Dom Juan © Cédric Vasnier

On kiffe le Dom Juan de Tigran Mekhitarian

Au Lucernaire, Tigran Mekhitarian présente une version étonnante du Dom Juan de Molière.

Dom Juan © Cédric Vasnier

Après L’Avare et Les Fourberies de Scapin, le jeune et talentueux Tigran Mekhitarian poursuit, avec Dom Juan, son travail sur l’œuvre de Molière, et nous propose une relecture assez étonnante et même pertinente de ce grand classique.

En ce dimanche de matinée, la salle du Lucernaire était pleine à craquer. Il y avait du public de tous les âges des familles complètes et beaucoup de jeunes. On ne peut que saluer ces professeurs courageux qui arrivent à amener des groupes de scolaire un jour de repos. Le théâtre présentant le spectacle comme une adaptation moderne et familiale, les spectateurs ont vite répondu présent. La ferveur de leurs applaudissements prouve qu’ils ont largement apprécié.

Un Dom Juan, condensé mais point trahit

Tigran Mekhitarian ne revisite l’œuvre de Molière. La pièce est là, telle qu’elle a été écrite, mais expurgée. Il s’est autorisé des coupures, des petits ajouts et des inspirations puisées dans la culture urbaine, avec allusions à notre époque. Son but, fort bien atteint, est de montrer à certains qu’il ne faut pas avoir peur des classiques, car ils sont intemporels. Ce principe est souvent utilisé pour aborder les œuvres de Shakespeare, permettant ainsi toutes sortes d’interprétations. Alors pourquoi ce qui est bon avec le plus grand auteur de théâtre anglais ne le serait pas pour le plus grand auteur français ?

La pièce démarre par la fameuse tirade de Sganarelle sur les bienfaits du tabac. Sauf qu’ici ils ont été remplacés par ceux des joints. Pas pour inciter la jeunesse à fumer du cannabis mais parce que les effets de la nicotine au XVIIe siècle produisaient les mêmes effets ! Ce qui pourrait paraître comme un gag facile ne l’est donc pas tant que ça. Ceci est valable pour toutes les adaptations que s’est autorisées Tigran Mekhitarian. Et lorsqu’il utilise le Rap et le slam, c’est parce que la langue de Molière s’y prête bien.

Dom Juan et Sganarelle où je t’aime moi non plus
Dom Juan © Cédric Vasnier

Qui est ici Dom Juan ? Un gosse de riche qui s’est emparé des codes de la banlieue. Mais comme le souligne Sganarelle, son survêtement est un Hugo Boss® ! Il promène un air blasé qui ne se rallume que lorsqu’une fille passe par là. Pourquoi n’en aimer qu’une alors que la terre est peuplée de belles créatures ? On le sait sa vision des femmes n’est pas noble. C’est un Dom Juan frimeur, laxiste, égocentrique, jouisseur qui prend la vie comme bon lui semble se foutant de tout. Parlant autant avec ses mains qu’avec sa bouche, jouant sur un accent aux couleurs du sud, traînant et chantant, jouant sur les registres de la nonchalance feinte et de la supériorité d’esprit assumée, Tigran Mekhitarian est parfait dans ce personnage qu’il n’est pas bon de fréquenter.

Ce pauvre Sganarelle en sait quelque chose. Il est son serviteur mais aussi son ami. Car Dom Juan, avec sa vision du monde, ne peut avoir que son valet pour fidèle compagnon. Il subit les frasques de son maître, tente de le raisonner, ne cesse de chercher un sens à tout cela. Il est l’homme du peuple qui s’est fait avoir et qui n’a plus que ses larmes pour pleurer ses gages. Casquette vissée sur la tête, démarche chaloupée des petits loulous de banlieue, plein de malice et de sincérité, Théo Askolovitch est truculent. Il est tout à son aise dans ce plus beau rôle du théâtre français.

Performance d’acteurs
Dom Juan © Cédric Vasnier

On tire un coup de chapeau à Marie Mahé et Arthur Gomez qui, à eux deux, incarnent tous les autres personnages de la pièce. La comédienne dans un tour de force admirable passe d’Elvire, Marinette, Dom Clara (et oui un des frères d’Elvire est ici une sœur !) à la statue du commandeur, ici transformée en Dark Vador. Quel que soit le registre, comique ou dramatique, elle montre l’étendue de sa palette de jeu. Le comédien est tour à tour, Pierrot, Mathurine, le pauvre, Dom Alfonse et le père. C’est avec beaucoup de talent qu’il déploie son art de la métamorphose dramatique.

L’énergie de la jeunesse

La mise en scène de Tigran Mekhitarian est d’une diabolique efficacité. Passant de la farce au drame, les tableaux s’enchaînent dans une énergie folle. Son traitement de la fin est puissant. Dom Juan, transformé l’espace d’une fausse rédemption en Tartuffe, se retrouve crucifié. La scénographie, épurée à quelques accessoires et un beau jeu de lumières, ne possède que pour tout décor une toile représentant un tag. On y perçoit un œil qui observe, mais dans les méandres des rides qui l’entoure, regardez bien, vous y trouverez bien des choses. Certains puristes risquent d’être choqués par certains choix. Ce qui n’empêche pas d’entendre ce texte, ce qui est toujours un plaisir.

Marie-Céline Nivière

Dom Juan de Molière.
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris.
Jusqu’au 4 décembre 2022.
Du mardi au samedi 20h, dimanche 17h.

Durée 1h20.

Mise en scène de Tigran Mekhitarian.
Avec Théo Askolovitch, Arthur Gomez, Marie Mahéet Tigran Mekhitarian ou Louka Meliava.

Crédit photos © Cédric Vasnier.

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