Romain Gneouchev © Olivier Duverger Houpert
Romain Gneouchev © Olivier Duverger Houpert

Romain Gneouchev : « Montrer les coutures au théâtre, c’est une question d’honnêteté »

Pour sa première mise en scène à Avignon, l’artiste présente [ Une Chose vraie ] au Théâtre du Train Bleu. Inspirée d’un dialogue avec la comédienne Ysanis Padonou, cette pièce puzzle évoque avec tendresse et malice les effets intimes de la maladie neurodégénérative. Rencontre avec un artisan de l’écoute. 
Comment l’art vivant est-il entré dans votre vie ?

Romain Gneouchev : Je viens du cirque traditionnel. Mon père était metteur en scène et ma mère productrice de spectacles. Leur créneau ce sont les pistes rondes, les chapiteaux, les clowns au nez rouge, les animaux, etc. C’est très éloigné du cirque contemporain que l’on voit aujourd’hui et qui s’invite de plus en plus dans les salles de spectacle et les CDN. J’en avais assez tôt fait un rejet. C’était mon monde, je baignais au quotidien dans cet univers, mais cela ne correspondait pas à mes attentes. J’ai fait une sorte de rejet primaire, je n’arrivais pas à me projeter. 

Mais le théâtre a fini par vous rattraper ?
Une Chose vraie de Romaon Gneouchev © Olivier Duverger-Houpert 
© Olivier Duverger-Houpert 

Romain Gneouchev : Complètement. Au lycée, j’ai choisi l’option théâtre presque par hasard et un peu comme tout le monde… Cela a tout changé. J’ai plongé. Depuis ce moment-là, je n’ai jamais arrêté une seule seconde de faire, de penser, de respirer « théâtre ».

Quelle a été votre formation ?

Romain Gneouchev : J’ai fait deux années au Laboratoire de formation au théâtre physique à Montreuil, une école assez singulière, très ancrée sur le travail corporel, puis j’ai poursuivi à l’École du Théâtre National de Strasbourg, où j’ai été reçu en section jeu. C’est là que j’ai rencontré beaucoup de gens avec lesquels je travaille encore aujourd’hui.

On vous connaît comme comédien, mais vous êtes aussi auteur et metteur en scène. Comment cette envie-là s’est-elle imposée ?

Romain Gneouchev : Elle était là dès le début. Même au lycée, je mettais déjà en scène. Et je me souviens qu’à Montreuil, le premier jour, ma première question a été : « Quand est-ce qu’on peut commencer à monter des spectacles ? » J’ai été identifié comme comédien en raison des premiers projets auxquels j’ai participé – notamment avec Olivier Letellier ou Pascal Rambert – mais en réalité, la mise en scène a toujours pris le dessus. C’est mon moteur ! 

Une chose vraie est votre troisième création. Comment est-elle née ?
Photo de répétition © Olivier Duverger-Houpert

Romain Gneouchev : Elle est née d’une amitié de longue date. Avec Ysanis, la comédienne du spectacle, on se connaît depuis l’Ecole du TNS, où nous avons fait nos armes ensemble. Suite à un Secret Santa, comme nous le racontons dans le spectacle, lors d’une discussion intime, elle m’a parlé d’un corps défaillant, d’une maladie qui touche sa famille. Assez vite, le théâtre s’en est mêlé et le projet a vu le jour en toute logique.

Comment travaillez-vous vos textes ?

Romain Gneouchev : Je commence toujours par des entretiens avec différentes personnes que j’enregistre. Je pose un micro sur la table et je pose des questions. Je me mets en retrait. J’essaie de comprendre ce que le sujet vient chercher chez l’autre. Ensuite, on passe au plateau, on improvise, je continue à enregistrer avec des micros HF. Et quand j’ai assez de matière, je la réécoute, je la transcris, je l’organise. C’est presque un travail d’archiviste. Puis l’écriture commence, mais jamais seul dans mon coin : j’écris avec le plateau, pour le plateau.

Le spectacle joue sur la forme : faux documentaire, narration éclatée, présence du metteur en scène… Était-ce une volonté dès le départ ?

Romain Gneouchev : J’avais envie de composer une forme-puzzle. D’aborder le réel par plusieurs biais. Il y a des séquences très documentaires, d’autres très théâtrales, des souvenirs recomposés, une parole qui passe de l’actrice au metteur en scène, du personnel au fictionnel. On brouille volontairement les pistes. Mais toujours pour une raison, celle de raconter honnêtement une histoire. En montrant aussi la fabrication, les hésitations, les ratés. Ce que j’aime, c’est cette transparence. Montrer les coutures. C’est une manière d’être sur un pied d’égalité avec le public.

Ce n’est pas risqué de mélanger autant de couches ?
© Olivier Duverger-Houpert

Romain Gneouchev : C’est risqué, mais c’est joyeux. Ce flou entre fiction et réel, c’est ce qui fait vibrer la pièce. C’est presque une réponse à une forme devenue classique qu’est le récit de vie sur scène, un acteur qui dit « je » et déroule sa trajectoire. Ce sont des formes qui parfois manquent de jeu, de théâtre. J’avais envie de réinjecter du dispositif, de l’amusement, du doute aussi. De faire émerger du théâtre là où on ne l’attend pas.

C’est la première fois que vous venez à Avignon avec votre compagnie. Que représente ce moment ?

Romain Gneouchev : C’est un moment fort. On va jouer dix dates au Théâtre du Train Bleu, c’est inédit pour nous. Et on le fait dans de bonnes conditions, grâce au soutien de la Région Grand Est. Nous sommes accompagnés, on a une attachée de presse, un chargé de diffusion… Ça change tout. Et puis, il y a une dimension affective. J’ai de la famille non loins d’ici. Je viens donc à Avignon depuis mes seize ans, tous les étés. Pouvoir aujourd’hui y présenter mon propre travail, c’est un rêve qui se réalise.

Et après ?

Romain Gneouchev : J’aimerais continuer à faire ce que j’aime : rencontrer des gens, écouter leurs histoires, et trouver avec eux des formes singulières pour les raconter. Parce qu’au fond, c’est toujours ça, le point de départ, une personne, une voix, un lien.


[ Une Chose vraie ] de Romain Gneouchev
spectacle crée le 7 novembre 2024 à La Pokop, Strasbourg

Théâtre du Train Bleu – Festival Off Avignon
Du 5 au 24 juillet 2025 à 15h05 les jours impairs

Durée 1h20 

Conception et mise en scène de Romain Gneouchev
Interprétation et collaboration à l’écriture – Ysanis Padonou

Dramaturgie et collaboration à l’écriture – Hugo Soubise
Création lumière de Vincent Dupuy
Régie – Léopold Faurisson

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