Teddy Melis © Lisa Lesourd

Teddy Melis, un épicurien au cœur du théâtre

À l'occasion de la reprise du "Voyage de Molière" de Daguerre au Chien qui fume, pour le Festival Off Avignon,, rencontre avec Teddy Melis.

Teddy Melis © Lisa Lesourd

En 2020, il était nominé pour le Molière de la révélation masculine suite à sa prestation en Sganarelle dans le Dom Juan de Jean-Philippe Daguerre. En 2023, rebelote, cette fois pour un second rôle, celui de Gros René dans Le voyage de Molière du même metteur en scène. À l’occasion de la reprise de ce succès au Chien qui fume, dans le Off, l’enthousiaste Teddy Melis répond à notre questionnaire.

©Lisa Lesourd

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je ne sais si c’est mon premier souvenir d’art vivant, mais mon souvenir le plus vivace est Le capitaine fracasse, mis en scène par Marcel Maréchal au théâtre de la Criée, dans mon Marseille natal. C’était une mise en scène pleine de mouvements tenus par des artistes virevoltants avec, au fond de scène, un cyclo, une grande toile qui changeait de couleur suivant l’évolution du jour et de la nuit… Je me disais, mais on peut faire cela au théâtre ? Je ne connaissais alors qu’Au théâtre ce soir. Ce qui était extraordinaire, c’est que la pièce racontait le périple d’une troupe de théâtre sur les routes de France.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
C’est vraiment Chaplin qui m’a donné l’envie de me mettre en spectacle… Dès mes cinq ans, je n’ai eu de cesse que de reproduire sa gestuelle et ses scènes burlesques. J’aimais, à partir de musiques classiques, improviser des situations chaplinesques devant ma grand-mère et ma cousine.

Le voyage de Molière de Jean-Philippe Daguerre © Stéphane Audran
Le voyage de Molière © Stéphane Audran

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Très sincèrement, je ne crois pas avoir eu d’autre choix que celui-ci. J’ai ressenti cette nécessité dès mon plus jeune âge. C’était inscrit dans ma chair que je ne pouvais faire autre chose. Le seul souci, c’est qu’à cette époque, je ne savais pas que c’était un métier. Cela me rendait extrêmement mélancolique…

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Mon premier spectacle était Poil de carotte de Jules Renard, nous avions eu la chance d’avoir des intervenants en classe de cinquième qui nous avaient fait vivre cette aventure. C’est la première fois que j’ai senti le regard de ma professeure de français changer à mon égard… Moi qui n’étais pas fait pour l’école, je n’étais à ses yeux que le squatteur du fond de la classe ! Après la représentation elle est venue vers moi et m’a dit qu’elle m’avait découvert ce jour-là… J’en étais tout hébété et ému.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?

Mon plus grand coup de cœur a été la création d’Incendies de Wajdi Mouawad… Je me suis pris une claque qui m’a laissé scotché à mon siège, même pendant l’entracte. Je me suis dit, tiens, c’est peut-être cela qu’a ressenti le public de toute première création de Hamlet il y a quatre cent ans au théâtre du Globe.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mes plus belles rencontres sont d’abord celles de mes maîtres : Claude Mathieu et Alain Gautré (Le malade imaginaire, Impasse des anges), puis celle de mes compagnons de route metteurs en scène et amis Jean Bellorini (Paroles gelées, Karamazov, La bonne âme de Se-Tchouan, Liliom), Côme de Bellecize (Amédée, Les enfants du Soleil), Jean Philippe Daguerre (Dom Juan, Le voyage de Molière), Xavier Lemaire (Là-bas, de l’autre côté de l’eau)… Chacun m’a apporté de la confiance, de l’aisance à affirmer quel animal de plateau je peux être…

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Le métier m’est essentiel car il me permet de prendre de la distance, un peu de hauteur par rapport au monde qui m’entoure… Il m’oblige à avoir un point de vue sur la société des hommes, sur la place de chacun dans ce monde. Il m’a donné l’opportunité de creuser tant de sujets, tant de parcours de vie, tant de traits d’histoire, de l’histoire avec un grand H. Cela m’a fait grandir à chaque fois… Louis Jouvet disait : « Le comédien vaut l’homme tant vaut l’homme, tant vaut le comédien ». Je fouille encore cette phrase en moi et me dis que ce métier me pousse à faire grandir l’homme, pour en nourrir l’acteur et vice versa.

Le voyage de Molière © Stéphane Audran
Le voyage de Molière de Jean-Philippe Daguerre © Stéphane Audran

Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’amour, l’enfance, le déracinement, la vie des gens, les luttes du quotidien, le combat des femmes et des hommes pour leur liberté et, en parallèle, la quête inéluctable de l’homme vers l’infini et l’immortalité qui pousse à la folie et à la perte de celui qui s’y aventure. Richard III en est un bel exemple.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Mon rapport à la scène est totalement et principalement charnel. Je suis acteur de corps ! C’est l’organique qui me guide, tant dans la pensée que dans l’espace. Et c’est vrai que la scène, espace vide par essence, ne demande qu’à être remplie du corps de l’artiste qui la foule, la sublime, la dessine puis l’éteint.

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Mon désir du plateau se situe à trois endroits de ma chair. D’abord mes mains, qui me donnent la sensation d’être un artisan de la scène. Puis mon ventre, qui me donne l’image épicurienne de se remplir de la scène. Enfin, les pieds, lesquels me donnent la nette impression de danser sur les planches, de dessiner entre les planches et d’y prendre racine quand il le faut.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Oh ! Hormis les grands noms que tout le monde connaît (Mouawad, Ostermeier, Donnellan, Podalydès, Ruff…), j’ai envie de travailler avec ceux qui me veulent comme partenaire de création, avec ceux qui ont envie de chercher, creuser, de perdre pour mieux trouver, de partager, d’échanger, de transformer, de transposer, de faire, de refaire et de défaire avec moi et ont envie d’accomplir ce qui n’a peut-être pas encore été fait.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Parcourir un grand Shakespeare comme Richard III sur une grande scène ! Et la chose la plus folle serait de m’en donner le rôle coryphée. Cela serait véritablement fou pour moi.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Les feux de la rampe.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Le voyage de Molière
Festival Off AvignonThéâtre du Chien qui fume
75 rue des Teinturiers 84000 Avignon
Du 7 au 29 juillet à 12h35, relâche les mercredis.
Durée 1h35.

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3 Comments

  1. Je retrouve dans cet interview l enfant artiste qu il était déjà, l homme sain droit et intègre qu il est devenu et habité par ses rôles ce qui défini l e grand artiste qi il est .

  2. L’essence de ce comédien s’est révélé avec humilité dans cet interview. Chapeau l’artiste

  3. L’artiste rend les choses concrètes et leur donne de l’individualité. Petit clin d’œil de Cézanne pour ce touchant artiste et ami.

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