de glace dans "Les Vagues" de Virginia Woolf.

Élise Vigneron © DR

De la Joliette à Marseille, en partenariat avec les Théâtres, en passant par La Garance – Scène Nationale de Cavaillon, le théâtre de Châtillon ou la Tempête à Vincennes, Élise Vigneron adapte avec poésie et sensibilité Les Vagues de Virginia Woolf. Poursuivant son exploration de la glace comme matière première, la marionnettiste aptésienne imagine un voyage métaphysique et humain, dont elle nous trace les grandes lignes le temps d’un café. 

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Qu’est-ce qui vous a plus dans l’art de la marionnette ? 

Élise Vigneron : Je viens des arts plastiques et du cirque. À Lille, lors de ma formation pour devenir circasienne, je me suis blessée. J’ai dû abandonner cette voie. À cette même période, j’ai découvert les arts de la marionnette, grâce à un spectacle du Royal Deluxe. J’ai, tout de suite, était attrapée par cette pratique, qui croise plusieurs champs disciplinaires pour lesquels j’avais quelques attraits. Et par-dessus tout, ce qui me plaisait, c’était la possibilité de travailler des textes, de leur donner vie sur un plateau par un traitement visuel. J’ai donc passé le concours pour entrer à l’École nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières. J’ai eu la chance d’être prise, ce qui m’a permis de développer un langage à la croisée des arts plastiques, du théâtre et du mouvement, de trouver une manière différente de m’exprimer et d’utiliser tout ce que j’avais appris jusqu’alors pour nourrir mon processus créatif. Partir des matériaux, se servir de leur propriété pour les animer, m’a tout de suite passionnée. D’ailleurs, c’est dans cette démarche que je me suis intéressée à la glace et à ses différents états. Comment si ces matières, ces substances mis en scène nous parlaient par le biais sensations, avec notre corps. 

Pourquoi la glace ? 
Les Vagues de Virginia Woolf, mise en scène d'Élise Vigneron  © Philippe Ariagno
© Philippe Ariagno

Élise Vigneron : J’ai commencé à travailler avec la glace quand je me suis intéressée aux textes de Tarjei Vesaas, un auteur norvégien qui parle de la nature, du temps qui passe, du cycle de la vie. Il y a dans ses écrits une métaphore de la condition humaine, que j’avais envie de traiter au plateau. Dans un de ses poèmes, il évoque Hiroshima ce qui a produit en moi l’image de pieds de glace marchant sur une plaque chauffante, passant de l’état solide, à celui gazeux puis à celui liquide. Je trouvais que cela résonnait parfaitement avec sa prose et son propos. Le spectacle, créée en 2013, s’intitulait Impermanence. S’en est suivi, en 2016, Anywhere, qui a demandé beaucoup d’expériences préalables tant nous avons dû nous confronter à un certain nombre de difficultés techniques pour pouvoir mettre au point une marionnette de glace de 80 cm de hauteur. Puis en 2019, on m’a proposé de faire dans le cadre du festival d’Avignon, un Sujet à vif ! avec Anne NGuyen. Un sacré challenge. Le temps était caniculaire et toute la scénographie était faite de panneaux de glace qui cassaient au fur et à mesure de la performance. Au-delà des défis techniques, des discussions que nous avons menées avec des scientifiques pour affiner notre manière de faire, c’est le rapport aux spectateurs qui m’a interpellé. Très vite, on nous a renvoyé au réchauffement climatique, aux problématiques qui traversent nos sociétés contemporaines. Cela m’a toute suite confortée avec l’idée d’initier un cycle de spectacles autour de la glace en tant que matière, mais aussi aux thématiques auxquelles elle renvoie., combinant recherche scientifique, recherche esthétique et artistique, les.Ces différents projets que j’ai initiés avec ma compagnie et mes collaborateurs ont mené notamment à une performance participative, Lands, habiter le monde où nous moulons les pieds d’une trentaine de personnes pour en fabriquer des sculptures de glace. Le jour J, tous viennent avec leur précieux portrait pédestre dans une glaciaire pour créer une performance mêlant chorégraphie et installation plastique. Toutes ces étapes, ces spectacles, ont abouti à ce dernier projet qu’est Les Vagues et la fabrication de marionnettes de glace à taille humaine.  

Qu’est-ce qui vous a donné envie de porter au plateau cette œuvre expérimentale de Virginia Woolf ? 
Les Vagues de Virginia Woolf, mise en scène d'Élise Vigneron © Christophe Loiseau
© Christophe Loiseau

Élise Vigneron : tout simplement parce que j’aime l’écriture sensorielle et poétique de cette figure de la littérature anglais. Ses textes sont narratifs, mais il s’en dégage toujours des impressions, des émotions. Quand j’ai lu pour la première fois Les Vagues, il y a eu une rencontre, une sorte de coup de foudre. J’ai été totalement transportée par sa plume, son propos, qui parle à notre inconscient et questionne notre existence de manière très poétique et métaphorique. À la première lecture, j’ai été transportée par cette force poétique quasi animiste, il a fallu que je la relise plusieurs fois pour vraiment rentrer dans les différentes couches que nous propose cette œuvre d’une grande profondeur Les Vagues est construit sous la forme de 9 chapitres qui retracent les différentes étapes de la vie de 6 personnages pris de l’enfance à l’âge avancé. On suit leur construction identitaire en plongeant dans des soliloques, qui nous placent face à un sentiment de solitude. On se perd dans ces voix intérieures qui se mêlent les unes les autres pour créer des chants choraux. Chaque chapitre est ponctué par de longues didascalies dont émergent au fil des pages un paysage marin qui sert de toile de fond du lever au coucher du soleil. Le temps d’une journée évolue ainsi en parallèle du temps d’une vie et Les êtres humains et la nature qui les environne se fondent en un tout… Avec Marion Stoufflet, nous avons passé un long temps à faire l’adaptation.

Il y avait une évidence pour vous….

Élise Vigneron : Clairement. Il y avait pour moi une correspondance entre le texte de Virgina Woolf et la matière que je travaille actuellement. Les marionnettes faites de glace fondent tout au long du spectacle. Elles représentent les différents protagonistes, qui au fur et à mesure se transforment en eau, en flaque et rejoignent métaphoriquement la vague qui les engloutit. Je trouvais le symbole très beau, très en accord avec les états d’âme qui traversent l’autrice et ses personnages, avec ce temps cyclique de l’existence qui irrigue son œuvre. La dernière phrase du roman c’est, « contre toi, je me jetterais inébranlable, invaincue aux morts ». La mort n’est jamais loin mais elle est toujours reliée à la vie. C’est ce que j’ai eu envie de montrer au plateau. 

Comment travaille-t-on la glace ? 
Les Vagues de Virginia Woolf, mise en scène d'Élise Vigneron © Christophe Loiseau
© Christophe Loiseau

Élise Vigneron : il faut s’adapter tout le temps aux aléas du plateau, des températures. Mais c’est clairement cela qui m‘intéresse. Le caractère instable de la glace demande d’être toujours sur le qui-vive, à l’écoute de ses réactions. Déjà, lors de la construction du spectacle nous avons été confrontés à un certain nombre de difficultés : marionnettes trop lourdes à manipuler, temps de fonte trop long, temps de glaciation trop courts, etc. C’est d’autant plus compliqué qu’on ne peut pas répéter avec la glace. Il faut donc faire des tests et anticiper tout le temps. Il y a en amont tout un processus de recherches à effectuer. C’est particulièrement stimulant. Et puis c’était important pour moi que les artistes au plateau ne soient pas que marionnettistes. Ce sont avant tout des artistes sui viennent d’horizons différents : la marionnette, mais aussi le théâtre et la danse. Il a fallu les former à cette technique de manipulation avec de longs fils, leur transmettre l’écoute nécessaire à cette matière, et la concentration qu’elle demande, Travailler la glace, crée une tension, une attention de tous les instants que je trouve, en tant que metteuse en scène, particulièrement passionnante à travailler. On ne peut tricher. On est toujours dans le vrai car confronté à l’organique. Face à ces personnages qui se transforment au fil du spectacle, changent d’état, le spectateur sent bien qu’il se passe quelque chose d’unique, en direct. Cela crée un certain nombre d’émotions, de sensations. ET c’est cette matière changeante et éphémère que j’aime mettre en scène. 

C’est un choix de ne pas être interprète sur ce spectacle ?

Élise Vigneron : Oui. C’est vrai que j’aime bien être au plateau. Mais là c’était impossible. Le projet est très lourd. Je ne pouvais pas être à la fois sur le plateau et diriger l’équipe. J’avais besoin de recul, d’être extérieure à ce qui se passe sur scène. Ce qui lors des répétitions ne m’a pas empêché d’être au plateau pour expérimenter avec eux.

Le dispositif est assez lourd …

Élise Vigneron : Pas tant que ça. Nous avons besoin d’un espace où l’on peut brancher Cinq grands congélateurs – un par personnage – et un petit. Mais La fabrication des marionnettes de glace demande du temps de préparation. Nous devons arriver au moins un jour, si ce n’est deux quand on joue une série. En gros, le temps de glaciation est d’une nuit. Puis il faut démouler les morceaux de glace, les assembler pour créer la marionnette, cela prend une heure par personnages. Ensuite, ils sont tous les cinq placés dans un vitrine réfrigérante qui sert de décor. Et il faut encore une heure aux interprètes pour les habiller, les prépare, leur mettre leur fils. Cela crée une belle intimité entre les artistes et les pantins de glace. Ce n’est jamais pareil, cela demande une capacité d’adaptation à chaque instant mais c’est aussi ce qui fait toute la singularité du spectacle que nous proposons. 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Marseille

Les Vagues de Virginia Woolf 
Création le 4 octobre au Théâtre Joliette en coréalisation avec Le Théâtre Gymnase-Bernardines à Marseille (13)
Durée 50 min 

Tournée
17 octobre 2023 au Théâtre La Garance, Cavaillon (84)
20 octobre 2023 au Cratère, Alès (30)
9 & 10 novembre 2023 à L’Odyssée, Périgueux (24)
14 novembre 2023 à L’Espace Jéliote, Oloron-Sainte-Marie (64) 
17 & 18 novembre 2023 à la Scène nationale Albi-Tarn, Albi (81) – 1 
1er & 2 décembre 2023 au Théâtre de Chatillon (92) – 30 novembre, 
7 & 8 décembre 2023 au Manège, Reims (coréalisation La Comédie de Reims) (51) 
12 décembre 2023 au Figuier Blanc dans le cadre du festival PIVO, Argenteuil (78) 
1er & 2 février 2024 à La Comète à Chalon-en-Champagne (53) 
8 février 2024 au Théâtre de Laval (53) – 
12 février 2024 à la Scène nationale 61 – Mortagne au Perche (61)
15 février 2024 à L’Hectare à Vendôme (coréalisation la Halle aux Grains à Blois) (41) 
22 février 2024 à La Faïencerie à Creil (60) – 
16 au 26 mai 2024 au Théâtre de la Tempête à Paris 12e (75) 

mise en scène & scénographie d’Élise Vigneron assistée Maxime Contrepois
marionnettistes-interprètes Chloée Sanchez, Zoé Lizot, Loïc Carcassès, Thomas Cordeiro & Azusa Takeuchi en alternance avec Yumi Osanai
manipulation scénique – Vincent Debuire
dramaturgie de Marion Stoufflet
direction d’acteur de Stéphanie Farison
création sonore de Géraldine Foucault & Thibault Perriard
Construction des marionnettes – Arnaud Louski-Pane assisté de Vincent Debuire, d’Alma Roccella et Ninon Larroque

Création lumière de César Godefroy
construction scénographie – Vincent Gadras
costumes de Maya-Lune Thiéblemont & Juliette Coulon
régie lumière – Tatiana Carret ou Aurelien Beylier
régie générale Max Potiron & Marion Piry
régie son Camille Frachet ou Alice Le Moigne
construction d’objets animés Vincent Debuire & Élise Vigneron

regard extérieur Sarah Lascar
oreille extérieure Pascal Charrier

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