Il aurait pu s’agir d’une comédie musicale dédiée à tout ce qui peut exister, du plus réjouissant au moins acceptable. D’ailleurs, la scénographie et les lumières de Florian Leduc s’inspirent d’un concert, avec ses instruments en arrière-plan et son avant-scène dégagée. En réalité, ce que propose Joris Lacoste avec Nexus de l’adoration tient davantage d’une tentative poétique qui dresse un constat du monde à l’instant T. Avec une écriture en majorité composée d’une infinie liste de choses, et accompagné sur la chorégraphie par Solène Wachter, le metteur en scène propose une performance qui n’a rien d’une évidence. Au contraire, il met le public à l’épreuve dans ce portrait d’une époque plus complexe qu’il n’y paraît.
Une messe pour l’univers
Plus que le dispositif scénique qui laisse d’office imaginer pléthore d’effets à venir, c’est le texte qui surprend. Avec des voix modifiées à l’extrême, les interprètes se lancent dès les premiers instants dans l’énumération de noms, d’objets, de concepts ou de références. Sur la musique produite au plateau par Léo Libanga, tout existe, a existé ou finira par exister. C’est au carrefour de tout cet inventaire que se place ce spectacle, qui se donne pour mission de répertorier le monde dans son intégralité. Autant dire que la tâche est grande, d’autant que nous traversons une période qui voue un véritable culte à la possession.
Les mélodies, les instruments ou les styles musicaux ont beau varier, c’est bien à une messe que Joris Lacoste convie les spectateurs. Celle-ci a pour divinités l’accumulation et l’hétérogénéité. Et si, au premier abord, la litanie psalmodiée par la petite dizaine d’interprètes semble insensée, chaque chose y est en réalité à sa bonne place. Car en dépit de sa volonté d’être exhaustif, Nexus de l’adoration ne peut évidemment pas résumer l’univers en deux heures. Il a donc fallu faire des choix pour composer cette poésie contemporaine, dans un fourmillement dont le sens se révèle dans la globalité.
Vision d’ensemble
C’est là que la dramaturgie de Joris Lacoste éclate. Parmi son encyclopédie, l’artiste offre à certaines occurrences bien choisies une place toute particulière qui vient briser le rythme et lui donner un nouveau souffle. Au milieu de la redondance à laquelle il l’a habitué, le metteur en scène réserve au public le plus impliqué quelques épiphanies. Dans ces parenthèses qui suspendent un instant l’inexorable cours des événements, il donne fond et forme à ce qu’il estime essentiel. Ainsi vibre-t-on au récit de la perte d’une mère. Ainsi entend-on, le temps d’un poème en arabe, toute la désolation qui plane sur Gaza. Dans le nœud du chaos qui déforme les voix et superpose les éléments, on entend très clairement ce qui doit l’être.
Avec beaucoup d’autodérision, Nexus de l’adoration s’assume comme un capharnaüm qui ne cède rien à la facilité. C’est probablement pour cette raison que certains spectateurs finissent par abandonner. Pourtant, c’est précisément dans son entièreté qu’il convient de s’approprier cette pièce à force de patience. Après tout, comment résister sans effort à l’époque qui nous traverse ?
À n’en plus finir
La logorrhée des choses, quant à elle, semble ne jamais pouvoir finir. Après les saluts, le recensement se poursuit de manière plus informelle, éprouvant toujours plus la ténacité des derniers curieux qui n’ont pas encore pris la décision de quitter la salle. C’est presque à regret qu’il faut pourtant partir, l’esprit durablement marqué par une création qui déplace de par son originalité. La question d’avoir aimé ou détesté viendra plus tard, ou bien elle ne se posera pas.
Nexus de l’adoration de Joris Lacoste
Gymnas du Lycée Aubanel – Festival d’Avignon
Du 6 au 9 juillet 2025
Durée 2h30
Tournée
25 et 26 septembre 2025 au Maillon, Théâtre de Strasbourg Scène européenne dans le cadre du Festival Musica
4 au 7 décembre 2025 au Festival d’Automne à la MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis – Bobigny (Paris)
19 et 20 décembre 2025 au Lieu unique Scène nationale de Nantes
7 et 8 janvier 2026 au Festival TRANSFORME à la Comédie de Clermont-Ferrand
27 mars 2026 à La Halle aux Grains Scène nationale de Blois
31 mars au 3 avril 2026 au Festival TRANSFORME aux Célestins, Théâtre de Lyon
Conception, texte, musique, mise en scène – Joris Lacoste
Scénographie et lumière – Florian Leduc
Collaboration à la danse – Solène Wachter
Collaboration musicale et sonore – Léo Libanga
Costumes – Carles Urraca
Interprétation et participation à l’écriture – Daphné Biiga Nwanak, Camille Dagen, Flora Duverger, Jade Emmanuel, Thomas Gonzalez, Léo Libanga, Ghita Serraj, Tamar Shelef, Lucas Van Poucke
Son – Florian Monchatre
Assistanat à la mise en scène et à la dramaturgie – Raphaël Hauser
Coaching vocal – Jean-Baptiste Veyret-Logerias
Régie plateau – Marine Brosse, Seydou Grépinet
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