Comment est née l’idée du Rainbow Day & Night ?
Victor Leclère : D’une frustration. Avec La Magnanerie, on travaille beaucoup avec des compagnies indépendantes, notamment sur la diffusion. On s’est aperçu que lorsqu’un spectacle aborde des récits d’amour homosexuelles ou lesbiennes, les réactions varient énormément selon les lieux de diffusion. Certains s’en emparent sans se poser de questions.
D’autres, en revanche, commencent à tiquer, soit parce qu’ils estiment qu’ils ont déjà un sujet « sur l’homophobie » et qu’il n’est pas besoin d’en ajouter un autre, soit parce que ce serait un sujet délicat, qui pourrait heurter certains élus et de facto impacter leur subvention ou même leur liberté de programmation. Au-delà de la confusion des thématiques et des sujets, c’est comme si ces récits étaient systématiquement ramenés à une case militante ou polémique.
C’est là que vous décidez de créer un espace où ces histoires ne soient plus “assignées” ?
Victor Leclère : Plus précisément, je souhaite imaginer un endroit où ces récits porté.e.s par des artistes LGBTQIA+ puissent exister, grandir, rencontrer tous les publics. Où l’on peut simplement parler de sentiments, de relations, de complexité humaine, mais aussi de sujets politiques et d’engagement, sans être systématiquement ramené à la thématique de la sexualité ou de la lutte contre l’homophobie. J’ai proposé au Théâtre du Train Bleu, une structure avec laquelle on travaille depuis sa création pour les relations professionnelles et internationales, d’occuper leurs journées de relâche, intitulées Rainbow Day & Night, pour « faire briller les écritures plurielles ».
On donne la parole aux artistes, aux producteur·ices, aux programmateur·ices pour évoquer ce que cette frilosité produit concrètement sur la création et la diffusion. Nous avons besoin de ces témoignages pour comprendre les impacts sur la création et sur le parcours des artistes concerné.e.s. C’est pourquoi les journées s’articulent autour une rencontre publique, cette année dans le cadre du Café des idées du Festival d’Avignon, avec Libération, le 18 juillet matin.
L’an dernier, la première édition a suscité un vrai engouement.
Victor Leclère : Oui, l’écho a été immédiat. Les artistes étaient heureux et heureuses d’avoir cet espace pour montrer des projets en cours de création, pour échanger, pour témoigner. Et le public a suivi… Pour le format soirée (en partenariat avec le Festival d’Avignon), c’est plus de 1300 personnes qui ont dansé sur les mix du collectif Les Sœurs Malsaines. Ce n’est pas qu’un événement militant ou un colloque, c’est aussi un lieu de création et de fête, avec des lectures, des performances, des cabarets. On tient à cette dimension festive et inclusive.
Cette année, vous passez à deux journées. C’était important de donner plus d’ampleur ?
Victor Leclère : Il y avait une vraie demande, avec de plus en plus de projets à présenter et le souhait de donner une place à des artistes de l’international. Mais c’est aussi une réponse à un contexte politique qui s’est encore durci. Les attaques contre les droits des personnes LGBTQIA+ se multiplient en Europe, y compris dans le secteur culturel. Certains artistes queers se retrouvent menacés ou empêchés de jouer, au sein même de l’Union européenne. Même en France, certains programmateurs refusent par exemple de programmer des récits simplement parce qu’ils mettent en scène une histoire d’amour entre deux femmes. Il faut réaffirmer que ces récits ont toute leur place, car ils sont acceptés par la société depuis longtemps.
Concrètement, à quoi ressemblera cette édition 2025 ?
Victor Leclère : On ouvre le 11 juillet avec plusieurs temps forts, dont une performance en avant-première d’Habibitch, suivie sur le même plateau d’Andrea Givanovitch et de son solo « Untitled (Some Faggy Gestures) », avec également un showcase musical du chanteur palestinien Bashar Murad au bar Mahabharata et un DJ set de Jenia Gatash – fondatrice de Queer Paradise.
Le 18 juillet sera encore plus dense, avec une journée entière rythmée par des lectures (dont « Ix :variations » de Marcos Caramés-Blanco et Lucas Faulong), des performances et une grande table ronde organisée avec Libération et le Festival d’Avignon. J’en suis très heureux, car on y croise aussi des enjeux de diaspora, de racisation, de diversité linguistique, avec, par exemple, des lectures du poète Jamal Ouazzani en arabe et en français. Ce qui permet de faire écho à la langue invitée par le Festival d’Avignon.
Vous revendiquez une dimension inter–sectionnelle assez forte…
Victor Leclère : C’est essentiel. Ce que l’on voit aujourd’hui, c’est une offensive globale des mouvements conservateurs qui attaquent à la fois les questions de genre, de sexualité, mais aussi les droits des femmes, les récits des minorités racisées, les représentations de la diversité. Tout cela est lié. Et dans le secteur culturel, les pressions financières ou politiques sur les programmations fragilisent encore plus ces représentations. Le Rainbow Day & Night veut être un espace de résistance et de visibilité, mais aussi de circulation des œuvres.
Vous imaginez des prolongements hors d’Avignon ?
Victor Leclère : C’est le souhait. On commence à réfléchir à des rebonds à Paris, comme avec le Carreau du Temple (lors d’une rencontre organisée pour le festival Everybody), et dans d’autres territoires où ces questions sont peut-être encore plus polarisantes. Ce serait important de proposer ces espaces de création et de dialogue aussi là où les récits queers restent peu visibles.
Les Rainbow Day & Night
Théâtre du Train Bleu
les 11 et 18 juillet 2025