Jean-Luc Revol © Christophe Vootz

Jean-Luc Revol ou l’art du décalage

Jean-Luc Revol, le directeur de la Maison de Nevers, évoque son parcours et la saison à venir.

Jean-Luc Revol © Christophe Vootz

Sa compagnie, le théâtre du Caramel fou, a fêté ses trente-cinq ans d’existence en septembre 2022. Depuis 2016, il dirige la Maison de Nevers, une scène conventionnée art et territoire. Rencontre avec un artiste aux multiples univers dont la curiosité ne semble jamais rassasiée.

© Christophe Vootz

Jean-Luc Revol nous a donné rendez-vous à Nation, chez Prosper, à quelques mètres de son pied-à-terre parisien. Ce bistrot traditionnel est plein à craquer en ce début d’après-midi et le bruit des gens autour impressionne. Il s’excuse de son choix, mais tout comme nous, il ne s’attendait pas à une telle fréquentation. On fera avec ! Je rappelle à Jean-Luc qu’on se connaît depuis 1994, soit vingt-neuf ans. « J’avais cinq ans ! » s’écrie-t-il dans un grand éclat de rire. Ce à quoi je réponds : « Et moi, quatre ! »

Exposition les 35 ans du TCF à la Maison de Nevers © Christophe Vootz
Exposition les 35 ans du TCF à la Maison de Nevers © Christophe Vootz

Ma première rencontre n’a pas eu lieu avec le metteur en scène, mais avec le comédien. C’était au Lucernaire, dans La Locandiera de Goldoni, mis en scène par Christophe Lidon. Goldoni est l’auteur que Revol « aime plus que Molière ». Il ajoute, « parce qu’il écrit divinement pour les femmes ».

Maison

Puisqu’il faut toujours démarrer une rencontre par une question, la première est toute simple : Pourquoi Nevers ? Il éclate de rire. « Parce que j’y suis né ! Que j’y ai grandi ! J’en suis parti et j’y suis maintenant revenu ! ». Sa compagnie a toujours été implantée à Nevers. « J’étais artiste associé par intermittence, selon mes relations avec le directeur. » Ce n’est pas par esprit de revanche qu’il a décidé de postuler à la direction de cette Maison de la culture qu’il connaît par cœur, mais « par évidence ». C’est « la maison ».

Avant de postuler pour ce retour en terre natale, il avait tenté le Phénix de Valenciennes. « Je n’ai pas été choisi, mais je reconnais qu’alors j’étais totalement inconscient ! ». Mais quand l’appel à candidature pour la direction de Nevers a été publié, il n’a pas hésité. « Même si ce n’était pas gagné d’avance. Je sortais du Roi Lear, un projet difficile qui m’a bien ébranlé. J’étais en phase de dépression. » Sa « botte de Nevers » est sa connaissance du terrain, qu’il a traversé de long en large avec sa compagnie. « Incroyable mais vrai, ils m’ont choisi ! Et là, je me suis dit qu’il allait falloir assumer ! » Il forme une équipe et, comme il le dit, « on remonte l’affaire ».

De la Maison de la culture à la scène conventionnée
Nicole Croisille et Charles Templon dans Jeanne de Jean Robert-Charrier © Christophe Vootz
Nicole Croisille et Charles Templon dans Jeanne de Jean Robert-Charrier © Christophe Vootz

Sous sa direction, la Maison de la culture de Nevers, qui fut une des toutes premières crées sous le règne de Malraux, a obtenu le label « scène conventionnée art et territoire ». Ce dont il est fier. Le théâtre, totalement rénové, possède une grande salle et une autre plus petite. Selon les besoins, il peut disposer du théâtre municipal. Mais il a également toutes les salles de spectacle du département pour son programme, « Côté jardins ». « Nous en avons recensé cent dix ! ». Quant au territoire, il comprend la Bourgogne et la Franche-Comté. « Nous sommes maintenant identifiés », se réjouit-il. Aujourd’hui, « Nevers n’est plus perçu comme une petite MJC, un petit truc du trou du cul du monde. » Il tient à faire travailler les compagnies installées dans la région. On sent chez lui cette idée de redonner ce qu’il a reçu.

Une direction horizontale

Être directeur, cela implique des problèmes à résoudre et beaucoup de plaisir. Hédoniste et bon vivant, il penche bien sûr pour les plaisirs. Pour l’administratif, qu’il a appris à gérer, il est secondé par son secrétaire général, Laurent Codair et toute une équipe très efficace de vingt-deux personnes. « La cerise sur le gâteau, c’est la programmation ! ». Lui qui a été au comité d’experts à la Drac et membre du collège de l’Adami Déclencheur aime découvrir, repérer et surtout accompagner. Il essaie d’aller partout, pour dénicher les spectacles à présenter au public. « Les Nivernais sont très attachés à ce qu’ils considèrent comme leur Maison ». Avec ses pôles universitaires, Nevers s’est rajeuni et le théâtre en a profité.

Et comme le public est composé de personnes d’âges différents, aux goûts divers et variés, ses propositions le sont tout autant. Ce qui correspond également à ses conceptions artistiques. « On ne va pas revenir à la phrase de Terzieff, mais le théâtre, c’est plein de choses à la fois ! » Alors il compose avec, et il est heureux lorsqu’il voit que les spectateurs élargissent leur choix, osant emprunter des routes plus difficiles. Sa programmation est agencée entre la danse, le cirque, la musique, le théâtre sous toutes ses formes, boulevard compris, avec, la saison prochaine, Lorsque l’enfant paraît et Le jour du kiwi. Le fil rouge de la saison 23-24 ? Masculin, féminin. « On va les secouer un peu, mais c’est bien. »

La mise en scène n’est jamais loin
Chloé Berthier et Jean-Luc Revol dans Le chevalier et la dame © Christophe Vootz
Chloé Berthier et Jean-Luc Revol dans Le Chevalier et la dame de Goldoni © Christophe Vootz

Diriger son lieu ne l’empêche pas de continuer ce qu’il aime par-dessus tout : la mise en scène. La dernière saison, dans le cadre des festivités des 35 ans du TCF, Revol avait mis en scène un Goldoni inédit en France, Le Chevalier et la Dame. Spectacle qui repartira en tournée de janvier à mars. « Pour Paris, c’est plus compliqué. On est onze sur scène et aucune vedette ! ». Si, il y en a une, Goldoni. Et on espère que les mutations qui s’opèrent dans la fréquentation des théâtres parisiens, permettront le retour sur scène des troupes. Pour la saison prochaine, il signe une petite forme : des farces du Moyen Âge. Ce spectacle va circuler dans tout le département. Une idée bien alléchante, lorsque l’on connaît le travail artistique de Revol.

En parcourant L’art du décalage, paru en septembre dernierce livre où il se raconte, on ne peut que constater l’ampleur de son impressionnant parcours. Quand on l’interroge sur les raisons qui l’ont poussé, lui qui est si pudique, à s’exposer dans un livre, il répond du tac-au-tac : « Pour les 35 ans de TCF et la création du Goldoni, on a décidé de faire une exposition avec les costumes des spectacles de la Compagnie et des vidéos. On s’est dit que cela serait chouette de faire un petit bouquin, genre catalogue. Laurent Codair me suggère de le proposer à L’Avant-scène. Je lui réponds : Ça va intéresser qui, un bouquin sur moi ?  ». Il se trouve que cela intéresse l’éditeur théâtral, et le livre finit dans la collection des Quatre-vents.

Échange à deux

N’ayant pas envie de parler de son enfance et encore moins d’écrire un mode d’emploi pour metteurs en scène ou comédiens en devenir, il souhaite écrire « une chose ludique sur le parcours d’un metteur en scène à travers les spectacles de sa compagnie ». C’est ainsi qu’il demande à son ami, le comédien et auteur, Frédéric Chevaux, de l’accompagner dans l’aventure. Ensemble, ils ont la bonne idée de garder le format questions-réponses.

Denis d'Arcangelo dans Le cabaret des hommes perdus © Philippe Lacombe
Denis d’Arcangelo dans Le cabaret des hommes perdus © Philippe Lacombe

À l’arrivée, un ouvrage très vivant et agréable à lire. On y voit surtout la diversité de sa carrière, laquelle va des classiques aux comédies musicales en passant par des auteurs plus ardus. On comprend bien les difficultés et les joies du créateur. Et surtout son amour et sa fidélité aux acteurs et actrices qui ont jalonné ses créations. Il n’hésite pas à revenir sur ses échecs, à se remettre en question et à griffer lorsqu’il le faut.

Éclectisme, audace et plaisir

Replongeant dans mes propres souvenirs des spectacles évoqués, je me suis régalée à suivre ce trublion dans ses aventures théâtrales et artistiques. J’ai presque tout vu de ce prolifique metteur en scène ! Nous évoquons ensemble mes préférés : Le cabaret des hommes perdus (Molière 2007), Le préjugé vaincu (Marivaux aux couleurs de Demy), La nuit d’Elliot Fall (Molière 2011), La Tempête (et ce grand regret que la reprise à Paris avec Jean Marais n’a pu se faire en raison de sa disparition subite), Les 30 millions de GladiatorL’inspecteur WhaffHamlet (à Grignan)…

Même s’il a connu, comme tout metteur en scène,  « des hauts et des bas », Revol a encore des projets et des envies plein la tête… On a hâte de les découvrir. Vient l’heure de nous séparer. Il a juste le temps de repasser chez lui, avant de prendre un train pour aller assister à un spectacle en province et rentrer à Nevers pour présenter sa nouvelle saison. Cet homme tranquille ne cesse d’être en mouvement.

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

La Maison, scène conventionnée art et territoire
2 bd Pierre de Coubertin
58000 Nevers

Saison 2023-2024

Jean-Luc Revol, l’art du décalage, de Frédéric Chevaux.
L’avant-scène, collection les Quatre-Vents
192 Pages
Prix conseillé 18 €

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