Voix feutrée, Samuel Achache parle comme il crée, en creusant les silences. Assis dans le grand foyer de l’Opéra de Nancy, où il répète Les Incrédules, il remonte le fil de son parcours sans trajectoire tracée. Pas de vocation fulgurante, juste un désir qui s’est glissé par la fenêtre – celle qui donnait sur la cour d’un petit théâtre, en bas de chez lui, en banlieue parisienne, quand il était ado à Paris. Depuis, il cherche les formes qui permettent d’habiter le trouble, d’embrasser le désordre, d’accorder le théâtre et la musique dans une respiration commune.
Le théâtre pour être heureux

Le théâtre, il y entre à quatorze ans. « Ce n’était pas une révélation. Mais il y avait là quelque chose de joyeux, de vivant, qui contrastait avec l’école, où je n’étais pas heureux. » Rapidement, le cours devient refuge, point d’ancrage. Il y traîne, regarde les autres jouer, s’imprègne. En parallèle, il fait de la musique. Longtemps, les deux cohabitent. Puis vient le moment du choix après le bac. Ce sera le théâtre. « Peut-être pas pour les bonnes raisons. J’ai un peu regretté. » Et pourtant, c’est ce détour par la scène qui lui permet, plus tard, de revenir à la musique autrement.
Au Conservatoire du 5e arrondissement, puis au CNSAD, il rencontre ceux qui formeront la bande de ses débuts, Jeanne Candel, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Julien Villa… Une constellation d’alliances artistiques et affectives, qui perdure. « On est entrés presque tous ensemble au Conservatoire. Ce lien a été fondateur. On n’était pas seuls. Et ça donne de la force. »
Un groupe comme ancrage créatif

De cette union presque sacrée, naîtront Le Crocodile trompeur, Orfeo, Je suis mort en Arcadie, puis Songs et enfin Sans Tambour, qu’il met en scène seul. À chaque fois, un glissement vers une forme hybride où théâtre et musique ne se superposent pas, mais dialoguent, s’interpellent, se défient. « La question, ce n’est pas de plaquer une musique sur une scène. C’est : comment ça travaille ensemble ? Quel est le contrepoint ? » À l’opéra, ce jeu de ping-pong entre formes s’intensifie. « La musique devient moteur. On écrit avec elle, autour d’elle, parfois même contre elle. »
Avec Les Incrédules, co-écrit avec Sarah Le Picard, composé par Florent Hubert et Antonin Tri Hoang, il s’attaque au mystère qu’est le miracle. « C’est Antonin qui m’a fait remarquer que je parlais souvent de miracle. Ça m’a poussé à interroger ce mot. » Très vite, le sujet devient situation, une femme voit apparaître chez elle une proche disparue. Et le théâtre commence là — non pas dans l’événement spectaculaire, mais dans le vertige qu’il provoque. « Ce n’est pas un spectacle sur la mort. C’est un spectacle sur le lien mère -fille. Et sa violence. »
Un chaos intime à éclairer

Créer n’est pas pour lui une mission, encore moins une thérapie. « Je ne fais pas des spectacles pour me réparer. Je ne cherche pas à raconter ma vie. Mais je pars de nœuds intimes, de zones opaques, pour essayer d’en tirer une forme. Quelque chose qui déborde de moi. » Chaque œuvre devient tentative d’éclairer un chaos. De le rendre partageable. « Je pense qu’on raconte toujours la même chose. Même si la forme change. »
Après Sans Tambour, qui l’a profondément secoué, Les Incrédules marque un nouveau seuil. « Là, il fallait inventer une musique. Imaginer sa naissance. Et ça, ça me confronte plus directement à la question de qu’est-ce que je veux raconter sur scène ? » Entre écriture de plateau, sessions d’improvisation musicale, livret à plusieurs mains et fabrication collective, le processus de création est tout sauf linéaire. Mais il est vivant. Comme cette matière qu’il modèle sans jamais vouloir la figer.
Créer, une nécessité
Alors oui, sans doute que c’est une nécessité. Pas une urgence, mais une pulsation continue. « Quand je ne crée pas, je suis un peu perdu. » Heureusement, il y a les autres. Les partenaires. Les musiciens. Les fidèles. Et puis il y a cette chose fragile qui survient parfois sur un plateau, quand le théâtre et la musique, dans un même geste, font apparaître l’inattendu.
Les Incrédules de Samuel Achache
création du 18 au 24 juin 2025 à l’Opéra national de Nancy-Lorraine
Durée 2h
Tournée
22 au 25 juillet 2025 à l’Opéra Grand Avignon, Festival d’Avignon
Avec l’Orchestre de l’Opéra national de Nancy-Lorraine,
Jeanne Mendoche, Majdouline Zerari, René Ramos Premier, Margot Alexandre, Sarah Le Picard, Marie Lambert, Pierre Fourcade, Antonin-Tri Hoang, Sébastien Innocenti, Thibault Perriard
Direction musicale de Nicolas Chesneau
Livret et dramaturgie de Samuel Achache et Sarah Le Picard en collaboration avec Margot Alexandre, Thibault Perriard et Julien Vella
Composition de Florent Hubert et Antonin-Tri Hoang
Orchestration de Pierre-Antoine Badaroux
Mise en scène de Samuel Achache assisté de Chloé Kobuta
Dramaturgie de Julien Vella
Costumes de Pauline Kieffer
Scénographie de Lisa Navarro
Conception du miraclophone – Thibault Perriard
Lumière de César Godefroy
Décors – Atelier de décors de l’Opéra national du Rhin
Costumes – Ateliers de l’Opéra national de Nancy-Lorraine